Angle mort

La chasse est ouverte

Depuis le 1er septembre 2007, la Société Radio-Canada est soumise à la Loi sur l'accès à l'information. En théorie, cela signifie que le contenu de ses classeurs est désormais accessible aux Canadiens.

Allais-je bouder mon plaisir? Nenni!

Comme plusieurs, j'ai soumis à Radio-Canada mon humble requête, le 12 février dernier.

J'ai demandé une copie de toutes les demandes d'accès à l'information ayant été soumises à la SRC depuis que la SRC est soumise à la Loi sur l'accès à l'information. Tout simplement.

La réponse m'est parvenue par la poste deux mois plus tard, sur un beau disque compact doré.

Ledit support contenait un document PDF énumérant dans la langue envoûtante des fonctionnaires la nature des 513 premières demandes d'accès à l'information traitées par la SRC.

Ainsi, la cinquième demande exigeait une copie des documents montrant les salaires, primes et comptes de dépenses de l'ex-P.-D.G. de Radio-Canada, Robert Rabinovitch. On sait aujourd'hui que les auteurs de cette demande étaient des journalistes de La Presse qui, en mars dernier, ont dévoilé que M. Rabinovitch avait dépensé plus d'un tiers de millions de dollars en restaurants, billets d'avion et luxueuses chambres d'hôtel lors des trois dernières années de son mandat.

Les 512 autres demandes portaient sur mille et un sujets. Combien gagnent Guy A. Lepage, Bernard Derome ou Véronique Cloutier? Quels revenus sont tirés du placement de produit dans les émissions diffusées à Radio-Canada? En quoi consistait l'entente commerciale signée entre La Presse et Radio-Canada en 2001? Combien a coûté le procès opposant Radio-Canada aux créateurs de la télésérie sur Félix Leclerc? Et ainsi de suite.

En parcourant le document, une chose m'a sauté aux yeux.

J'avais devant moi le portrait des soupçons pesant sur la Société Radio-Canada.

Tout ce qui est louche ou potentiellement scandaleux a fait l'objet d'une demande d'accès à l'information.

Et parmi toutes les demandes, un nom revenait sans cesse: Sylvain Lafrance, le vice-président principal des services français de Radio-Canada.

10 % des 513 premières demandes le concernaient directement.

On voulait connaître son salaire, ses dépenses, ses avantages marginaux, son allocation pour ses habits et son auto, les points sur sa carte AirMiles, le coût de son membership à des clubs privés. On exigeait le prix d'un certain voyage à Majorque (Espagne) et, si possible, une preuve montrant que M. Lafrance a demandé la permission de voyager en première classe. On cherchait des pièces justificatives qui prouveraient que le v.-p. s'est fait rembourser par Radio-Canada des montants pour l'entretien ménager de sa résidence ou de son bateau.

Bref, on voulait savoir si le boss mène la grosse vie "sur le bras".

Une vraie chasse à l'homme.

J'ai d'excellentes raisons de croire – même si je n'ai pas de preuves – que cette chasse est menée par des journalistes.

Car la Loi sur l'accès à l'information est un truc du métier pour faire sortir le scoop croustillant.

On exige des comptes de dépenses et on trouve que le maire de Ville-Marie a dépensé 8520 $ dans les restaurants en 2007, que le patron de Téléfilm Canada a dépensé plus de 100 000 $ en frais de voyages, que l'ex-lieutenant-gouverneur du Québec s'est payé un "garden party" à 59 000 $.

On en fait la une de son journal.

On s'épivarde sur le sujet pendant trois jours.

Et on passe à autre chose.

Il est intéressant de noter qu'un mécanisme de transparence, mis en place par le gouvernement lui-même, a tout pour alimenter le cynisme de la population envers les institutions publiques.

La raison en est simple. On trouve habituellement ce que l'on cherche.

Or, nul n'utilise cette loi pour savoir si un dirigeant d'une société d'État ramène du travail à la maison ou fait des heures supplémentaires pour boucler des dossiers importants.

Un patron qui travaille fort, ça ne fait pas la manchette.

On cherche plutôt à savoir s'il s'est fait rembourser un billet d'avion en classe affaires, alors qu'il aurait pu voyager en classe économique.

C'est ce qu'on cherche, c'est ce qu'on trouve, et c'est ce qu'on publie.

Sylvain Lafrance sera-t-il le prochain patron d'une société d'État à faire scandale en vertu de la Loi sur l'accès à l'information? Aucune idée.

Mais la chasse est ouverte.