On y va tout de suite avec un courriel de M. Lacoste: "M. Proulx, j'aimerais vous lire à propos du phénomène (il me semble que ce soit le cas, mais peut-être que je me trompe) de la complaisance des chroniqueurs culturels québécois vis-à-vis des artistes d'ici."
Je ne crois pas me tromper, M. Lacoste, en vous disant que vous ne vous trompez pas. En effet, les critiques d'ici versent souvent dans la bonasserie lorsque vient le temps de juger de la qualité des produits du terroir.
Précisons un point cependant: le phénomène est plus répandu dans les médias électroniques (télé, radio) que dans la presse écrite. Il semble qu'il soit plus facile d'être franc seul devant son clavier d'ordinateur que devant un micro, une caméra et un public… La pudeur des ondes, j'imagine.
Tenez, j'ai déjà entendu un animateur applaudir en ondes un roman qu'il avait pourtant trouvé – hors d'ondes – d'un ennui mortel…
C'est poche, mais c'est comme ça.
Le magazine du journalisme québécois Le Trente aborde ce mois-ci la question du journalisme culturel. Vous serez content d'apprendre, M. Lacoste, que le phénomène du flattage dans le sens du poil n'a pas été occulté. Loin de là.
L'animatrice de Fréquence libre, Monique Giroux, y va d'ailleurs d'un commentaire révélateur d'une tendance lourde: "Je préfère ne rien dire que de dire du mal d'un artiste en ondes. Je leur dirai dans le privé, mais pas autrement; ce sont mes amis."
Le copinage dans l'univers féerique du journalisme culturel existe. On est ami avec les artistes. On est aussi ami avec les vendeurs d'artistes.
"Les frontières sont tellement floues que des distributeurs de films peuvent nous demander, sans rire, de mettre la pédale douce sur la critique des ouvres québécoises. Soi-disant pour le bien de la Nation", dénonce dans Le Trente la critique au Devoir Odile Tremblay.
Il y a aussi des "vaches sacrées", des artistes dont il faut dire du bien sous peine d'exécution publique. Parmi ces bovins: Céline Dion, Michel Tremblay, Dominique Michel, Richard Desjardins, Janette Bertrand… Tenez-vous-le pour dit: ces gens sont des intouchables.
Entre parenthèses, j'aimerais vous faire remarquer, M. Lacoste que l'éditeur de la maison d'édition Les Intouchables, Michel Brûlé, est dans les faits tout sauf un intouchable. Tout ce qu'il fait – son disque, ces jours-ci – devra être dûment traîné dans la boue par la critique.
C'est ironique, mais c'est comme ça.
Des contraintes physiques rendent aussi la couverture de la culture complaisante. Le critique, M. Lacoste, a besoin de temps et d'espace pour étaler ses arguments, situer l'ouvre dans son contexte, etc. Or, lorsqu'on lui donne une minute ou 25 lignes pour parler d'une ouvre, ce critique n'a ni le temps ni l'espace pour pondre autre chose qu'une plogue. Il dit que c'est "bien bon" et donne les dates du show. Point.
Ces contraintes finissent par faire de plusieurs journalistes culturels de simples courroies de transmission.
C'est particulièrement le cas à la télé, observe le critique musical au Devoir Sylvain Cormier: "L'espace promotionnel de la télévision a réduit l'espace critique. Les émissions matinales sont quasiment obligées de ne dire que du bien des artistes."
C'est poche, mais c'est comme ça.
Copinage, vaches sacrées et manque d'espace. Ajoutons des impératifs économiques pour couronner le tout. Car les annonceurs culturels peuvent retirer leurs annonces d'un média qui laisserait sévir un critique ayant la fâcheuse manie d'appeler la merde par son nom…
Voilà pourquoi, M. Lacoste, vous avez l'impression fort juste que les critiques d'ici sont complaisants avec les artistes d'ici. Oui, on minouche plus qu'on ne taloche.
Cela représente un véritable problème. Les médias, et tout spécialement la télévision, faillent à la tâche d'offrir une couverture culturelle libre, pertinente, diversifiée.
Qui gagne à ce petit jeu? Difficile à dire.
Le consommateur de culture a du mal à trouver des sources auxquelles se fier. Les médias et les journalistes culturels perdent de leur crédibilité. Et les artistes, couverts de faux éloges, n'ont pas de quoi être fiers…
C'est poche, M. Lacoste, mais c'est comme ça.
Début de deux séries documentaires à Historia. L'Histoire du peuple juif (cinq épisodes, dès le vendredi 8 février, 20 h) démarre avec l'histoire de Moïse et du buisson ardent. À la conquête du pôle Sud, série de la BBC, raconte en six épisodes les expéditions risquées des premiers explorateurs du dernier continent (dès le mercredi 13 février, 20 h). Conclusion de la télésérie Les Lavigueur, la surprise de l'hiver, même si cette prétendue "vraie histoire" n'était pas toute, toute vraie au fond… (Radio-Canada, le mardi 12 février, 21 h)
MISE À JOUR 11 FÉVRIER
Patrick Lagacé commente ma chronique dans son blogue:
Je pense bêtement que les journalistes de l’écrit ont, EN GÉNÉRAL, une
plus grande distance envers le showbiz québécois pour une raison bien,
bien simple : ils ne font pas partie du jet-set.
Ça me rappelle que j'avais écrit quelque chose de semblable sur ce blogue en mai dernier:
Le journalisme culturel, principalement dans les médias électroniques (radio, télévision), est effectivement l'expression de cet art millénaire qu'est le Flattage dans le Sens du Poil. J'ignore un peu pourquoi. En fait, j'ai peut-être une hypothèse. Selon moi une partie de l'explication vient probablement du médium. La télévision, par exemple, a besoin de l'image de la vedette, de l'artiste, du créateur. Elle a besoin d'une entrevue qui sera enregistrée sur une cassette et diffusée sur des ondes. Pour arriver à avoir la vedette devant sa caméra, le journaliste a donc dû s'astreindre à quelques courbettes, quelques pirouettes, quelques "Monsieur Chose s.v.p., quelques mots pour Radio-Canada!" À la fin de l'entrevue, il y a une poignée de main. Un "Merci, merci beaucoup à bientôt!" Et voilà. L'échange est humain. D'où un certain savoir-vivre, un minimum de politesse, un désir de ménager les sensibilités et de créer avec la vedette une impression de complicité. Tout simplement parce que le journaliste télé DOIT avoir cette complicité pour réussir à convaincre la vedette de se laisser filmer. Le journaliste de l'écrit a moins besoin de ce contact physique avec la vedette. On va voir le spectacle et on fait une critique par rapport à l'oeuvre présentée. C'est bon ou c'est pas bon. Dans bien des cas, une entrevue avec la vedette n'est même pas nécessaire. Mon hypothèse sur la gentillesse tient-elle la route, selon vous?
J’applaudis bien fort le courage d’avoir tapé sur Michel Brûlé. Je l’attendais celle-là!
Il semble bien que le proverbe « les paroles s’envolent et les écrits restent » se vérifient aussi dans le domaine des critiques culturels. En plus, le copinage reste un problème important; le petit monde québécois de la culture n’est pas étranger à cette situation attristante. A-t-on déjà entendu un critique culturel de la télévision mettre des bémols sur la supposée performance incroyable de Céline Dion à Las Vegas. Cette unanimité m’apparaît suspecte. Puisque tous les goûts sont dans la nature, il y a bien un critique qui doit s’ennuyer devant un tel spectacle. Si le critique n’aime pas, il se fait remplacer ou il n’en parle pas; c’est la loi de l’omerta. Mais ces accommodations se retrouvent aussi dans le domaine politique et cette tendance s’alourdit.
Il semble que le phénomène du bouc émissaire permet de garder cette unanimité de façade. Je m’explique. Il y a des des têtes à claques que tout le monde se farcit sans peur de représailles pour sa petite carrière: les échevins d’Hérouxville, les derniers films de deux Arcand, les cols bleus de Montréal, etc.
Vous parlez des complaisants, j’ajouterais des rapporteurs officiels comme le père Ovide auprès de Séraphin. Ils rapportent l’événement au public en le décrivant plutôt qu’en analysant ces forces et ces faiblesses. On veut plaire à tout le monde, c’est tellement plus facile.
La semaine dernière, un de vos collègues, monsieur Desjardins, faisait sa chronique sur le difficile métier de critique culturel. Il affirmait que le critique est une personne férue de connaissances et que son expertise l’autorisait à porter un jugement sur les livres et les spectacles. On aimerait que cette expertise transparaissent plus souvent dans les commentaires que nous entendons et lisons quotidiennement. À ce titre, madame Odile Tremblay représente un modèle à suivre. On peut être en désaccord avec les opinions qu’elle émet, mais,au moins, elle en exprime.
À une certaine époque, Robert Lévesque était le critique de théâtre dans le journal Le Devoir. Il a rarement eu des mots tendres pour ce milieu. Même si j’ai très rarement, pour ne pas dire presque jamais d’accord avec ses critiques, je les lisais car j’aimais son style.
Une fois, j’ai lu sa critique du spectacle de Pol Pelletier: il a adoré! Alors que certaines personnes se disent que si les critiques aiment, ça doit être « plate », j’ai décidé d’aller la voir pour savoir ce qui avait tant touché ce critique difficile. J’ai bien fait d’aller voir ce spectacle, au 55 Prince, à l’époque. Le seul problème que j’avais avec la critique qu’il avait fait dudit spectacle, c’est qu’on ne peut écrire ce qu’on a pu ressentir de ce moment merveilleux.
Parfois, je me fie aux critiques pour aller voir un film, un spectacle. Parfois, je ne m’y fie pas. Malgré la qualité de ceux-ci, le contenu de leur texte me permet de décider si j’y vais ou non, me fiant ou non à leur opinion. Parfois, j’ai raison de les écouter, d’autres fois, non. Il faut savoir déchiffrer les critiques écrites et connaître leurs auteurs afin de savoir si notre avis pourrait différer du leur.
Il ne faut pas laisser les critiques décider, mais les analyser pour faire le meilleur choix possible. Ce qui n’est pas toujours évident, je l’avoue. Mais on peut avoir parfois de belles surprises.
J’ai une amie qui est du milieu et souvent nous échangeons sur les oeuvres que nous voyons. Elle me confiait que dans le milieu artistique qu’elle cotoie, si les gens aiment, ils le disent sinon ils n’en parlent pas ou ils insistent sur la performance de leur ami(e) qu’ils ont bien apprécié. Jamais de commentaires négatifs. Effectivement, Monique Giroux n’est pas le seule, loin de là.
Voilà bien selon moi une conséquence inévitable de la proximité des intervenants de notre petit monde artistique. Comme sur une procuration pour une assemblée d’actionnaires, tu votes pour ou tu t’abstiens. Il serait plus facile de porter un jugement si comme Françoise Kayler, ancienne critique de restaurant de La Presse, si le critique était anonyme. Pour un Claude Gingras sur cette terre, combien de Monique Giroux ?
Mais sincèrement, pour combien de personnes est-il facile de dire des mauvais commentaires sur le travail de quelqu’un qui présente des mois de travail et souvent beaucoup plus de recherche de financement? Moi-même, spectateur curieux et « critique » amateur, il m’arrive de m’abstenir plutôt que d’exprimer un jugement négatif. Il faut aussi se rappeler que même amenée sur un terrain technique et objectif, l’oeuvre est d’abord perçue par des sens et décoder par un cerveau et cela, dans certaines circonstances. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le jugement.
Malheureusement pour le milieu artistique, où l’offre est grande et le porte-feuille limité, il est préférable que le consommateur se fasse guider. Et un bon critique devrait pouvoir trouver les mots pour ménager la susceptibilité de l’artiste et bien informer celui qui est ultimement responsable de son emploi.
Je me rattrape dans mes lectures, si une telle chose se peut… Sur MédiaMatinQuébec… Le pas très humble
Merci M. Proulx d’avoir si bien répondu à mon interrogation. Comme vous dites, c’est poche, et c’est d’autant plus poche que la grande majorité des gens croit dur comme fer que tout ce qui est véhiculé dans les médias est neutre et objectif. Des articles comme le vôtre serviront peut-être à ouvrir quelques yeux… c’est à espérer du moins.
Pingback depuis » Archive du blog » Humour et r??alit?? vs religion et violence
Au sujet du film Les pieds dans le vide , La Clique du Plateau pose la question qui tue et écorche la