Angle mort

L’État Desmarais

Philpot prétend que Paul Desmarais réussit à "faire la pluie et le beau temps" grâce à la "propagande subtile" véhiculée par ses journaux.  On sait peu de choses du richissime citoyen de Sagard, Paul Desmarais.

On sait toutefois que son empire, Power Corporation, possède notamment de grosses compagnies d'assurance et de services financiers (Great-West, London Life, Groupe Investors, Mackenzie), ainsi que Gesca, éditeur de sept quotidiens francophones (dont La Presse).

On sait aussi que le milliardaire est depuis toujours un fier défenseur du fédéralisme, et qu'il se plaît à fricoter avec les chefs politiques du Québec, du Canada et de la France.

Dans son "essai politique" Derrière L'État Desmarais: Power, Robin Philpot ne fait pas de grandes révélations. Il rassemble, dans un format pratique, à peu près tout ce qui est su ou soupçonné à propos des Desmarais. Une famille qui, selon cet indépendantiste notoire, "exerce une influence totalement disproportionnée sur la vie politique et économique du Québec".

Philpot prétend que Paul Desmarais réussit à "faire la pluie et le beau temps" grâce à ses nombreux amis politiciens à Québec et à Ottawa, mais aussi grâce à la "propagande subtile" véhiculée par ses journaux.

Il écrit: "L'état actuel du cartel médiatique au Québec où un homme, une famille, possède 70 % de la presse écrite n'existe, à notre connaissance, nulle part ailleurs. Le pouvoir que ce cartel lui donne est immensurable."

VRAIMENT?

D'abord, j'ignore de quelle boîte à friandises Robin Philpot sort ces 70 %.

Si l'on veut mesurer sérieusement l'influence d'un quotidien, regardons plutôt son lectorat.

Selon le Centre d'études sur les médias, les sept quotidiens de Gesca, La Presse et Le Soleil en tête, attirent non pas 70 %, mais 39,1 % du lectorat francophone (2007). De son côté, Quebecor accapare 41,8 % du lectorat avec seulement trois quotidiens (Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et le quotidien gratuit 24 heures).

Vous me permettrez donc de relativiser ce prétendu "pouvoir immensurable" avancé par M. Philpot.

D'autant plus que Gesca n'est pas très active à l'extérieur des journaux et du site Internet Cyberpresse. À vrai dire, à côté du titanique empire de Quebecor, Gesca a l'air d'une PME.

Robin Philpot rappelle que les éditoriaux de La Presse sont sympathiques à la cause du fédéralisme en général et du parti libéral en particulier. C'est connu. Mais il exagère en laissant croire que la main de Paul Desmarais va jusqu'à orienter la façon dont on traite l'information dans ce journal. Si c'était le cas, pensez-vous réellement que l'ensemble des 197 journalistes salariés de ce quotidien accepterait d'être ainsi contrôlés par Big Brother Desmarais… sans jamais dire un mot? Ces gens-là sont syndiqués. Si les journalistes du Journal de Montréal n'hésitent pas une seconde à dénoncer les ambitions convergentes de leur patron, pourquoi ceux de La Presse se tairaient-ils? Peut-être parce qu'ils n'ont rien à dire?

Par contre, là où j'abonde dans le sens de Robin Philpot, c'est au sujet du black-out entourant les finances de Gesca. C'est extrêmement douteux.

Depuis 2006, le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), fondé par Yves Michaud, se bat avec Power Corporation devant les tribunaux. En tant qu'actionnaire, le MÉDAC exige de consulter les états financiers de Gesca, scrupuleusement gardés secrets.

"Nous représentons des investisseurs qui n'obtiennent pas de réponses à leurs questions, dit Normand Caron, secrétaire général du MÉDAC. Les actionnaires de Power doivent savoir s'il y a un facteur de risque dans l'entreprise dans laquelle ils investissent."

Un premier juge a déjà donné raison au MÉDAC. La cause est actuellement en cour d'appel. "D'ici Noël, on devrait avoir une décision", ajoute M. Caron.

Si la Cour d'appel confirme le premier jugement, Power portera certainement la cause devant la Cour suprême. Et si la Cour suprême entend la cause et donne aussi raison au groupe d'Yves Michaud, Gesca pourrait être forcée d'ouvrir ses livres.

Et c'est là que les choses deviendraient intéressantes.

Si les actionnaires apprennent que Gesca n'est pas rentable, ils pourraient demander que Power Corporation se départisse de cette filiale.

Voilà qui serait réjouissant.

Car, si le pouvoir médiatique du clan Desmarais n'est pas aussi énorme que le prétend Philpot, la concentration de la propriété des médias demeure un réel problème.

Tout ce qui pourrait contribuer à la diluer est plus que bienvenu.

Derrière l'État Desmarais: Power

de Robin Philpot

Éd. Les Intouchables, 2008, 205 p.