Angle mort

La bibliothèque de Languirand

Languirand le bibliophage a le talent des grands vulgarisateurs.

Emmitouflé dans un chaud foulard blanc, Jacques Languirand lit à voix haute des passages du Livre des fantasmes, de Brett Kahr. "Je vais foutre mon gros gourdin dans une belle petite fente poilue…" Il s'esclaffe bruyamment au beau milieu d'une description pour le moins graphique. "Une cramouille bien trempée et juteuse… Je vais la faire hurler la salope!" Des mots aussi crus dans la bouche d'un vieil homme qui vouvoie jusqu'à sa conjointe ont quelque chose d'incongru.

Je vagabonde dans Les repères de Languirand, sorte de vidéoblogue dans lequel le communicateur aux sourcils paraboliques partage des extraits de sa bibliothèque.

Une bibliothèque que l'on dit fameuse, d'ailleurs. "Il faut la voir. C'est quelque chose. Une affaire d'au moins 10 000 livres!", me rapporte une amie bien informée qui a visité le monument en question. Qui sait, peut-être qu'un jour cette bibliothèque deviendra-t-elle un attrait touristique de Montréal, une escale obligatoire entre l'oratoire Saint-Joseph et le Stade olympique? "Venez voir la bibliothèque de Languirand, l'homme qui cherchait le sens de la vie!"

Pour le principal intéressé, cette collection de livres est plutôt une source de soucis. "On s'est demandé ce qu'on pourrait bien faire avec!", dit Jacques Languirand. Sa blonde, Nicole Dumais, et lui-même ont finalement décidé d'en faire profiter virtuellement les internautes avec le site Les repères…, qui se veut une "encyclopédie de la culture". Mais pour l'instant, il s'agit surtout d'une encyclopédie des lectures tripatives de Languirand.

Au hasard de la souris, on tombe sur des clips vidéo de deux à cinq minutes, où Languirand commente un livre tiré de sa vaste collection. Il est là, intégral, devant la caméra, dans l'intimité de son repaire, lunettes demi-lune au bout du nez. Charlie, petit chien frisé, roupille à ses côtés en remuant la patte de temps en temps, comme tous les chiens qui font des rêves de chiens.

C'est dans cette ambiance drôlement monastique que Languirand nous fait la lecture. Parfois, il nous présente un ouvrage récent. D'autres fois, il ressort un vieux bouquin écrit voilà 30 ans par un penseur oublié. Dans tous les cas, c'est fascinant.

Car Languirand a le don de rendre digeste même un traité au titre aussi abscons que La cyclothymie pour le pire et pour le meilleur. On reconnaît là le talent d'un grand vulgarisateur.

C'est la deuxième fois que je rencontre Jacques Languirand. La première, c'était il y a deux ans. La discussion avait alors divagué autour d'un essai que nous venions tous deux de dévorer: Abolir les partis politiques, de Jacques Lazure. Languirand était on ne peut plus d'accord avec la suggestion de l'auteur; celle de ne plus élire des "partis", mais bien des "gens". "Dans un système qui abolirait les partis politiques, m'avait-il dit, les ministres seraient nommés selon leurs compétences dans des domaines donnés. Un gouvernement sans partis nous aiderait à respecter la démocratie bien mieux que présentement. Nous en sommes rendus à un point où il faut vraiment réexaminer la façon dont on pense la démocratie."

Quelques mois plus tard, je donnais mon exemplaire d'Abolir les partis à Stéphane Dion, rencontré lors d'une émission de radio. Il m'avait assuré qu'il le lirait attentivement. Pas eu de nouvelles depuis, et je n'ai rien lu en ce sens dans le programme du Parti libéral du Canada. J'espère encore.

La semaine dernière, je n'ai pas causé politique avec Languirand, mais bien de son amour pour les livres. "En fin de compte, lâche-t-il au fil de la conversation, je n'ai jamais terminé mes études… Alors, j'ai été obligé de lire toute ma maudite vie pour compenser ce manque de ne pas avoir eu de diplôme!"

Si tous les décrocheurs étaient comme lui…

Les repères de Languirand: www.repere.tv

TELE /

Si vous attrapez de temps en temps Kaamelott, à Historia, vous aimerez La Grande Bataille, à ARTV. C'est pour ainsi dire le même genre de truc (de courts sketches drolatiques), mais cette fois sur les dessous de la vie en Nouvelle-France. Avec Réal Bossé dans le rôle du pitoyable comte de Frontenac, Pierre Collin dans celui du fantôme de Champlain, Édith Cochrane en Madeleine de Verchères survoltée, François Papineau en Jean de Brébeuf un peu croche, Martin Drainville en Radisson pissou, et plusieurs autres… La Grande Bataille, à ARTV le samedi 6 décembre, 21 h.