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Serge Fiori le demi-dieu

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Être de ceux qui modèrent les commentaires sur voir.ca m’amène à lire toutes sortes de choses. Il y a les éternels détesteurs, les Joe connaissants qui tiennent à ajouter un surplus d’information aux articles, les entrées robotisées promettant des deals de feu sur des sacoches Longchamp.

Ça, c’est la routine.

Telle ne fut pas ma surprise, donc, quand j’ai vu arriver un convoi d’éloges à l’endroit d’un seul et même article: Le nouvel album de Serge Fiori en écoute sur Espace.Mu560 partages Facebook, 11 partages Twitter, 5 partages Google+, 17 commentaires. Et ils étaient tous positifs.

Dans l’espace de quelques heures, les compliments timides mais sentis ont fait place à des phrases pas mal surréalistes. Il y a d’abord eu Sylvie qui comparait la musique de Fiori à une madeleine de Proust. Puis Lester est entré en scène en écrivant que c’était «comme si Émilie Néligan [sic] revenait à la vie.»

La réaction que j’ai eue devant mon écran avait un peu l’air de ça.

Mais ce n’était rien à côté de cette espèce de prière écrite par Linda: «Apprécions déjà la grande générosité de Serge Fiori de nous offrir ce merveilleux album. Il n’est pas nécessaire de lui en demander plus. Prenons ce qu’il nous donne avec grandeur et, de grâce, pas de pression supplémentaire et inutile. Il est assez grand pour prendre ses propres décisions. Enrobons-nous du grand respect qu’il nous inspire!»

J’ai trouvé ça fascinant.

Sauf tout mon respect pour Fiori et son œuvre immense, tous ces bons mots ont eu pour effet de me rappeler les statuts Facebook d’une ex-collègue d’études qui affichait sans gêne son appartenance à une secte. Mêmes tournures de phrases, même adoration pour un être supérieur. Est-ce que certains fans considèrent le chanteur de feu Harmonium comme un maître spirituel?

C’est précisément la question que j’ai posée à Alain Crevier, animateur de l’émission Second regard sur les ondes de Radio-Canada. Un fantastique journaliste spécialisé dans la couverture de l’actualité religieuse et spirituelle qui s’est prêté à l’exercice avec un sourire dans la voix. «Je peux te répondre, mais je ne suis pas un théologien, un curé ou un liturgique.»

Qu’importe. Le point de vue de ce laïc qui baigne dans la culture religieuse depuis moult années me semblait tout à fait pertinent et sa réponse fut sans équivoque: «Serge Fiori a un charisme presque mystique.» Lui-même musicien dans les belles années d’Harmonium, M. Crevier m’avouera avoir pogné de quoi en voyant la formation en show à la Place des Nations à Montréal. «C’était comme si quelqu’un avait réécrit la messe, c’était une réelle communion.»

Hypothèse vérifiée: la musique peut être vécue comme une religion ou, du moins, comme une expérience spirituelle au même titre que le yoga peut l’être pour d’autres. Les églises ferment, mais tous ont encore cette quête de sens et ce besoin d’intériorité. Et si les paroles d’une chanson pouvaient devenir un mantra ou une prière? Je laisserai le soin aux experts de répondre.

 

Vice versa

Le contraire existe aussi. Il arrive que la religion inspire la musique commerciale et parfois même sans qu’on s’en rende compte. Avez-vous écouté le plus récent Vampire Weekend?

We know the fire awaits unbelievers / All of the sinners the same Girl / You and I will die unbelievers / Bound to the tracks of the train

Traduction libre: Nous savons que le feu attend les non-croyants / Tous les pêcheurs sont les mêmes / Fille, toi et moi mourrons non-croyants / Attachés sur les rails du train

Paroles à références religieuses ou pas, ce disque (intitulé Modern Vampire of the City) a été classé au sommet des palmarès de fin d’année de Pitchfork et du magazine Rolling Stones. Le groupe new-yorkais a également remporté le prix du meilleur album alternatif de l’année aux Grammy et fait la une de l’édition montréalaise du Voir le 15 août dernier. Un succès archi-enviable pour leurs pairs, les mauvais garçons d’Arctic Monkeys ou les psychédéliques Australiens de Tame Impala.

Est-ce que le christian rock serait un nouveau moyen pour ramener les jeunes à l’église? J’ai lâché un coup de fil à Thomas Fournier, guitariste de la formation indie rock locale The Hearing. Un groupe au son actuel, mais qui ne se gêne pas pour remercier Dieu sur son Bandcamp et parler de lui dans les paroles de ses chansons. «On pense que les jeunes ont besoin d’entendre ça, à cause de tout ce qu’on voit aux nouvelles. Nous, on veut livrer un beau message parce qu’il y a tellement de groupes aux paroles négatives et sombres.»

Dieu est amour? Oui absolument. «La religion a tellement une mauvaise réputation au Québec. On entend que les chrétiens sont contre les homosexuels, par exemple. Mais on voit toujours les extrémistes à la télé. Nous, on essaie de changer les idées préconçues.»

Et ils le font avec de la musique franchement bien produite. Ça aussi, ça te tue bien des idées préconçues.