Angle mort

L’enfance est out

Lisez-vous le magazine Cool, charmante publication pour jeunes filles modernes? Moi non plus. Or, il s'agit d'une lecture obligatoire pour qui veut traiter d'hypersexualisation chez les jeunes.

L'air un peu con devant la caissière du kiosque à journaux, je me suis donc procuré la dernière édition dudit magazine.

"Euh. Ce n'est pas pour moi… C'est pour un article."

Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour ce foutu droit du public à l'information?

Cool était livré dans une enveloppe de plastique renfermant un joli bracelet à trois sous, que je me suis empressé de sacrer aux vidanges, et une valise miniature du Banquier; quand on l'ouvre, il y a un miroir pour se maquiller.

À l'intérieur du magazine: des tests, des tests et encore des tests. "Ton kick et sa nouvelle blonde: est-ce que ça va durer?" "Quelle sera ta chaussure de l'été?" "Quelle fille de plage es-tu?".

Sujets classiques.

En 2003, Caroline Caron, doctorante en communication à l'Université Concordia, a publié une étude sur les valeurs véhiculées dans les magazines d'adolescentes. "Près des deux tiers des articles publiés dans la presse féminine pour adolescentes insistent sur l'importance de la beauté, de la mode, des relations avec les garçons, de l'hétérosexualité et des vedettes masculines", écrivait-elle.

Si Cool s'adressait aux jeunes filles de 13 à 15 ans, cela passerait encore. C'est l'âge, comme on dit, pour s'intéresser aux garçons et au maquillage.

Sauf qu'il y a un hic. Des adolescentes de 13 à 15 ans au Québec, il y en a 141 203, selon l'Institut de la statistique du Québec (2007).

Or, le lectorat de Cool compte 490 000 personnes, selon le rapport PMB 2008.

Admettons que toutes les Québécoises de 13 à 15 ans lisent Cool – ce qui est déjà impossible -, qui sont les supposés 348 797 autres lecteurs?

Des garçons de 14 ans qui veulent savoir quel maillot reflète leur personnalité?

Des étudiantes universitaires prêtes à flamber 4,35 $ pour découvrir quel gars de Simple Plan est fait pour elles?

Soyons sérieux.

Ce magazine recrute son lectorat chez les jeunes filles de 9, 10, 11, 12 ans.

Des préadolescentes qui sont encore à l'âge où l'on collectionne les effaces parfumées, où l'on joue à la tague malade et à l'élastique.

Des enfants qui ne devraient pas avoir à se demander quel est le meilleur endroit pour une première date avec le "beau Simon".

Des enfants que ce magazine faussement cool vieillit trop vite…

Remarquez, le truc existe aussi à la télé. Les producteurs interrogés sont clairs là-dessus: des émissions montrant des jeunes de 15 ans traversant des intrigues de jeunes de 15 ans sont le plus souvent conçues pour toucher aussi les jeunes de 10 à 14 ans.

Encore une fois, on plonge des gamins dans des préoccupations d'ados.

POURQUOI EN EST-IL AINSI?

En partie parce qu'il y a trop peu d'enfants de 10-11 ans au Québec pour justifier l'existence d'une émission ou d'un magazine conçu spécifiquement pour leurs besoins.

Alors, les médias pour jeunes font comme les écoles de rang du temps d'Émilie Bordeleau. Tout le monde dans la même classe… des prépubères jusqu'aux grands flancs mous!

Ce n'est pas l'idéal.

"L'enfant baigne dans un environnement qui est toujours un peu plus vieux que son âge", observe Carmen Bourassa, productrice d'émissions pour enfants chez Téléfiction. Elle produit entre autres Toc toc toc, une série destinée aux petits de cinq et six ans, diffusée à Télé-Québec et à Radio-Canada.

D'ailleurs, à propos de cette émission, Carmen Bourassa a une anecdote amusante à raconter.

L'automne dernier, au Salon du livre de Montréal, des enfants de 8-9 ans arrêtaient au kiosque de Toc toc toc pour demander des affiches de l'émission.

"Vous n'êtes pas un peu trop grands pour regarder Toc toc toc?", demandait-on aux jeunes.

Pas du tout. Même qu'ils connaissaient les noms de tous les personnages!

Plus encore, Carmen Bourassa a reçu la vidéo d'écoliers de 3e année qui ont recréé un épisode de la série en classe.

"On s'est demandé si, avec Toc toc toc, on n'était pas aussi en train de combler un besoin chez les enfants de cet âge, qui sont toujours tirés vers des émissions qui les amènent dans des préoccupations d'adolescents…"

Possible.

Alors que les médias full cool font tout pour que l'enfance soit out au plus "sacripant", l'enfant cherche une place tranquille pour laisser s'évader son imaginaire.

Et à 8 ou 9 ans, aussi étrange que cela puisse paraître, c'est dans une émission conçue pour les petits d'âge préscolaire que plusieurs se réfugient…

Comme quoi l'enfance trouve toujours son chemin.