Angle mort

Le mauvais goût

         

Peu de gens le savent, mais je possède un sixième sens. Je détecte le mauvais goût.

Ainsi, quand j'emprunte le boulevard Taschereau, j'ai des picotements. Une sensation déplaisante, mais tolérable.

Par contre, ça me démange carrément lorsqu'une forme de mauvais goût cent fois pire que la quétainerie m'éclate au visage. Et j'ai nommé: le mauvais goût mercantile.

Prenons l'affaire des pogos.

La semaine dernière, des publicitaires ont eu l'idée lumineuse de semer aux alentours de deux écoles montréalaises, fréquentées par des enfants, des affiches faisant allusion à la forme pénienne de ce mets composé d'une saucisse enrobée de pâte. On pouvait y lire des slogans tels que: "J'ai un gros boutte", "As-tu vu mon boutte?" et "Ma saucisse est bien dressée".

Que de mauvais goût!

S'il y a quelqu'un qui a exploré le domaine du mauvais goût, c'est bien l'auteur des Bougon, François Avard (rappelez-vous la scène du furet dans l'anus).

Or, je l'entendais récemment dire lors d'une conférence que le rôle de l'humoriste était de "voir le pygmée dans la même cage que l'orang-outan".

Explications.

À l'époque des explorateurs du 18e et 19e siècles, la majorité des Occidentaux n'avait pas l'occasion de voir de près les richesses exotiques des "Nouveaux Mondes" lointains: l'Afrique, l'Amérique, les Indes… Pour compenser, on apporta donc l'exotisme au peuple.

C'est ainsi que des "sauvages" des quatre coins du globe furent exhibés devant des foules de curieux. Des Esquimaux, des Zoulous, des "étranges" de toutes les couleurs dans leurs tenues traditionnelles.

On présentait parfois ces gens comme le chaînon manquant entre le singe et l'homme. En 1906, au zoo du Bronx, on a même décidé de placer dans une cage un pygmée du nom d'Ota Benga, juste à côté d'un orang-outan.

Quarante mille personnes se déplaçaient chaque jour pour voir celui qu'on appelait alors l'"homme sauvage". C'était ludo-éducatif.

Pour Avard, voir "le pygmée dans la cage de l'orang-outan", c'est discerner le mauvais goût là où tout le monde voit la normalité.

Mais laissons les pogos et les pygmées un instant pour en venir au sujet de cette chronique: les "confidences exclusives" de Nathalie Simard à TQS et au magazine La Semaine.

Oh oui! Mon radar à mauvais goût s'est fait aller le moineau la semaine dernière…

L'entrevue de Nathalie Simard avec Jean-Luc Mongrain n'était pas le problème en soi.

Le véritable mauvais goût dans toute cette histoire s'est trouvé dans la commercialisation de ces fameuses "confidences". Étant donné la nature délicate et intime du sujet, on aurait pu faire preuve d'un peu de sobriété.

Pour annoncer l'entrevue, TQS a commencé par envoyer aux journalistes un communiqué se lisant ainsi: "Nous sommes déterminés à faire de TQS une antenne encore plus forte et dynamique et à l'avenir il faut s'attendre à ce que nous diffusions des émissions collées sur l'actualité comme celle qui sera présentée jeudi soir."

Traduction: "Nous venons de jeter les bulletins de nouvelles aux poubelles, mais soyez sans crainte, nous serons toujours au rendez-vous lorsque l'actualité sera susceptible de générer de grosses cotes d'écoute."

Le Mouton noir se sert pratiquement du drame de Nathalie Simard pour se refaire une image.

Que de mauvais goût!

Ce n'est pas tout.

Le jour de la diffusion de l'entrevue, un deuxième communiqué de TQS a été émis. Celui-ci donnait un aperçu des "révélations" de Nathalie. Tout était là pour nous mettre l'eau à la bouche. Les passages les plus croustillants de l'entrevue ont même été mis en caractère gras et soulignés pour qu'on ne les rate pas: "Elle nomme son agresseur pour la première fois!"

On se félicite de lui avoir fait cracher le morceau.

Que de mauvais goût!

Au lendemain de la diffusion de l'entrevue, un troisième communiqué nous a annoncé fièrement que l'émission spéciale avait attiré 861 000 téléspectateurs, et qu'on étirerait encore la sauce dans la prochaine édition du magazine La Semaine.

Ceux qui ont fait leur beurre avec le vécu pathétique de Nathalie Simard se justifient en disant que c'est ce que le public veut voir. Soit.

Il y a un siècle, le public voulait aussi voir le pygmée à côté de l'orang-outan…

TELE /

En 1960, on écrivait au sujet de Claude Lelouch: "Souvenez-vous bien de ce nom, vous n'en entendrez plus jamais parler." Après 41 films, le cinéaste d'Un homme et une femme (1966) fait encore parler de lui. Lors d'un trajet Paris-Deauville en voiture, Lelouch raconte son amour du cinéma et se remémore les grandes scènes de sa vie. À voir. Claude Lelouch, on s'aimera, à TV5 le jeudi 15 mai, 21 h 30.