Angle mort

Qui a tiré sur TQS?

Retournons 25 ans en arrière. À une époque où la télé québécoise en français ne comptait que trois chaînes: Radio-Canada, Radio-Québec et TVA.

Une époque où tout allait pour le mieux dans le meilleur des ondes. Enfin… presque.

Car, voyez-vous, plusieurs télévores ne trouvaient pas à l'antenne de nos trois stations de quoi satisfaire leur appétit. Certains trouvaient l'herbe plus verte du côté des réseaux anglophones, considérés alors comme une "quatrième chaîne où les francophones vont chercher ce qu'ils ne trouvent pas ou trop peu aux chaînes francophones".

L'insatisfaction était même chiffrée. Un sondage CROP mené en 1983 montrait que 62 % des téléspectateurs francophones désiraient un deuxième réseau privé de télévision en français.

Entendant les suppliques de la plèbe, le ministre fédéral des Communications, Francis Fox, chargea une firme d'experts, CÉGIR, d'évaluer "l'opportunité et la viabilité d'un deuxième réseau privé francophone".

En février 1984, CÉGIR accoucha d'un épais rapport. Celui-ci décrivait le style de programmation que devrait mettre en ondes ce nouveau réseau pour être viable, novateur, complémentaire et susceptible de ramener au bercail les brebis égarées vers les chaînes anglophones.

Ainsi, ce réseau devrait être jeune, faire place à la relève et viser un public âgé de 29 à 39 ans. Il devrait aussi diffuser des productions populaires étrangères, principalement américaines, en plus de produire des émissions d'information "divertissantes". Ce réseau devrait en outre être urbain et centré sur Montréal. Un peu à l'image de Citytv, une chaîne torontoise reconnue pour ses approches audacieuses en matière d'information (par exemple, l'utilisation de caméra reporters).

C'est donc sur la base de ce rapport que le ministre Fox, en avril 1984, invita le secteur privé à présenter au CRTC des demandes de licence pour un deuxième réseau privé francophone.

En 1985, Jean Pouliot, patron de la station CFCF, obtint cette licence. Et le 7 septembre 1986, Télévision Quatre Saisons entrait en ondes.

La station semblait avoir scrupuleusement suivi les recommandations du CÉGIR. En effet, on y diffusait plusieurs émissions états-uniennes dans la langue d'Yves Corbeil. La relève y avait aussi une belle place. Les samedis soirs appartenaient à cinq méchants garçons à l'humour corrosif: Rock et Belles Oreilles. Du côté de l'information, on "innovait" en repiquant l'idée des caméra reporters à Citytv, et on "divertissait" avec la météo loufoque présentée par Dany Laferrière…

Oui, Télévision Quatre Saisons semblait propre à rapatrier les téléspectateurs ayant déserté la télé francophone.

Malheureusement, le paysage télévisuel était alors en pleine mutation.

Ainsi, à peine TQS commençait-elle à ne pas faire de profits que le CRTC voyait une nouvelle menace poindre à l'horizon. L'explosion des chaînes spécialisées anglophones faisait à nouveau craindre l'exode des auditoires.

En guise de riposte, le CRTC consentit donc à ouvrir toute grande la porte à ce créneau d'avenir: les chaînes spécialisées.

Les licences plurent: MusiquePlus, Canal Famille, RDS, RDI, Canal D, Canal Vie et compagnie. Offertes par abonnement, ces spécialistes jouissaient en outre d'une source de revenus supplémentaire: des redevances perçues à même la facture des abonnés au câble ou à la télé satellite.

En laissant fleurir les "spécialisées", le CRTC a bien freiné l'exode. Il a cependant dilué les auditoires, affaiblissant du même coup les revenus des grands réseaux. Et en refusant toujours d'accorder aux généralistes le droit de percevoir une partie des redevances d'abonnement, le CRTC n'améliore pas les choses.

Conséquence: ce sera le plus faible qui en souffrira le premier. TQS.

Le drame du Mouton noir, c'est d'être arrivé au mauvais moment. C'est d'avoir voulu être une nouvelle chaîne généraliste "dynamique" au moment même où le dynamisme en matière de télévision passait par les chaînes spécialisées.

La crise que traverse aujourd'hui TQS était donc prévisible.

On saura cette semaine si le juge de la Cour supérieure prolongera la période de protection sous laquelle s'est placée la chaîne en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Dans le cas contraire, le réseau criblé de dettes pourrait déclarer faillite, ce qui réduirait au chômage quelque 600 travailleurs. Le Mouton noir innoverait alors une dernière fois en devenant le premier grand réseau québécois à fermer ses portes.

Or, si TQS meurt, ce ne sera pas une balle de Radio-Canada que l'on trouvera près de son cour, comme l'a faussement déclaré la ministre Christine Saint-Pierre la semaine dernière.

Ce sera une balle du CRTC.

MISE À JOUR – 21h04

Bon, évidemment, pour satisfaire les tombées d'un hebdomadaire comme Voir, j'ai livré cette chronique lundi dernier. À une époque où l'annonce de la prolongation de la protection dont jouit TQS n'était pas encore connue. Alors pardonnez le côté rétro de cette chronique, c'est l'actualité qui va trop vite!

Ceci dit, j'ai calculé mon affaire. Il ne faudrait pas grand-chose à TQS pour sortir du trou.

Et la solution pourrait même venir de l'intérieur. En fait si les 600 et quelque employés de TQS décidaient de mettre dans un "pot" environ 100 000$ chacun, ils pourraient en un claquement de doigts renflouer la dette de 69 millions $ du réseau. Après, il ne resterait plus qu'à investir pour relancer la chaîne!

"Piece of cake!" comme dirait les Français!

 
MISE À JOUR – 19 JANVIER

Sur P45, Xavier K. Richard m'inclut parmi les 12 acquéreurs potentiels de TQS. Avant que les rumeurs partent, je tiens à démentir toute rumeur voulant que j'achète le Mouton noir!