Angle mort

L’importance d’un bon appât

          
Au temps des premiers journaux québécois, il valait mieux être politicien pour être pris au sérieux en tant que journaliste.

Et au début du siècle dernier, période fertile pour les journaux jaunes, les scrupules n'étouffaient pas tellement les pisse-copie. Des journalistes sont déjà allés jusqu'à déplacer d'une scène de crime le cadavre d'un homme assassiné afin de pouvoir le photographier dans le confort de la salle de rédaction!

Imaginez.

Avant de devenir l'activité somme toute respectable qu'elle est aujourd'hui, la presse écrite est passée par bien des errata, bien des combats pour la liberté de presse et quelques interprétations créatives de ce concept ambigu qu'est l'objectivité.

C'est ce que j'ai retenu des pages jaunies d'un vieux bouquin que m'a offert mon beau-frère, La lutte pour l'information de Pierre Godin, publié en 1981.

Un instructif ouvrage qui retrace l'évolution de la presse écrite au Québec.

En guise de conclusion, Godin livre une réflexion sur l'avenir des journaux.

Et c'est avec surprise que l'on constate qu'il y a 27 ans les inquiétudes entourant la presse écrite étaient à peu près les mêmes qu'aujourd'hui: revenus publicitaires en stagnation, baisse du lectorat, concentration de la presse et concurrence des médias électroniques.

Là-dessus, l'ancien éditeur du magazine L'actualité, Jean Paré, soutient qu'à cause de la télévision qui occupe de plus en plus de place dans les chaumières, les gens ont moins de temps à consacrer aux journaux. "Le quotidien de l'avenir […] n'exigera pas plus de vingt minutes de lecture", prédit-il.

Il ne pouvait pas mieux dire.

À l'heure actuelle, après seulement sept ans d'existence, Métro – qui se lit justement en vingt minutes – est le quotidien le plus lu sur l'île de Montréal.

Il faut le faire.

Discours connu, l'arrivée des nouvelles technologies faisait aussi craindre la "mort des journaux" en 1981.

Sauf qu'à l'époque, le gadget sensé remplacer le journal était un ordinateur, appelé Télidon, qui devait permettre au commun des mortels de consulter son quotidien sur l'écran de télévision.

Bon, le Télidon a fait patate assez vite.

Mais l'idée d'un quotidien qu'on lit à l'écran a été rendue possible juste un peu plus tard grâce à une invention que Pierre Godin ne pouvait pas encore bouledecristalliser: le Web.

Parce que le Web, les journaux payants ont de moins en moins la cote.

Même s'ils coûtent moins cher qu'un café, plusieurs préfèrent s'en passer.

Chaque mois, un titre s'éteint.

C'est triste, mais ça l'est surtout pour l'industrie de l'imprimerie et des pâtes et papiers.

L'industrie de la presse écrite, elle, peut toujours s'adapter.

Parce que le Web, elle doit toutefois conjuguer avec deux nouvelles donnes: la gratuité et la surabondance.

Avec le Web, le lecteur s'est habitué au contenu gratuit. Qu'il s'agisse d'un long reportage dense et touffu ou d'un simple billet de blogue pondu sur le pouce au bout d'un Blackberry, l'information ne doit avoir qu'un prix: 0 $. Pour se financer, l'entreprise de presse refile plutôt la facture aux annonceurs.

Avec le Web, le consommateur d'information a aussi accès, chaque jour, à un nouveau tsunami d'actualités.

Or, parce que le lecteur a tout ce qui l'intéresse au bout du clic, et gratuitement, il n'a jamais été aussi important pour l'industrie de la presse écrite de se doter de bons appâts.

C'est vrai, comment attirer l'attention dans ce brouhaha informationnel?

Il faut des sujets qui excitent, qui séduisent, et jamais jusqu'ici le concept du "titre qui accroche" n'a été aussi étudié.

Les quotidiens ont toujours mis à la une leur texte le plus susceptible d'intéresser la clientèle. Ce n'est pas nouveau. Par contre, puisque sur le Web le lecteur choisit désormais de lire ou pas un article, l'appât doit faire mouche à tous les coups.

Et c'est ici que nous voyons poindre une nouvelle menace.

L'industrie de la presse écrite devra éviter que l'obligation d'appâter le lecteur se fasse au détriment d'une information libre, pertinente et de qualité.

Après toutes ces luttes pour l'information, ce serait con d'en arriver là.

TELE /

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