Angle mort

JdeQ: Tout ça pour ça?

(c) Karl Tremblay, MédiaMatinQuébec

Bien sûr, je me réjouis que le conflit de travail soit enfin réglé au Journal de Québec.

Il y a deux semaines, les syndiqués et la partie patronale (Quebecor) ont décidé d'enterrer la hache de guerre. Si tout va bien, Le Journal de Québec retrouvera tout son monde au cours du mois d'août.

Comme je le disais donc, je me réjouis de cet heureux dénouement. Sauf qu'il y a un truc. Quand je repense aux mille rebondissements qu'a charriés le plus long conflit syndical de l'histoire de la presse francophone au Canada, je ne peux m'empêcher d'avoir ce léger arrière-goût. Euh… Tout ça pour ça?

C'est vrai, quoi. Les travailleurs en lock-out du JdeQ n'ont tout de même pas passé les 15 derniers mois à brandir des pancartes en chantant "So-so-solidarité".

Non, madame.

En décembre 2006, dès que l'air au Journal a commencé à sentir l'escarmouche syndicale, une fine équipe s'est mise à concocter secrètement une riposte. L'idée folle: lancer un quotidien gratuit en guise de moyen de pression. Ils se sont déniché un local. Ils ont convaincu un imprimeur. Ils ont monté de toutes pièces une salle de rédaction fonctionnelle, équipée de téléphones, ordinateurs, appareils photos et machine à café.

Et le matin du 24 avril 2007, deux jours après que Quebecor eût décrété un lock-out, ils lançaient dans la quadricentenaire ville de Québec la première édition du MédiaMatinQuébec.

Un quotidien, ce n'est pas rien…

Ce moyen de pression singulier a obtenu un succès instantané. Les appuis ont déferlé. La population de Québec a tout de suite aimé son contenu original et branché sur l'information locale. De gros annonceurs, comme Tanguay, achetaient bientôt de la publicité dans les pages du MédiaMatinQuébec. Un hit.

"Pour nous, c'est 40 000 pancartes par jour, répète le porte-parole des 252 travailleurs en conflit, Denis Bolduc. Si on avait été faire du piquetage devant les locaux du Journal de Québec, dans le quartier industriel, on aurait eu beaucoup moins d'impacts."

Motivés par l'envie de faire chier l'employeur qui les a mis en lock-out, les syndiqués du Journal de Québec ont rebrassé la carte médiatique de la Vieille Capitale en ajoutant à l'offre existante un journal indépendant tiré à 40 000 exemplaires, et dans lequel ils pouvaient faire le journalisme dont ils rêvaient.

Bien entendu, le MédiaMatinQuébec a profité de l'aide du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui a étendu quelques dollars pour payer l'équipement de départ et assumer les frais quotidiens d'impression. "Sauf qu'au cours des dernières semaines, le journal était pratiquement autofinancé", dit Alexandre Boulerice, porte-parole du SCFP.

Pardon?

Si on résume: les syndiqués du Journal de Québec ont réussi à créer un journal indépendant, à deux doigts de la viabilité… Et on ferme la patente?

Car c'est ce qui arrivera lorsque les lock-outés rentreront au bercail. Le MédiaMatinQuébec disparaîtra.

Je suis convaincu que, parmi les syndiqués qui ont traversé cette incroyable expérience humaine et qui retrouveront sous peu leur description de tâches dans la machine Quebecor, quelques-uns auront le même arrière-goût que moi. Euh… Tout ça pour ça?

Qu'ont-ils gagné après 15 mois de conflit? Voyons les détails de l'entente de principe. Une augmentation salariale de 2,5 % par an. Le rapatriement à Québec du service des petites annonces, ce qui sauvera 11 emplois. L'introduction d'un plancher d'emploi qui garantira un nombre suffisant de journalistes et de photographes pour maintenir une couverture locale de qualité à Québec. Un programme de retraite anticipée. Ce qu'ils ont perdu: ils devront travailler environ une heure de plus par jour, sans compensation. Voilà.

Excitant, non?

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il me semble qu'en abandonnant le MédiaMatinQuébec, les travailleurs du JdeQ plantent là un projet plus grand, plus beau, plus noble que n'importe quel update de convention collective.

Depuis plus d'un an, ces humains-là se surpassent pour fabriquer un quotidien dont ils peuvent être fiers. Et ce projet emballant (et quasi rentable), ils l'auront mené dans le seul but d'espérer un jour retourner au service d'un employeur qu'ils méprisent publiquement depuis 15 mois?

Il faut vraiment aimer sa cage dorée.
Je coupe la dernière phrase. À la réflexion, elle blesse les gens sans aucun but.

MAGAZINE /

Dans son édition juillet-août, le magazine du village global Monocle met à jour son palmarès des villes du monde où il fait le mieux vivre. Montréal a glissé de la 12e à la 16e place. Pourquoi? "Des nids-de-poule de la taille d'une Vespa rendent la conduite potentiellement dangereuse."