Angle mort

Pop-corn et autres menteries

Jusqu'où la publicité peut-elle mentir pour attirer l'attention? L'autre jour, un courriel d'une amie sollicite mon attention. "As-tu vu ça? C'est freakant!", écrit-elle en hyperlien.

Curieux, je clique et tombe nez à nez avec une vidéo amateur montrant quatre jeunes gens autour d'une table basse. Qui sont-ils? Aucune idée. Ils semblent vouloir se prêter à une sorte d'expérience. Un des jeunes dispose quelques grains de maïs sur la table. Les autres placent quatre portables autour. Nos joyeux lurons font ensuite sonner simultanément les quatre téléphones et… le maïs éclate!

Fin de la vidéo.

Freakant, en effet.

Je quitte le clip avec une anxiété de plus à fourrer dans mon sac à soucis – que j'ai déjà du mal à zipper, soit dit en passant.

Si les ondes cellulaires peuvent transformer d'innocents grains de maïs en pop-corn, j'imagine à peine ce qu'elles peuvent causer comme dommages au cerveau.

D'autant plus que David Servan-Schreiber et d'autres cancérologues viennent de sonner l'alarme en recommandant à la population de se servir le moins possible de leur portable. On ne rit pas.

Oui, j'ai cru au test du maïs éclaté de la vidéo. L'amie qui me l'a fait voir, et qui détient une maîtrise en sciences de l'environnement, y a cru aussi.

Dominic Arpin, blogueur et journaliste très au fait des curiosités vidéo qui circulent sur le Net, est tombé dans le panneau, tout comme des millions d'internautes à travers le monde.

Or, ce clip anxiogène – vous me voyez venir – est un faux. Un poisson d'avril hors saison. Mais surtout, une campagne de marketing viral commanditée par un fabricant d'oreillettes sans fil.

Cette obscure compagnie – dont je tais le nom à dessein – a réussi à faire parler d'elle partout en inventant une légende urbaine bien arrimée à la phobie de l'heure: les dangers du cellulaire.

C'est la grosse mode, le marketing viral. L'idée la plus efficace est de lancer sur le Web une vidéo soi-disant amateur montrant des images susceptibles de piquer la curiosité.

On laisse ensuite les internautes courrieller, bloguer, facebooker, bref disséminer le clip aux quatre vents.

Et c'est ainsi que la pub déguisée finit par créer le buzz recherché.

Un petit film vu des millions de fois sur YouTube montre deux gars qui enfilent des sauts périlleux et atterrissent dans une paire de jeans. C'est une pub de jeans camouflée. Dans un autre clip, un surfeur appâte un requin et se fait remorquer par lui. Une pub pour des lunettes de soleil. Un film tourné par une caméra de surveillance montre un type dans un bureau qui pète les plombs et casse tout autour de lui. Une promo maquillée pour un film avec Angelina Jolie.

Toutes ces vidéos publicitaires cultivent la même chose: un flou artistique entre la réalité et la fiction. "Il est devenu extrêmement difficile de différencier le vrai du faux, dit Dominic Arpin au téléphone. Les internautes sont moins crédules, mais les tactiques de marketing viral se raffinent aussi."

Oui, mais… Jusqu'où la publicité peut-elle mentir pour attirer l'attention? Car, disons-le crûment, ces clips ne sont rien d'autre que des mensonges d'intérêt commercial.

Mensonges amusants, mensonges quand même.

Bien sûr, on peut trouver qu'il s'agit de coups de pub absolument gé-ni-aux. Un instant.

Dans la vraie vie, la publicité a tout de même une éthique à respecter. Oui, j'ai bien dit "éthique".

Au Canada, l'industrie de la pub s'autoréglemente depuis longtemps. Chaque message publicitaire doit respecter le Code canadien des normes sur la publicité. Et le point 2 du Code est clair: aucune publicité "ne doit être présentée dans un style qui masque son but commercial".

Des normes semblables existent dans plusieurs autres pays.

En deux mots, même dans la jungle de la pub, il y a des règles du jeu.

Mentir pour créer un buzz, c'est transgresser ces règles. C'est tricher.

C'est jouer au poker avec une quinte flush royale cachée dans ses culottes.

Il n'y a rien de gé-ni-al là-dedans.

Revenons au canular du pop-corn aux ondes cellulaires.

Il y a quelques semaines, une obscure compagnie d'oreillettes sans fil a décidé d'emberlificoter des millions de gens et de nourrir une peur bien réelle. Elle a aussi forcé des journalistes de partout à laisser de côté la couverture de l'actualité pour publier des articles rétablissant les faits quant à cette fumisterie bêtement promotionnelle.

Pour déranger autant de monde, il ne faut pas se prendre pour du 7UP.

Le pop-corn est faux. Le manque de civisme de ce fabricant d'oreillettes, par contre, est bien réel.