Angle mort

L’information en chaloupe

Nous sommes la semaine dernière, devant les bonzes du CRTC.

À la question "Comment TQS compte-t-elle couvrir la Traversée du lac Saint-Jean sans journalistes?", le vice-président programmation du Mouton noir, Louis Trépanier, répond sans rire: "On va sûrement trouver le moyen de la filmer avec une webcam à bord d'une chaloupe."

Insérer ici les rires en canne.

Dire que lorsqu'il a été promu à ce poste en 2006, Louis Trépanier souhaitait que l'information à TQS soit plus rigoureuse, qu'il y ait moins de "confusion des genres" entre la nouvelle et le commentaire.

Cette époque doit lui sembler loin derrière.

Car le nouveau credo du Mouton noir en matière d'information, c'est l'info sans journalistes.

Si tout va comme prévu, des émissions informatives du style L'Avocat du diable remplaceront bientôt les bulletins de nouvelles.

Des émissions qui commenceront par "Avez-vous lu ça dans le journal à matin?", à bord desquelles des opinioneux vogueront sur les flots de l'actualité du jour.

On l'imagine bien, l'information en chaloupe de M. Trépanier.

Ce n'est pas tout. TQS entend aussi demander aux citoyens de ramer. C'est ce qu'ont annoncé les frères Remstar dans une lettre aux journaux le 2 juin dernier: "Nous inviterons […] les citoyens à être partie prenante de l'information véhiculée, par leurs témoignages, l'expression de leurs opinions et leurs interactions avec les animateurs et analystes."

Pour les jeunes patrons, il s'agit là d'un moyen de "démocratiser l'information".

Ah! La démocratie! On l'attendait celle-là.

Le problème, c'est que la "démocratisation" suggérée par Remstar n'est rien d'autre qu'une façon de satisfaire aux exigences du CRTC sans trop dépenser…

Mais gardons l'esprit ouvert.

Le commentaire et l'opinion sont en soi une forme d'information.

On s'en sert pour offrir un nouvel éclairage sur les événements, pour mettre en relief certains aspects d'une nouvelle ou pour confronter des points de vue divergents.

Éclairée ou pas, l'opinion n'est pas inutile. Loin de là.

Mais il faut appeler les choses par leur nom: le commentaire, l'analyse, l'opinion, etc. sont des produits dérivés de l'information.

Sans l'information, la vraie, ils n'existent pas.

Et c'est avant tout parce que ces dérivés de l'information coûtent moins cher à produire que l'on voit de plus en plus de médias se spécialiser dans ce que j'appelle "l'économie du commentaire".

La tendance est lourde, et elle ne concerne pas seulement TQS.

C'est vrai. Pour un seul journaliste qui a fouillé le passé de Julie Couillard, combien de commentateurs patentés ont repris la nouvelle en y ajoutant leur grain de sel?

Il est là, le cour du problème.

Tranquillement, puisqu'il est budgétairement parlant plus rentable pour un média de verser dans le commentaire – surtout si ce commentaire est fourni gratuitement par un citoyen dévoué -, il y a comme un déséquilibre qui s'installe.

Le rapport State of the News Media 2008, publié par Project for Excellence in Journalism, note qu'un nombre de plus en plus restreint de sujets d'actualité sont couverts par les médias.

En revanche, plusieurs sites Web se contentent de réemballer des nouvelles produites ailleurs. C'est aussi ce que font plusieurs journaux qui allègent ou ferment carrément leurs salles de rédaction. C'est enfin ce que s'apprête à faire TQS.

Résultat: l'économie du commentaire a le vent dans les voiles.

Par contre, ceux qui vont dehors, qui flairent les scoops, qui se tapent des rapports d'organismes publics, qui remplissent des demandes d'accès à l'information, qui cultivent leurs sources et qui finissent, à force d'efforts acharnés, par dévoiler de légers larcins comme le scandale des commandites; ceux qui en fin de compte fournissent le suc dont se gavent les opinioneux… ceux-là trouvent les temps durs.

Or, il me semble que cette dévaluation du travail journalistique au profit du commentaire représente une vraie menace à la démocratie.

Par ailleurs, lorsque les nouveaux matelots de TQS prétendent vouloir "démocratiser l'information" avec leur chaloupe, ils prouvent combien les concepts de démocratie et d'information leur échappent.

Ils prouvent aussi qu'ils ne sont pas dignes d'être à la barre d'un tel bateau et que, par conséquent, le privilège de le gouverner devrait être offert à un autre capitaine.

C'est ce que devra décider le CRTC dans les prochaines semaines.

TELE /

Radio-Canada diffuse la version française de Little Mosque on the Prairie, série qui a tant fait jaser dans le ROC l'automne dernier. L'histoire: les aventures d'une communauté musulmane installée au cour d'un village des Prairies canadiennes. Quelqu'un a pensé envoyer une cassette à Hérouxville? La Petite Mosquée dans la prairie, dès le jeudi 12 juin, 19 h 30, à Radio-Canada.