Angle mort

René, l’infopub

                     

                           "Sois pas triste, René, un jour on fera des séries télé sur toi."

La première saison de la minisérie René, diffusée à l'automne 2006, avait laissé au public une impression de coït interrompu en s'arrêtant juste avant que le Parti Québécois accède au pouvoir.

Tant qu'à avoir commencé le travail, aussi bien le terminer. C'est maintenant chose faite.

Cette seconde partie, en quatre épisodes d'une heure, boucle la boucle. René, le destin d'un chef raconte la consécration politique et la chute de Lévesque. Les années 1976 à 1985. De grosses années péquistes qui ont connu l'élection du PQ en 1976, l'affaire des Yvette, le Référendum de 1980, la nuit des longs couteaux, l'éjection de René par son propre parti et son retour à la vie de simple citoyen.

On retrouve un René Lévesque (Emmanuel Bilodeau) plus grisonnant. Autour de lui gravitent de grandes figures: Jacques Parizeau (Germain Houde), Claude Charron (François Chénier), Lise Payette (Dominique Pétin). Le psychiatre Camille Laurin (Benoît Gouin) veut lancer une "psychothérapie collective" pour régler les problèmes d'identité des Québécois. Claude Morin (Guy Nadon) vend des informations à la GRC, ce qui donne à l'ouvre des airs de roman d'espionnage.

Bref, il y a là matière à péripéties, à intrigues, à frissons. J'ajouterais même une chose: cette série donne le goût du pays.

En dramatisant les luttes de ce demi-dieu de la mythologie locale, un homme qui s'est battu au péril de sa santé pour l'indépendance de son peuple, René pourrait faire repartir la fournaise à rêves chez certains souverainistes refroidis par les étapismes du PQ moderne.

Au visionnage de presse la semaine dernière, le réalisateur Pierre Houle (Bunker, le cirque, Omertà) se défendait bien d'avoir voulu mythifier Lévesque.

N'empêche, le seul fait de lui consacrer une minisérie de 6,4 millions de dollars et de la diffuser d'un océan à l'autre à heure de grande écoute est, en soi, un geste "mythificateur".

Dans nos sociétés télévisuelles, on mythifie plus efficacement au petit écran qu'en érigeant des statues.

Certes, les faits sont rapportés avec rigueur. Dans René, nous sommes loin des enjolivures et des inventions "scénaristiques" de la fabuleuse "vraie histoire" des Lavigueur, présentée à la SRC cet hiver.

Il s'agit néanmoins d'un récit dramatique. Et il est dans la nature du récit d'avoir un penchant pour le héros.

Lévesque, dans la minisérie, est un héros beurré d'humilité, dont les quelques travers ne font que rendre plus crédibles ses extraordinaires qualités humaines. Il poursuit sa quête, la souveraineté du Québec, malgré les embûches et les vilains qu'il rencontre sur sa route. Parmi ceux-ci: Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada, confiné au rôle de fendant de service. Dans René, il n'apparaît que pour asséner un coup dans les côtes de notre héros, au tournant d'une réplique cinglante.

Forcément, en suivant ce récit, même le plus rouge des fédéralistes finira par prendre pour René. Forcément, on comprend et on respecte sa quête. Forcément, plusieurs quitteront cette série avec l'envie d'un Québec libre.

Je ne suis pas en train de le déplorer, comprenez-moi bien. Je constate seulement la force d'influence du récit par rapport à l'exposé factuel.

C'est d'ailleurs ce que démontre Christian Salmon dans son essai Storytelling (La Découverte). Sachez-le, pour rallier des gens à votre cause, lâchez les slogans, les arguments et les "conversations nationales": racontez-leur plutôt une histoire avec des bons et des méchants.

Voilà pourquoi, par la bande, la série René, le destin d'un chef est une belle infopub pour le mouvement indépendantiste. Appelons cela du marketing indirect.

Bien sûr, il ne faut pas le dire trop fort.

La série, produite en anglais et en français, est tout de même diffusée sur les ondes de Radio-Canada/CBC, un réseau pancanadien financé par des fonds fédéraux.

Vous comprendrez que de mettre à l'antenne d'une télévision d'État une série qui use de la puissance du récit pour célébrer le projet souverainiste… c'est un peu délicat.

René, le destin d'un chef, à Radio-Canada dès le mardi 25 mars, 20 h.

TÉLÉ /

Alors que Québec fête son 400e anniversaire, il serait temps de trancher la question une fois pour toutes. Québec a-t-elle bel et bien été fondée par Samuel de Champlain… ou plutôt par son patron, un protestant du nom de Pierre Dugua de Mons? Dans cette série en deux épisodes, des historiens bousculent le mythe du "fondateur unique" de la ville de Québec. Enquête Champlain, à Historia, dès le 20 mars, 20 h.