Documenter l'absurde
Angle mort

Documenter l’absurde

Dans sa chanson The News, l’Hawaïen Jack Johnson chante à propos des médias: "Why don’t the newscasters cry when they read about people who die?" C’est vrai. Pourquoi les présentateurs de nouvelles ne versent-ils jamais une larme lorsqu’ils parlent de gens qui meurent? La suggestion semble absurde. Consacrons-y une chronique…

Depuis quelques semaines, Israël et le Hezbollah (au Liban) argumentent à coups de roquettes. C’est la guerre. Et je suis d’avis que toutes les guerres, celle d’aujourd’hui comme celles d’hier, sont absurdes. Tout comme le suicide est un mauvais remède pour soigner la migraine, la guerre représente une anti-solution à un problème. C’est un aggravant.

Or, comment les grands médias couvrent-ils ce spectacle absurde? Chaque soir, les envoyés spéciaux nous la jouent classique. Poker face sous leurs gilets pare-balles, ils font le compte rendu de la journée: résultats des bombardements, scène de voitures calcinées, bilan des morts, présentation d’une carte géographique piquée de petits dessins pour symboliser les endroits touchés par le conflit. Au bout d’un moment de ce régime à haute teneur en objectivité, on finit par croire que la guerre est un exercice sensé, raisonné, voire justifiable.

Pourtant, la guerre reste irrationnelle. En ce sens, elle devrait susciter des réactions tout aussi irrationnelles. Une colère irrépressible, une violente indignation, des cris, des pleurs. Imaginez seulement un Bernard Derome ou une Sophie Thibault qui, comme dans la chanson de Jack Johnson, se laisseraient aller à l’empathie. Imaginez qu’ils se permettent quelques sanglots imprévus en parlant des morts de la guerre au Liban.

La chose est improbable. Si les chefs d’antenne montraient leurs sentiments au bulletin de 22 h, on les accuserait certainement de faire preuve d’humanité mal placée.

Néanmoins, je persiste à croire que des réactions irrationnelles à une guerre irrationnelle sont utiles… pour saisir l’irrationalité de la guerre! C’est peut-être ici qu’Internet a son plus grand rôle à jouer…

Sur le Web, depuis que la guerre au Liban a éclaté, des dizaines de warblogs sont apparus pour témoigner des douleurs ressenties dans les camps rivaux. Sur le Web, les réactions sont souvent irrationnelles. On y va de messages de haine, de paix, mais surtout d’incompréhension. On y montre des images d’enfants à ne pas montrer aux enfants. La guerre s’exprime en mots, en musique, en photos prises à l’aide de téléphones cellulaires. Tous ces sites prétendent colporter la "vérité". Et Winston Churchill qui disait justement que la vérité était la première victime de la guerre…

La guerre sur Internet dépasse le stade de la pure information. En ce sens, le Web fait contrepoids aux médias de masse qui, grâce à leur prétendue objectivité, finissent par donner à la guerre des airs d’un spectacle propre et cohérent.

Ce n’est pas tout noir: la justesse et la retenue des médias demeurent nécessaires pour documenter l’Histoire. Par contre, pour que l’on tire des leçons de l’Histoire, il faudra peut-être se frotter davantage à l’irrationalité de la guerre… Voilà ce que documente Internet.

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LE CONFLIT ISRAÉLO-LIBANAIS SUR LE WEB:

Le blogue de l’auteure Pamela Chrabieh
pchrabieh.blogspot.com

BloggingBeirut.com
www.bloggingbeirut.com

Live from an Israeli Bunker
israelibunker.blogspot.com

Le blogue du journaliste Dahr Jamail
dahrjamailiraq.com/weblog/

July 06 War Lebanon
july2006waronlebanon.blogspot.com

The Lebanese Bloggers
lebanesebloggers.blogspot.com

From Israel to Lebanon
fromisraeltolebanon.info

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MAGAZINE

Dans le New Yorker, un long article sur le journalisme "citoyen" et la multiplication des blogueurs (censés remplacer les "vrais" journalistes). L’auteur du texte, Nicholas Lemann, lie le phénomène des blogues à l’émergence des pamphlets et des périodiques à Londres au 17e siècle. Perspective pertinente. The New Yorker, édition du 7 au 14 août 2006.

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WWW

Dans la même veine, le réseau CNN se met au journalisme "citoyen" en invitant les internautes à soumettre leurs photos, leurs vidéos et leurs textes, qui alimenteront le célèbre réseau d’information continue. www.cnn.com/exchange/

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TÉLÉ

Diffusée l’an dernier à CBC, cette télésérie made in Canada nous plonge dans le dur quotidien d’une équipe de médecins qui tentent de venir en aide aux victimes de l’interminable guerre civile au Soudan. Whisky Écho, à Radio-Canada, première partie de deux, le dimanche 13 août à 20 h.