Angle mort

Pelures de banane 2.0

Désormais, la trame narrative d'une campagne électorale sera picotée d'anecdotes cocasses et de faux pas bidonnants que l'on prendra plaisir à visionner entre amis, avec les collègues du bureau, sur l'iPhone.D'un côté, il y a eu notre beigeasse élection fédérale. De l'autre, il y a la présidentielle américaine.

Le premier événement a été presque aussi palpitant qu'une attente chez le dentiste. Le deuxième a fourni autant de rebondissements à la minute qu'un épisode de 24.

Dans les deux cas cependant, on peut parler d'élections YouTube.

Ici comme chez nos voisins d'en dessous, les stratèges politiques ont vu dans le célèbre site de partage vidéo un moyen pas cher de vendre leur salade sans devoir se farcir ces damnés journalistes (et leur fâcheuse manie de poser des questions gênantes).

Le responsable de la section Actualité et Politique de YouTube, Steve Grove, écrivait récemment que le site représentait la "plus grande assemblée publique locale (town hall) au monde."

Les candidats, bien entendu, ont sauté dans le train.

Aux dernières élections fédérales, tous les grands partis avaient leurs chaînes YouTube. Ils ont diffusé des discours de leur chef, des publicités négatives, des messages de candidats devant des unifoliés. Bref, leur propagande.

Aux États-Unis, les McCain et Obama se sont aussi youtubisés.

Selon le site TechPresident.com, les millions de visionnements des milliers de clips YouTube concernant Barack Obama ont totalisé 14,5 millions d'heures d'écoute!

John McCain a fait moins bien. En terme de visibilité youtubique, il cumule seulement 488 000 heures d'écoute.

Or, quel a été l'effet YouTube sur ces deux élections? Voyons voir…

Sur la chaîne YouTube du Parti libéral du Canada, un clip où Stéphane Dion présente son programme électoral a été vu 67 fois. On peut parler ici de confidentialité.

Le chef libéral a obtenu beaucoup plus de succès avec un extrait d'une entrevue accordée à CTV, et relayée sur YouTube, dans laquelle on le voit reprendre trois fois une entrevue à cause d'une question qu'il ne comprend pas. Bilan: 260 000 visionnements.

Un clip téteux dans lequel Stephen Harper salue l'ouverture des Québécois envers lui-même a été téléchargé 691 fois.

En revanche, un montage embarrassant où l'on entend le même Harper copier, mot pour mot, un discours de l'ex-premier ministre australien John Howard a été visionné plus de 116 000 fois.

Et bien sûr, tout le monde a vu le fameux clip La culture en péril.

Premier constat: YouTube s'avère beaucoup plus efficace en tant qu'amplificateur de bourdes qu'en tant que plate-forme de communication politique sans filtre. Pour tout dire, YouTube peut vite devenir, pour celui qui sollicite des votes, une pelure de banane qui glisse beaucoup… et longtemps.

On en vient aux mêmes conclusions lorsqu'on regarde l'effet YouTube sur la présidentielle américaine. Sauf que là-bas, puisqu'ils sont 10 fois plus nombreux qu'ici, l'impact de certains clips a pris des proportions dingues.

En quelques semaines d'existence publique, la candidate républicaine à la vice-présidence, Sarah Palin, est devenue LA sensation YouTube. Les extraits les plus dévastateurs de son entrevue catastrophique avec Katie Couric ont été visionnés des millions de fois. Par ailleurs, l'imitation désopilante qu'en a faite Tina Fey à Saturday Night Live a été pratiquement plus populaire que Palin elle-même. Les clips de Tina Fey génèrent tous une orgie de clics.

Un montage du documentariste de gauche Robert Greenwald qui veut prouver les contradictions de John McCain a été vu 7,6 millions de fois. Un clip de 10 minutes qui remet en question la citoyenneté américaine d'Obama? Plus de trois millions de visionnements.

Et si j'avais plus d'espace, je vous parlerais du tsunami viral provoqué par un quidam du nom de Joe le plombier…

L'arrivée de la télévision a fait de la politique une affaire d'image. YouTube pousse cette logique un cran plus loin. C'est la politique "Drôle de vidéos".

Désormais, la trame narrative d'une campagne électorale sera picotée d'anecdotes cocasses et de faux pas bidonnants que l'on prendra plaisir à visionner entre amis, avec les collègues du bureau, sur l'iPhone. Des boulettes dont on discutera dans les grands médias en général et chez Christiane Charette en particulier.

C'est que YouTube exploite à merveille le plaisir de l'un de voir l'autre se casser le cou. Or, comme l'écrivait récemment le chroniqueur Web du Globe and Mail Ivor Tossell, "ce qui fait un bon clip viral n'est pas nécessairement ce qui fait une démocratie en santé."

Méditons là-dessus.

HYPERLIENS /

TechPresident.com

http://www.techpresident.com/blog/entry/32071/how_much_is_youtube_worth_to_obama_and_mccain

Programme électoral libéral

http://ca.youtube.com/watch?v=h0r59BNQpGw

L'entrevue catastrophique de Stéphane Dion à CTV

http://ca.youtube.com/watch?v=6xbs7wXvh2Q

Le fédéralisme d'ouverture de Stephen Harper

http://ca.youtube.com/watch?v=_JBik5hdRS4

Stephen Harper copie le premier ministre australien

http://ca.youtube.com/watch?v=L8YwJC_nBgw

Sarah Palin parle de politique étrangère à CBS

http://www.youtube.com/watch?v=nokTjEdaUGg

Best of Sarah Palin on YouTube

http://www.thestar.com/article/508762

McCain's YouTube problem just became a nightmare

http://www.youtube.com/watch?v=GEtZlR3zp4c&feature=channel

Obama Citizenship

http://ca.youtube.com/watch?v=gA6_k3NtXZs

Chronique d'Ivor Tossell

http://www.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20081016.tossell1017/BNStory/Technology/home