Vaccin contre l’intolérance
"Ce que je comprends, Cohen, c’est qu’en 1945, les Boches auraient pu finir le boulot…"
Cette réplique est de l’humoriste Dieudonné. Dieudo, pour les intimes. Elle a été poussée dans un sketch, présenté bien avant LE sketch de 2003 qui a fait du comique franco-camerounais l’ennemi juré du Congrès juif en entier, et de Bernard-Henri Lévy en particulier.
Hors contexte, avouons que dans le genre "remarque antisémite", on peut difficilement faire mieux. Or, à l’époque, cette réplique n’a fait sourciller personne. Et n’a soulevé l’ire ni du Congrès juif en entier ni de Bernard-Henri Lévy en particulier.
Cette réplique, en fait, a provoqué l’hilarité générale. Le rire, oui. Un truc incontrôlable qui part du bas-ventre, qui remonte l’oesophage et qui sort par la bouche sous forme de "Ha!" et de "Ho!".
La question se pose. Pourquoi, jadis, Dieudonné a-t-il pu se moquer de l’Holocauste sans se gêner, alors qu’il lui suffit aujourd’hui de prononcer le mot "juif" pour être taxé de chnoute antisémite?
L’humoriste a une explication à cela, qu’il livre lors d’une grande entrevue accordée à Stéphan Bureau, et qu’ARTV diffuse cette semaine. C’est qu’à l’époque de la réplique susmentionnée, Dieudo formait un duo avec Élie Semoun. Un Juif. Selon le comique, la présence d’Élie sur scène légitimait, en quelque sorte, ce genre de propos indicibles. Peut-être…
Dieudonné est-il antisémite pour autant? Non, il n’est pas con tout de même. Profite-t-il (financièrement) de la controverse qui entoure sa petite personne? Bien sûr, il n’est pas con tout de même…
On a tendance à l’oublier, Dieudonné est avant tout un humoriste qui fait dire à ses personnages des choses honteuses afin de provoquer une réaction. Mais aussi la réflexion. En ce sens, comparer Dieudonné à la réincarnation d’Hitler me semble un brin démesuré. Il existe tout de même deux ou trois subtiles différences entre le comique et le Führer, à commencer par la coupe de cheveux.
Dieudonné est comme le bouffon du roi, qui ne faisait jamais autant rigoler que lorsqu’il se moquait de la monarchie. Il met le doigt là où ça fait mal. Et il faut ne pas avoir vu ses spectacles pour réduire son "oeuvre" à ses simples critiques du sionisme et d’Israël.
Je suis allé voir ce soi-disant antisémite dimanche dernier au TNM. Pendant près de deux heures, il s’est moqué de toutes les religions, des Noirs, des Arabes, des Chinois, des Juifs, de la France, de Jésus et des animaux en voie de disparition.
Ce qui m’a le plus surpris par contre, c’est son public. On trouvait dans l’assistance des Africains en djellaba, des musulmanes portant le hidjab, des Japonais vêtus du traditionnel appareil photo, au moins un Arménien, des Québécois et peut-être même quelques Juifs (je n’ai pas poussé mon enquête jusque-là).
J’ai assisté à quelques spectacles d’humour dans ma vie et rarement ai-je vu une assistance aussi colorée. Cela change du public beige Laval de Martin Matte ou de Peter MacLeod.
Voilà pourquoi, au risque de passer pour un antisémite, j’ose dire que Dieudonné est l’humoriste le plus pertinent du moment. C’est un comique actuel, qui se moque de la diversité ethnique, de la mondialisation; qui sait rire des fossés culturels qu’il faudra combler un jour. C’est un bouffon qui s’amuse des hégémonies, de la pensée unique, qui tourne en ridicule ces imbéciles qui voudraient que le globe soit divisé en deux axes: le Bien et le Mal.
De nos jours, le cancer de l’humanité, ce sont les intolérances de tout un chacun. Guerres religieuses, conflits ethniques, racisme. Dieudonné, je le vois comme un vaccin. En nous injectant ses intolérances à coups de plaisanteries, il nous immunise contre celles-ci.
Les Grandes Entrevues Juste pour rire – Dieudonné, ARTV, le mercredi 12 juillet, 19 h 30
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MAGAZINE
La livraison estivale du magazine montréalais Urbania y va d’un thème de circonstance: les ethnies. La couverture, avec sa pancarte "Attention, zone juive", a quelque chose de gentiment subversif. À l’intérieur, un texte d’Émilie Dubreuil sur "ces Noirs et ces Juifs qui trouvent que les Québécoises sont bonnes à baiser, mais pas bonnes à marier". Ouille!
TÉLÉ
Puisque l’on parle de Français qui ne font pas l’unanimité, mentionnons que Thierry Ardisson animera, mardi prochain, la dernière de Tout le monde en parle. Sa dernière, vraiment? Pour l’heure, toutes les spéculations sont permises. Ardisson, qui quitte la barre de son célèbre talk-show pour une question d’exclusivité, pourrait vendre le concept de l’émission, ou l’enterrer à jamais. Tout le monde l’ignore. Tout le monde en parle, TV5, le mardi 11 juillet, 19 h.