Au début du mois de février, j’écrivais sur Sam Murdock. Sam, le cofondateur de P572, mais surtout la pierre angulaire. Super Sam l’artisan, le passionné et le bâtisseur. Un gars qui fait la différence à Québec pour la scène musicale.
La série Personnalités locales se poursuit avec un deuxième épisode. Cette fois, la chronique de la semaine est dédiée à Jean-Michel Letendre-Veilleux. Son nom de 26 lettres ne vous dit rien? Encore là, c’est quasi normal. Le gars travaille presque uniquement en coulisse, à forger l’identité sonore de la ville. C’est aussi vrai que ça peut sembler gros. Et il ne s’en rend que partiellement compte, on dirait, trop occupé à courir partout, aveuglé (peut-être) par ses cernes qui noircissent le dessous de ses yeux. Mars 2014: Jim jongle entre ses gigs comme DJ à l’Atelier, ses études à l’université Laval, ses bands, sa job de jour, ses rénovations chez lui et le booking de spectacles.
À 24 ans, Jean-Michel a l’âge des naïfs qui ont l’impression de pouvoir façonner une ville à leur image, et a assez d’expérience pour réellement y parvenir. Le Pantoum, c’est lui. En juillet 2012, il emménage dans l’ancien repaire du Wolf Pack avec son meilleur chum Jean-Étienne Collin Marcoux et nettoie l’appartement de fond en comble. Arrachage de plafond suspendu, défonçage de murs, aménagement d’un studio, construction d’une scène, insonorisation des murs. 22 jours plus tard, l’endroit est prêt à accueillir ses premiers bands. Le bruit court rapidement, la promesse de soirées hors normes et infiniment cool fait son effet. Le Pantoum devient un lieu mythique dans le temps de le dire et les mélomanes buveurs de Pabst se l’approprient. Résolument empreint d’une âme, le loft de Saint-Vallier se fait entremetteur pour garçons et filles un peu paquetés, mais aussi pour artistes en quête de nouveaux amis inspirants.
Même sans le recul, je suis prête à écrire et à défendre qu’on parlera un jour du Pantoum, comme d’autres se souviennent de La Butte à Mathieu dans les Laurentides ou du CBGB à New York. Comme d’un lieu phare pour une génération, mais aussi pour un certain courant musical ou, plutôt, pour une façon de faire la musique sans les labels ni l’achat de publicité dans les journaux. Peu importe si elle est folk, rock, électro ou hip-hop. Pourvu que ce soit bon et que ça sonne frais.
Mais le Pantoum n’est pas la seule réalisation de cet ex-vendeur chez American Apparel toujours franchement bien sapé. Effortless chic, diront les journalistes mode et épingleuses compulsives sur Pinterest pour décrire son look. Mais qui oserait croire que le hipster du campus a en fait passé la majorité de sa vie dans la ville ferroviaire de Charny?
C’est là, de l’autre côté des ponts et dans le sous-sol parental, que le petit Letendre-Veilleux fonde son premier band avec Jean-Étienne et Antoine Bordeleau, aujourd’hui membres du groupe X-Ray Zebras. Mais c’est vraiment The Unicorns qui allumera chez lui la flamme. En 2007, alors au Cégep, il donne naissance à son premier band sérieux: Les Mammographes. Un trio également composé d’Alexis Dionne et Benoît Laliberté, qui changera de nom pour Leafer en cours de route.
D’ailleurs, c’est à la sortie du disque Burkina Faso, en septembre 2011, que je rencontre le groupe pour la première fois. Je me souviens d’une entrevue sympa sur les ondes de CHYZ et d’un coup de foudre amical pour le plus placoteux du clan. Hasard étrange: Jean-Michel allait devenir mon collègue deux ans plus tard, presque jour pour jour, quand j’allais convaincre le boss de l’engager pour assurer la direction musicale de la station. Une des meilleures choses qui est arrivée, d’ailleurs, à la scène de Québec, après peut-être la fondation de l’Ampli. Les subventions, c’est bien. Mais encore faut-il que les groupes qui créent ici puissent être entendus. Lui, en tant que musicien, c’est quelque chose qu’il a rapidement compris: Jim offre du temps d’antenne à ses semblables, mais aussi des occasions de jouer devant public. Chez lui, dans son salon, puisque c’est au Pantoum qu’il crèche toutes les nuits.
Mais ce qui rend Jim encore plus spécial, c’est que son implication ne se limite pas à la scène underground. Étudiant au baccalauréat en musique à l’université Laval, il termine actuellement sa dernière session: «Un mois et demi après, je serai libre.» Les cours de chorale le font rusher, certes, mais le bagage accumulé ces dernières années entre les murs du Casault le propulse bien au-delà de l’art rock. Connecté à la fois à la scène garage et classique, il mettait récemment sur pied une nouvelle émission à CHYZ, Les midis-concerts, une tribune pour les étudiants de la faculté de musique bourrée de talents, mais que personne n’entend jamais.
Et si la démocratisation du classique ou du jazz passait par la culture indie?
// Mise à jour, 20 mars à 14h30
Touché par la tape dans le dos que constitue cette chronique, Jean-Michel a cependant voulu clarifier un petit truc.
« Je voulais juste faire une rectification, le Pantoum n’est pas juste moi, mais plusieurs acteurs de la ville de Québec Le Pantoum est une communauté. En ce sens, je dois t’avouer que je suis un peu mal à l’aise de prendre un honneur qui ne me reviens pas. »
Trop humble? Peut-être un peu. Mais on comprend son point: le Pantoum est une oeuvre collective.
Prochaine étape : Jean-Étienne Collin Marcoux