La BD nous a donné plusieurs grands journalistes. À commencer par Tintin, bien sûr. Le reporter belge aussi vif que sa houppe est inébranlable, nanti d'un budget de voyages apparemment sans fond, a démasqué les gredins aux quatre coins du globe et jusque sur la Lune. À côté de lui, Fantasio, du journal Spirou, a l'air d'un échotier de province. Remarquez, son sort aurait peut-être été plus heureux s'il n'avait pas eu Gaston Lagaffe dans les pattes…
De ce côté-ci de l'Atlantique, Superman a, en tant que Clark Kent, un poste tout à fait enviable au Daily Planet. On pourrait en dire autant de Peter Parker, jeune photographe du Daily Bugle et accessoirement Spider-Man.
Le journalisme est le théâtre parfait pour les aventures outre-mer, les frotti-frotta avec le monde interlope et les enquêtes palpitantes où la vérité triomphe toujours du Mal. Voilà pourquoi, sans doute, le journaliste a si bien servi la BD.
En revanche, plus rarement voit-on la BD servir le journalisme. Mais ça se fait.
"Dans un monde où Photoshop permet au photographe de mentir, on peut autoriser les artistes à retourner à leur fonction initiale: des reporters", a déjà dit Art Spiegelman. Ce dessinateur a publié Maüs, un roman graphique sur l'Holocauste, moult fois acclamé.
Le 9e art se marie fort bien à celui de rapporter les faits.
Joe Sacco, dessinateur américain et journaliste de profession, est le plus connu des journalistes-bédéistes. Son album Palestine, grand reportage dessiné publié en 1996, demeure l'ouvre incontournable d'un genre en éclosion que l'on nomme le reportage dessiné, ou comix reportage.
Et voilà qu'un petit éditeur montréalais, Cumulus Press, vient de publier EXTRACTION!, un album (en anglais) qui célèbre le comix reportage. Je l'ai avalé tout rond.
EXTRACTION! regroupe quatre histoires à bulles d'une vingtaine de pages chacune. Quatre reportages qui explorent chacun un côté pervers de l'industrie minière canadienne.
On nous emmène d'abord dans des villages guatémaltèques qui souffrent de la présence de mines d'or appartenant à des mégagroupes canadiens. On fait ensuite le tour du dossier de la prospection d'uranium à Mont-Laurier. On se téléporte en Inde, là où les "gens les plus malchanceux du monde" ont la vie dévastée par les mines de bauxite (l'ingrédient de base de l'aluminium). L'album se conclut par un topo graphique drôlement documenté sur les sables bitumeux de l'Alberta.
Que ceux qui croient encore que la BD n'est qu'un truc pour enfants se ravisent. Il y a dans les phylactères d'EXTRACTION! du solide journalisme d'enquête.
Le reportage dessiné est un style journalistique en soi, qui mériterait d'être exploré, étudié, encouragé. Il y a décidément quelque chose de fascinant dans cette forme de communication où les faits réels sont portés par le dessin, qui est à la base une interprétation artistique.
Il semble y avoir dans le comix reportage un mariage improbable entre la raison et l'art, entre le rationnel et l'émotif.
C'est peut-être ce qui explique pourquoi la plupart des reportages dessinés font dans le journalisme engagé. Et EXTRACTION! ne fait pas figure d'exception. Il y a une prise de position du journaliste autant qu'une prise du crayon du dessinateur.
N'empêche, le reportage dessiné a de l'avenir. J'aimerais en voir plus. Surtout qu'au Québec, nous avons des bédéistes de talent qui ne demandent qu'une tribune.
J'ose une suggestion. Pourquoi nos quotidiens ne laisseraient-ils pas un peu de place au reportage dessiné? Alors que les éditeurs de journaux se creusent les méninges pour tenter de survivre et de se réinventer dans un monde d'Internet, de CNN et de quotidiens gratuits, voilà peut-être une petite idée…
Qu'on balance les strips poussiéreux de Charlie Brown et qu'on envoie Ferdinand chez le bonhomme. Qu'on libère de l'espace pour quelque chose d'original.
Qu'on nous montre l'Afghanistan, le système de santé ou la commission Bouchard-Taylor en bande dessinée! On y verrait peut-être autre chose…
EXTRACTION!, chez Cumulus Press, 2007, 128 pages
TELÉ /
Philippe Lambillon se fait appeler l'Indiana Jones de la télé. Chaque semaine, il nous transporte dans ses aventures aussi curieuses que fascinantes. Ce dimanche: le sort des enfants esclaves d'Haïti. Aussi, une rencontre avec un sans-abri de São Paulo qui, en fouillant dans les ordures, a réussi à récupérer plus de 10 000 livres, lesquels composent la collection de la bibliothèque d'un squat de 25 étages. Les carnets du bourlingueur, à TV5, le dimanche 16 décembre, 17h30.
Tout à fait d’accord avec cette suggestion … et prêt à soutenir financièrement en tant que lecteur potentiel cette bédéiste idée !
Pourquoi ?
Ben, ma raison confirme toutes celles amenées ici. Et cette raison a été publiée à l’Association, sous le titre Schenzen.
LA raison pour laquelle je hais Kim Jong Ill et toute sa clique de salauds totalitaires.
D’ailleurs, le noir et blanc utilisé par l’auteur de talent fait tellement de choses en même temps avec cet album qu’il serait presque fastidieux de tous les énumérer. Mais je vais vous en donner quelques unes quand même :
1) il décrit le mode de fonctionnement du régime vu de l’intérieur à travers le regard sensible et subjectif d’un artiste étranger catapulté à la « tête » d’une chaîne de montage de dessins animés ;
2) il expose la mentalité manichéenne et le laminage des personnalités grises des gens qui sont pris dans l’engrenage de la propagande permanente du régime de l’omnipotent dictateur ;
3) il réalise graphiquement une succession de case dont l’organisation spatial, si elle demeure spartiate et statique, de page en page, finit par ouvrir les yeux du lecteur sur un monde ou tout semble tellement aseptisé que même la poussière semble avoir déserté cette dictature grisâtre et lunaire.
Depuis « On a marché sur la lune » de Hergé, jamais je n’ai ressenti autant le sentiment de ne pas regarder la vie de gens évoluant sur la même planète que moi… Scary. Mais à consulter ou acheter absolument !
Vos bibliothèques de quartier en sont pleines… et votre librairie indépendante devrait être en mesure de la commander à temps pour Noel.
S’il faut savoir une chose c’est que la bande dessinée n’arrivera jamais à donner tous les détails de l’actualité comme peut le faire un journaliste via toutes les formes de communications : journaux, magazines, télévision, radio et internet; l’actualité est en constante évolution. Les articles d’un reporter peuvent devenir une multitudes de pages où s’alignent les statistiques ou les noms importants de lieux et de gens.
Là où intervient l’artiste de la BD c’est d’adapter les infos du journaliste avec en supplément d’information : le dessin. Mais cette art narratif devient une œuvre figée dans le temps, l’auteur (e) doit donc avec la complicité du journaliste construire une histoire basée sur des faits vérifiables et avec un développement dramatique qui amènera le lecteur à la réflexion. Voilà le défi d’un projet comme « Extraction », et en une vingtaine de pages pour chacun des quatre thèmes :L’Or, L’Uranium, Le Bauxite et Les Sables Bitumineux.
L’exploitation minière Canadienne et ses travers; voilà un sujet qui semble de prime abord rébarbatif. Ce sera donc, comme toujours, aux lecteurs de juger si le message qu’on voulu passer les créateurs du livre sera clair, mais surtout captivant! En complément aux bandes dessinées il y a des textes et un « Making of » qui nous explique cette approche du journalisme par la bande dessinée.