Au Gala des Cochons d’Or (qui célèbre les spectacles des compagnies indépendantes regroupées dans le réseau Cartes Prem1eres), le prix du Cochon Lumineux a été décerné cette année aux six théâtres institutionnels ayant renouvelé leur direction artistique au cours des deux dernières années (Trident, Théâtre d’Aujourd’hui, Espace Libre, FTA, Usine C et Théâtre Denise-Pelletier).
C’était une formidable occasion de constater le vent de fraîcheur qui souffle sur le théâtre institutionnel à Montréal et à Québec. On ne dit jamais assez l’importance de limiter dans le temps les mandats de direction artistique pour éviter l’engoncement et la sclérose, et pour une pratique théâtrale diversifiée et pertinente. Nombreux sont les artistes à réclamer plus de mouvement à la tête de nos théâtres.
C’est d’ailleurs un enjeu qui préoccupe en ce moment beaucoup d’organismes culturels appelés à envisager l’avenir et la succession. Un groupe de recherche du HEC vient d’ailleurs de publier à ce sujet un rapport faisant état des problématiques liées aux transferts des directions et des inquiétudes du milieu culturel au sujet de la pérennité des organismes et leur capacité à s’adapter aux nouvelles générations d’artistes.
Or, en théâtre, les choses commencent à se passer, et c’est tant mieux. L’annonce récente de l’arrivée de Claude Poissant à la barre du Théâtre Denise-Pelletier, notamment, est une pure réjouissance. À cause de son mandat scolaire, qui fait en sorte qu’il n’est pas fréquenté massivement par le grand public, on oublie souvent de porter attention à ce qui se fait dans la grande salle d’Hochelaga-Maisonneuve. Or, c’est l’un des théâtres les mieux subventionnés et on ne devrait en aucun cas négliger son autre mandat: la mise en valeur des textes de répertoire et l’actualisation de ceux-ci. Avec Claude Poissant à la direction artistique, on peut être assurés que ce travail sera fait de manière plus vivante et plus audacieuse.
Si les membres du jury du Gala des Cochons d’Or se réjouissent de ce bon vent, ils ont aussi profité de leur temps de parole pour rappeler aux nouveaux directeurs artistiques qu’ils ont tout intérêt à ne pas s’empoussiérer dans leurs nouveaux postes et à savoir passer le flambeau au moment opportun. Je ne peux que les approuver dans ces déclarations.
Pour cette raison, je vous offre ici en intégralité le texte qu’ils ont lu hier sur la scène des Écuries, rédigé par Marcelle Dubois.
Nous, membres du jury, par ce Cochon lumineux, célébrerons le vent de fraîcheur que plusieurs nouvelles nominations apportent à la direction de six institutions théâtrales. Pour célébrer ce mouvement, mentionnons dans l’ordre d’apparition à leur nouveau poste : Sylvain Bélanger au Théâtre d’Aujourd’hui; Anne-Marie Olivier au Trident; Jasmine Catudal à l’Usine C; Geoffrey Gaquère à l’Espace Libre; Martin Faucher au Festival TransAmériques et Claude Poissant au Théâtre Denise-Pelletier
Ce Cochon lumineux vous est remis… pardon… prêté !
Par vos nominations, cinq grandes institutions montréalaises, et une de Québec, voient leur mandat renouvelé. Pour le jury des Cochons d’or, et pour tous les artistes autoproducteurs que représente Carte Prem1ères, il s’agit là de bonnes nouvelles. De bonnes nouvelles, bien sûr, parce que c’est vous les nouveaux patrons, vous, artistes dont on estime la vision, le travail, l’ouverture. Mais c’est surtout de bonnes nouvelles puisque grâce au mouvement provoqué par votre arrivée à la tête de ces institutions, le théâtre qui y sera présenté sera inévitablement brassé, réaffirmé, revu, revisité, imaginé autrement. Vos nouvelles énergies seront les respirations de nos futures saisons théâtrales. C’est ce mouvement que nous saluons. Que nous aimons. Que nous embrassons.
Nos attentes sont grandes à l’égard du Cochon lumineux et de ses lauréats. Il est remis aux personnes ou aux organismes qui nous tirent vers le haut. Qui élèvent les attentes à l’égard de notre pratique. Qui nous font croire que nos idéaux se matérialisent par l’action d’hommes et de femmes engagés, attentifs, audacieux, pertinents, casse-cous, solides, avant-gardistes, amoureux du théâtre, de la parole et de ses effets sur notre communauté, sur notre société.
Le Cochon lumineux souligne un engagement, une inspiration, une liberté, une générosité pour ses contemporains. Votre nomination au sein de nos institutions théâtrales a cet effet lumineux sur nos désirs de créer. Votre arrivée massive – oui, massive : une nouvelle direction dans six institutions en un an et demi, on ne peut plus parler d’immobilisme ! – est un tournant important pour ces maisons de théâtre dont vous prenez la barre.
Bélanger l’artiste-citoyen engagé, Olivier la femme au cœur lumineux et inspiré, Catudal la rassembleuse aux antennes aiguisées, Gaquère le penseur électrisant, Faucher le fougueux défricheur, l’audacieux créateur, Poissant qui sait toujours être de son temps merci, merci de prendre du service public, merci de prendre ces relais artistiques.
Puisqu’il s’agit de cela au fond, de relais, de circulation. C’est pour ça que nous vous prêtons le Cochon lumineux. Il n’est ni acquis, ni permanent. Il est entre vos mains… pour un temps seulement, puisqu’il appartient d’abord et avant tout à la communauté. Il est en vérité… à l’image de vos nouvelles fonctions. Nous, jurés du Gala des Cochons d’or 2013-2014, nous voulions vous dire, au nom de tous les artistes autoproducteurs, que nous sommes franchement et solidairement heureux de vos nominations, que nous serons à vos côtés pour collaborer, pour rencontrer les publics, pour définir le visage du théâtre institutionnel des prochaines années.
Nous vous souhaitons d’investir passionnément, à la fois collectivement et personnellement, les magnifiques terrains de jeu qui vous sont confiés. Et oui… un jour aussi, nous saluerons votre capacité à passer le relais à d’autres, comme nous saluons ceux qui vous ont laissé leur siège. Bélanger, Olivier, Catudal, Gaquère, Faucher et Poissant, merci pour vos lumières, bons vents dans vos nouvelles demeures !
Nota bene : Et si ce Cochon lumineux servait d’exemple à toute institution qui sentirait le besoin de se renouveler ? Souhaitons-lui le courage de se choisir un directeur ou une directrice artistique qui saura briller par sa vision, son intelligence et sa lumière.