Angle mort

Les sondages vous influencent-ils beaucoup, un peu, pas du tout?

On ne peut pas nier l'influence des sondages sur les résultats de vote. Quels ont été les trois sujets fétiches des médias qui couvraient les élections provinciales de 2007? Selon Influence communication, le débat constitutionnel est arrivé en première position avec 10,76 % des nouvelles. Ensuite, le débat des chefs (7,94 %) et… les sondages (5,89 %).

Les sondages sur les intentions de vote ont fait couler plus d'encre que les "vrais" enjeux que sont l'économie (5,28 %), l'environnement (1,13 %) ou la culture (0,41 %).

Pas surprenant. Depuis longtemps, on couvre les courses électorales comme on couvre une game de hockey. Sauf que Ron Fournier s'appelle Michel C. Auger, et que le "pointage" est fourni par les maisons de sondage.

La semaine dernière, un sondage Segma-La Presse-Gesca donnait 43 % des voix aux conservateurs. Deux jours plus tard, la firme Ekos accordait plutôt 37 % des voix tories. Un sondage CPAC-Nanos nous a indiqué que le NPD récolterait quant à lui 15 % des intentions de vote. Un autre sondage donnait quatre points de plus aux troupes de Jack Layton.

Tous les sondeurs s'entendent toutefois pour dire qu'à moins d'une bourde majeure, les conservateurs devraient sortir gagnants de ces élections.

Stephen Harper et ses amis devraient donc former le prochain gouvernement. Les sondages ont parlé. Et il faut leur donner une chose: ils sont plus fiables que l'astrologie.

Aux dernières élections provinciales, les sondeurs ont prévu les résultats avec une marge d'erreur d'environ 2 %.

Maintenant, la question qui tue: les sondages influencent-ils les électeurs? En d'autres mots, l'obsession des sondages gâche-t-elle la saine manifestation du processus démocratique que devrait être une campagne électorale?

Aucun politologue ne peut dire avec exactitude quelle influence les sondages exercent sur l'électorat. Par contre, aucun non plus ne peut nier leurs effets.

Dans notre système politique, les sondages favorisent souvent le fameux "vote stratégique".

On parle d'un vote stratégique lorsque, dans l'isoloir, l'électeur effectue un calcul mental complexe qui le pousse à voter pour toutes sortes de raisons autres que l'espoir de voir élire son candidat favori.

Le 14 octobre prochain, monsieur Machin, un bloquiste convaincu, votera pour les libéraux afin de "bloquer" les conservateurs. Madame Écologugusse, de son côté, n'appuiera pas le candidat vert de sa circonscription, car ce serait un "vote perdu". Jos Bine, lui, ne s'intéresse pas tellement à la politique, mais tous les sondages donnent les conservateurs vainqueurs… Pourquoi ne pas se ranger du côté des gagnants?

Le vote stratégique a pris une nouvelle forme à l'ère Facebook. Depuis la semaine dernière, un groupe anti-Harper invite les internautes à voter pour le candidat libéral/néo-démocrate/bloquiste qui a les meilleures chances de gagner contre le candidat conservateur, dans une circonscription donnée. On se base sur les sondages pour établir les probabilités. Au moment d'écrire ces lignes, plus de 3000 4575 personnes s'étaient inscrites à ce groupe.

Claire Durand, sociologue rattachée à l'Université de Montréal, confirme que les sondages influencent le résultat d'un scrutin dans certaines circonstances. C'est arrivé aux dernières élections provinciales, selon elle. Les sondages, en faveur du Parti libéral, auraient poussé plusieurs partisans libéraux à voter pour l'ADQ afin d'"envoyer un message au gouvernement Charest". Le message suivant: "On est déçu du gouvernement libéral, mais on ne veut pas donner le pouvoir à Mario Dumont."

Et c'est ainsi que le 27 mars 2007, l'ADQ est devenue l'opposition officielle et Jean Charest s'est retrouvé à la tête du premier gouvernement minoritaire au Québec depuis 1878. Qu'est-ce qu'il a dit au peuple? "Nous avons compris le message."

Tout ceci pour dire que les sondages – et le nombre de partis dans la course – fournissent les conditions gagnantes à l'éclosion du vote stratégique.

Démocratiquement parlant, que des électeurs votent par stratégie plutôt que par conviction sincère, est-ce une bonne nouvelle?

Claire Durand refuse de répondre à la question. "Tout ce que je dis, c'est qu'avec un système comme le nôtre, il est presque automatique qu'il y ait des votes stratégiques…, ce qui serait beaucoup moins probable dans un système proportionnel."

Voilà peut-être une autre bonne raison de rénover ce système électoral boiteux dans lequel des gens se fient aux sondages pour voter non pas pour des idées, mais pour "contrer tel parti", pour "envoyer un message" ou pour "éviter de perdre un vote".

Avec un scrutin proportionnel, on aurait au moins les gouvernements qu'on mérite… vraiment.