Angle mort

Le déclin des généralistes

[...] le modèle de la chaîne dite "généraliste" n'a jamais été aussi menacé.

Le CRTC a refusé, la semaine dernière, que les chaînes généralistes pigent dans les redevances d'abonnement au câble et à la télé par satellite. L'organisme a trouvé que les "généralistes" n'avaient pas besoin de ces sous, car leur rentabilité ne serait pas menacée et que cela aurait gonflé les factures des abonnés.

Il est vrai que les "généralistes" ne sont pas toutes dans la chnoutte. Tenez, le Groupe TVA vient de déclarer un bénéfice net de 11,9 millions pour son troisième trimestre. C'est deux fois plus que l'an dernier, à la même période. Bien sûr, la situation est moins joviale chez TQS.

Or, il est vrai aussi que le morcellement des auditoires (et des revenus publicitaires) force "les généralistes" à se serrer la ceinture. D'où la disparition des séries lourdes, trop coûteuses. Pour économiser, on tartine maintenant les grilles-horaires de trucs pas chers: jeux, comédies, shows de chaises, téléréalités.

Il faut être de son temps, et nous sommes à l'ère des chaînes spécialisées. Le CRTC l'a voulu ainsi.

Du coup, le concept même de la télévision généraliste est en déclin. Ici, comme dans tous les pays où l'offre cathodique est touffue.

Aux États-Unis, le Big Three (les réseaux NBC, CBS et ABC) ne contrôle plus le paysage télévisuel. Les HBO, Showtime, MTV, CNN, BRAVO, E! et les autres chaînes câblées américaines attirent maintenant 55 % de l'auditoire.

Au départ, il y avait pourtant de belles idées derrière la télévision généraliste. On souhaitait une télé qui présenterait un éventail d'émissions, pour tout le monde, des affaires publiques aux petits bonshommes du samedi matin. Un média de masse propre à forger une identité collective, nationale. Bref, Radio-Canada à ses débuts.

Avec le temps, l'idéal "généraliste" a cependant glissé vers un souci d'attirer un public "moyen". "La conception et le choix des émissions et des films sont guidés par des exigences "moyennes": niveau moyen de difficulté et de compréhension, etc." (L'avenir de la télévision généraliste, de Moeglin et Tremblay, L'Harmattan, 2005). C'est TVA aujourd'hui, et c'est ce que Radio-Canada fait de plus en plus.

Pour accaparer près de 30 % de l'écoute télévisuelle, TVA mise sur ses "grands rendez-vous": des émissions divertissantes qui plaisent à un peu tout le monde sans s'adresser à personne en particulier. Ainsi, il n'y a plus d'émissions conçues spécifiquement pour les enfants à TVA, alors qu'on en diffusait dans les années 80 (Le village de Nathalie, Les Satellipopettes, etc.). Qu'à cela ne tienne, les trois émissions les plus regardées par les 2 à 11 ans sont néanmoins diffusées à TVA. Elles se nomment Le Banquier, Occupation double et Dieu Merci!. Trois "grands rendez-vous" qu'apprécient petits et grands.

De son côté, TQS n'est plus une chaîne généraliste. Maxime Rémillard, celui qui a racheté avec son frère ce gouffre financier, a même dit que TQS serait désormais une chaîne généraliste "précise et ciblée". Aussi bien dire que c'est une chaîne "spécialisée"… qui n'aura malheureusement pas accès aux revenus d'abonnement des chaînes spécialisées! Enfin. TQS veut parler aux hommes de 18 à 49 ans, un peu comme Fox aux États-Unis, avec des émissions viriles, des combats extrêmes, des affaires de char, etc. De larges pans de l'auditoire québécois – qui compte plus de femmes que d'hommes, et plus d'aînés que de jeunes – risquent donc de ne jamais trouver de quoi se mettre sous les yeux chez le mouton noir de la télé. Allumez des lampions, car dans le contexte actuel, je ne vois pas comment les choses pourraient bien tourner pour le nouveau TQS.

Tout ceci pour dire que le modèle de la chaîne dite "généraliste" n'a jamais été aussi menacé. Au Québec, seules Radio-Canada et TVA peuvent encore s'en réclamer, et encore… "Le business de vouloir rejoindre tout le monde n'a jamais été aussi mal en point", lisait-on dans l'édition de septembre du magazine Portfolio.

C'est vrai. Cette télévision rassembleuse et fédératrice, cette souveraine des médias de masse depuis plus d'un demi-siècle, n'aura-t-elle été en fin de compte qu'un phénomène éphémère? La télévision se multipliera en niches. Elle se spécialisera en divers genres et sous-genres et, bientôt, elle ne sera plus le lieu des grands rendez-vous populaires. Il est trop tôt pour dire si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle.

TELE /

Pour souligner les 90 ans de l'Armistice, l'ONF y va d'un film-hommage aux combattants de la Grande Guerre. Le réalisateur Michael Guilmain a marié des lettres écrites par des militaires avec des images d'archives saisissantes. Le film Entre les lignes sera diffusé en continu durant 24 heures, le 11 novembre, sur le site www.onf.ca/armistice. Une version abrégée sera aussi présentée à RDI, le mardi 11 novembre, 22 h.