Satellite 418

Les beaux gros efforts

Au départ, j’avais les deux yeux bouchés ben dur. Toute une gang de féministes aussi – celles de la Revengeance des duchesses dont je fais encore émotionnellement partie parce que je porte encore dans mon cœur le titre de Montcalm 2012 sans pour autant m’impliquer très activement au sein de l’OBNL. Fin novembre, j’avais encore la gorge qui pique (comme Ricardo Trogi dans 1981) parce que le Carnaval de Québec avait refusé de les intégrer à la programmation. Refusé ce concept de choix à l’aveugle sans limite d’âge et qui a cette année permis à des femmes de 21 à 66 ans d’accéder au titre princier alternatif. Certains les ont appelées les anti-duchesses, mais c’était se tromper et mal les comprendre: l’organisation de la Revengeance voulait réellement être incorporée au Carnaval officiel.

Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Le retour des «vraies» duchesses a été annoncé et une bonne trentaine de communiqués ont été envoyés à la presse pour la tenir au fait de l’actu des princesses pendant près de quatre mois. Belles, minces, cheveux uniformément plaqués au fer plat (mise en plis circa 2006) et manteaux identiques. Visiblement pas des nunuches, mais pas des championnes de la diction non plus. Des belles filles «du vrai monde», des belles filles de 20 à 27 ans qui auraient eu le joli minois de l’emploi pour se rendre loin dans les rondes de sélection d’Occupation double. Sans surprise, c’était essentiellement des filles de marketing, d’administration, de relations publiques. Davantage des entrepreneures que des créatrices.

Il y a eu les lignes ouvertes à la radio, les billets de blogues féministes attisant la polémique à cause de l’aspect rétrograde du concours, l’entrevue des «revengeresses» Marjorie Champagne et Lise Bonenfant aux Francs-tireurs, la succursale locale de TVA qui a – ô surprise! – fait une place de choix aux concurrentes sur leurs ondes. On s’attendait à tout ça, sauf au coup d’éclat des Femen. Et la presse s’est emballée.

À parler de la chose royale, des brushings des «vraies» duchesses comme de leur campagne de sociofinancement controversée, on en est venus à oublier de se pencher sur l’offre culturelle de cet événement qui présente toujours les Toupies Dance comme un élément artistique de sa programmation. Soupirs. On est loin d’une chorégraphie d’Harold Rhéaume, mettons.

Mais encore là, je divague, je m’éloigne du sujet. Voyez: il est facile de chercher des poux, de les trouver aussi, ou de regarder son nombril lorsque vient le temps d’analyser le Carnaval. Tout Lévisien ou Labeaumien qui se respecte a, après tout, ce sentiment d’ownership envers l’événement. Mais à chialer, beaucoup sont passés à côté d’une relecture sympa de la chanson-thème, une pièce réalisée par les artisans locaux Marc-André LeBon de la formation reggae Jah & I et Byron Mikaloff des Lost Fingers et de feu One Ton.

 

 

Genre de We Are the World local parce qu’enregistré en groupe à l’Ampli de Québec. La version 2014 de la célèbre chanson ne remplacera certes pas l’originale dans nos cœurs nostalgiques, mais cette idée de rapprocher des chanteurs de scènes et de gangs différentes est tout à fait inédite. Comme un bouillon de poulet pour l’âme communautaire, comme un potluck supper en musique. Qui aurait pensé voir Pépé (celui avec sa guitare) et la star-académicienne Mélissa Bédard dans un même vidéoclip? Perso, je trouve ça beau et rassembleur comme un party chez tante Thérèse. Parce qu’on est toujours heureux de retrouver la famille élargie à Noël même si on ne partage pas grand-chose avec nos cousins. On n’irait jamais boire des bières avec eux en temps normal mais, dans un certain sens, on fait partie du même clan. Comme ces chanteurs de Québec regroupés par Frédéric Poitras du Cercle.

Il était temps que quelqu’un ose réunir les deux tribus, les artistes champ gauche et ceux qui ne joueront jamais dans les radios universitaires. Les deux existent à Québec, mais on l’oublie trop souvent.

À défaut de pouvoir célébrer la diversité de styles et la créativité chez les duchesses (j’y reviens), le Carnaval a au moins pensé à refléter avec justesse la population de Québec dans tout ce qu’elle a de plus multiculturel et hétérogène en matière de goûts: avec la chanson-thème, comme lors de sa Nuit Blanche et son après-défilé de samedi dernier qui a regroupé, entre autres, I.No et Midaz & Ellie.

Puisse que ce virage nightlife se poursuive pour la 61e édition. C’est réjouissant de voir qu’un événement aussi grand public se fait diffuseur de toutes les musiques locales.