L'autre samedi, j'étais dans l'autobus Voyageur en direction de Québec. Je me rendais au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, au château Frontenac. Trois belles heures d'autoroute.
En bon journaliste bien élevé, j'ai pensé profiter du trajet pour lire ma grosse Presse pénard, histoire de me mettre autre chose que la 20 sous les yeux.
C'est ici que les choses se corsent.
À peine installé dans mon siège semi-confortable, j'ai cherché une façon confortable de lire le journal. Je l'ai ouvert, tourné, déplié, replié. Les 12 dépliants publicitaires encartés dans ma copie ont vite glissé par terre. Je tentais de saisir le cahier Arts et Spectacles, tout en veillant à ne pas percer la bulle de la passagère d'à côté, qui avait eu la présence d'esprit d'apporter un beaucoup plus compact roman de Stephen King. Bref, j'avais l'air d'un sketch de Mr. Bean.
Au bout de 10 minutes, j'ai laissé tomber. Si ce journal ne veut pas se laisser lire, qu'il aille dormir sous le siège. Et j'ai regardé la 20. Deux heures cinquante d'autoroute.
Je suis arrivé au congrès vers neuf heures, un peu après le début d'une conférence intitulée Les médias traditionnels ont-ils un avenir?
Il devait bien y avoir 300 collègues, absorbés par un panéliste qui prophétisait sur l'avènement du papier électronique. Un exemplaire dudit papier circulait d'ailleurs dans la salle. "Bientôt, a dit le gars en substance, on pourra stocker tout un journal sur une seule feuille de papier plastifiée. Et plutôt que de tourner les pages, c'est le texte affiché sur la feuille qui se rafraîchira." Futuriste.
Plus tard au congrès, j'ai raconté ma bataille épique avec La Presse dans l'autobus à une salariée du quotidien. "Oui, mais… Il y a une façon de plier le journal!" m'a-t-elle répondu.
Oui, mais ce n'est pas de l'origami que je veux faire, c'est lire Yves Boisvert.
De toute façon, je vous avoue qu'en attendant le papier électronique, je préfère de plus en plus lire La Presse, ou n'importe quel autre journal, sur Internet. C'est juste plus commode.
L'information sur le Web est gratuite, les hyperliens permettent souvent d'approfondir un sujet, et les doigts restent toujours bien propres.
Même qu'on lit plus sur Internet. C'est ce qu'ont conclu des chercheurs du Poynter Institute après avoir analysé les habitudes de 600 personnes, à qui on avait demandé de lire des quotidiens imprimés et des journaux Web. Il semblerait que les internautes liraient 77 % d'un article en ligne, alors qu'ils lisent seulement 62 % d'un texte imprimé.
Je ne suis pas le seul à préférer m'informer en ligne.
Un autre collègue me racontait que, depuis qu'il est papa, il avait annulé ses abonnements aux journaux. Désormais, il "densifie" ses temps libres et suit l'actualité quelques minutes par jour en traînant sur Cyberpresse et les sites du Devoir et du New York Times, tandis que son gamin est sur ses genoux et regarde des clips YouTube de Passe-Partout dans une autre fenêtre.
C'est là qu'on est rendu.
La lutte pour la qualité de l'information? Absolument. Celle pour sauver de la disparition le gros journal qui tache? Vous la ferez sans moi. Le journal imprimé est déjà condamné, de toute façon.
Dans son livre The Vanishing Newspaper, le professeur et ex-journaliste Philip Meyer, qui est venu faire un tour au congrès des journalistes à Québec, cite des recherches selon lesquelles, en 2043, il ne devrait plus rester qu'un seul lecteur de journal en Amérique. Ce ne sera pas moi. Et la majorité des grands quotidiens abandonneront l'arbre mort bien avant. Les journaux deviendront des entreprises de presse qui publieront sur Internet ou sur d'autres plateformes prodigieuses telles que le papier électronique.
Le quotidien imprimé a été, depuis les deux derniers siècles, le meilleur moyen qu'on avait trouvé pour distribuer de l'information et de la réclame auprès d'un large public, et à un coût relativement peu élevé. Or, les nouvelles technologies ont rendu le journal imprimé obsolète.
Il connaîtra le même sort que les calèches.
C'est vrai, qui a continué de croire en l'avenir des voitures tirées par des chevaux lorsque l'automobile a fait son apparition?
Aujourd'hui, la calèche est une attraction touristique du Vieux-Port. Un bibelot grandeur nature au service des vacanciers. Un jour, sur le banc des calèches, on retrouvera peut-être un exemplaire classique de La Presse du samedi; laissée là pour que les touristes puissent s'informer comme le faisaient leurs ancêtres, tout en s'initiant à l'art de l'origami…
Peu importe ce que nous réserve l’avenir, une chose est certaine, la présence du contenu journalistique (habituellement en format papier), lorsqu’il se convertit au format numérique disponible sur internet, celui-ci donnera tout de même des maux de têtes à ceux qui « orchestrent » ou « organisent » la mise en page.
La UNE d’un journal virtuel (si on peut encore appeler ça un journal et non pas un serveur – ou un distributeur – de « nouvelles » ou de contenu actuel), ça ne se monte pas comme on monte un journal conventionnel.
De plus, avec la capacité que les journalistes de l’écrit peuvent maintenant se mettre sous la main aisément en quelques clics et autres coups de téléphone électronique, il y a fort à parier que la formule multi-média donnera naissance à des as de la manipulation polyphormique des données factuelles : graphiques 3-D, cartes avec zoom intégré progressif, exploration des sujets sous forme écrite, photographique et télévisuelle, etc.
Et tout ça sur le même site… avec un seul hic, toujours le même : la pub.
La pub qui connaîtra le même genre de développement expansif… qui finira par faire de plus en plus mal à la télé, médium sous performant unidirectionnel qui ne permet pas à la fois de générer du trafic et de fournir aux annonceurs quasi instantanément les chiffres sur le volume du trafic internet généré par le site – ou plus probablement – par certaines sections particulières du site.
Sans parler de la possibilité de tracer ou de recréer les habitudes de butinage virtuel des lecteurs de contenu virtuel informatif ou de divertissement intégré l’un dans l’autre ou l’un à côté de l’autre…
à un seul clic de distance… et hop ! vous vous retrouvez sur un serveur de la France… ou du Japon… et c’est un autre type d’origami qui commence : celui de l’exploration du monde, une page web après l’autre.
Pas pour rien que le logiciel d’exploitation le plus vendu au monde s’appelle Windows. Car l’ordinateur, c’est la pensée ou la propagande qui se met debout pour faire face au monde.
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La principale différence entre l’imprimé et Internet réside dans le fait que de lire un quotidien papier requiert un temps fixe ciblé sur une unique source d’information (filtrée, certes) qui permet au lecteur un temps de réflexion en général occulté par le hypertabbing de l’utilisateur que je suis. Dans une autre optique, je préfère le papier, et le digital est inévitable, mais subjectivement je n’ai pas l’impression de prendre l’opinion de quelqu’un autant au sérieux sur Internet (même d’un site qui publie l’équivalent papier!). Il se doit de traiter les deux médias très differemment.