L'homme qui tombe
Angle mort

L’homme qui tombe

Trente pour cent des Américains ne se souviennent plus de l’année des attentats du 11 septembre, selon un sondage publié la semaine dernière dans le Washington Post. Remarquez, cela n’a rien d’étonnant. Dans un monde soumis à la dictature de l’image, on oublie vite les contours de l’Histoire pour n’en retenir que quelques clichés. La puissance d’une photo tache plus la mémoire qu’une date. Et en sélectionnant scrupuleusement les images qu’elle montre, la télévision contribue à transformer les faits en mythes.

Les médias s’apprêtent à souligner, encore cette année, l’anniversaire de la tragédie du 11 septembre. On repassera en boucle cette séquence de l’avion de la United Airlines qui s’écrase sur la tour sud à 9 h 02, pendant qu’une journaliste hurle: "Oh, my God!" Scénario connu.

On repassera aussi en fondu enchaîné les images de ces pompiers couverts de suie, sauvant des vies au péril de la leur. Les pompiers en tant que héros du 11 septembre, c’est ce que les médias ont choisi de montrer. Ils représentent le courage face au danger, la détermination de vaincre, l’antithèse de la couardise, les valeurs américaines. Comme tout le monde, je leur rends hommage, mais représentent-ils vraiment le 11 septembre?

Certains croient que non.

RDI diffuse un documentaire portant sur un autre symbole du 11 septembre, celui-là largement occulté par les médias américains: "l’homme qui tombe".

C’est l’histoire d’une photo, prise par Richard Drew de l’Associated Press, le matin du 11 septembre. Ce jour-là, le photographe croqua l’image d’un homme tombant d’une des tours infernales. Tête en bas, le corps droit, l’homme chute vers une mort prévisible dans une position qui lui donne un air presque résigné. Qui était cet homme? S’est-il suicidé? A-t-il été poussé dans la cohue? La photo ne fournit aucun détail supplémentaire. Elle ne fait que véhiculer un symbole, celui d’un homme qui tombe.

On sait aujourd’hui que des dizaines d’autres personnes ont sauté du World Trade Center, mais le jour du drame, les chaînes télévisées ont décidé de ne pas les montrer. Par pudeur, probablement. Or, le lendemain des attaques, quelques journaux ont publié la fameuse photo de "l’homme qui tombe". La polémique. Non, l’Amérique n’était pas prête à voir cet homme tomber.

L’image a néanmoins eu le temps de faire le tour du monde, puis elle est disparue. Pour éviter la controverse, les médias ont fait un acte d’autocensure quasi unanime pour laisser toute la place aux gestes héroïques des pompiers venus prêter main-forte…

"Une des plus célèbres photographies de l’histoire humaine est devenue une tombe anonyme", a écrit Tom Junod, qui s’est penché sur l’histoire de ce mystérieux "homme qui tombe". L’écrivain soutient que cette photo représente mieux que n’importe quelle autre la tragédie du 11 septembre. Pourquoi? "L’homme qui tombe est devenu le soldat inconnu d’une guerre dont nous ne connaissons pas encore la fin", écrit-il.

Les médias ont peut-être créé un mythe autour du 11 septembre en choisissant de raconter l’événement comme "le jour où l’Amérique s’est relevée malgré la douleur". Sauf que le symbole de l’homme qui tombe oblige à considérer que, le 11 septembre, l’Amérique ne s’est pas seulement relevée. Elle est aussi tombée. Faut-il voiler cette réalité?

En passant, pour ceux qui l’auraient oublié: le 11 septembre, c’est arrivé en 2001…

L’Homme en chute libre, à RDI, le jeudi 17 août, 20 h.

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Cent Papiers se veut l’équivalent québécois d’Agoravox.com. Un "média citoyen" où toutes les nouvelles sont écrites par vous, moi, n’importe qui. C’est l’avenir des médias, paraît-il. Les rédacteurs peuvent couvrir des événements qui sont ignorés par les grands médias, et les lecteurs peuvent voter pour les meilleures nouvelles. Tout ceci est-il garant d’un contenu d’intérêt public? La nouvelle la plus populaire sur le site concerne "le chien le plus laid au monde". Je n’ajoute rien. www.centpapiers.com

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MAGAZINE

Plusieurs reportages à dévorer dans la revue Sciences humaines. Notamment, la "disneylandisation du monde", ou comment le tourisme est en train de faire du monde un immense parc d’attractions, en "façonnant les lieux, la nature et la culture en fonction des représentations mentales que leurs visiteurs s’en font". Aussi: "Qu’est-ce que l’amour?"

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L’ensemble des services français de Radio-Canada témoigne des travaux du XVIe Congrès international sur le sida, qui se tient jusqu’au 18 août à Toronto. Si vous n’avez pas tout suivi, l’émission Les Années lumière fera un retour sur l’événement, avec entrevues et analyses en profondeur. À la Première Chaîne de Radio-Canada (95,1 FM), le dimanche 20 août, de midi à 14 h.