Les plus vieux d'entre vous s'en souviennent peut-être. Vers la fin du pléistocène, soit il y a environ 20 000 ans, la Terre était en plein cour de la dernière glaciation. Incapables de s'adapter aux rapides changements climatiques, plusieurs grands mammifères pourtant redoutables (les mastodontes, les tigres à dents de sabre, les mammouths) ont disparu. Ceux qui ont su user de leur cocologie pour gérer le froid ont survécu. Nous, par exemple.
J'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé de meilleure analogie pour décrire la situation que traverse aujourd'hui l'industrie des magazines. C'est un âge de glace.
On traîne dans les kiosques à journaux ces temps-ci et une chose saute aux yeux: plusieurs magazines ont vachement maigri.
Ne cherchez pas midi à quatorze heures: la raison, c'est la pub. Avec la crise économique, les annonceurs dépensent moins. Aux États-Unis, selon le site spécialisé MIN Online, plusieurs magazines ont vu fondre leur nombre de pages publicitaires au cours de la dernière année: de 31,2 % pour le U.S. News and World Report, de 26 % au Time, de 23 % au Rolling Stone, de 21,5 % au New Yorker…
C'est la pire dégringolade depuis belle lurette.
Forcément, les magazines qui dépendent de la pub doivent se convertir à la simplicité volontaire. On coupe dans le gras (et même dans la viande). Les numéros ont moins de pages. On coupe des postes. L'éditeur des hebdomadaires Time et People a annoncé une restructuration qui devrait entraîner plusieurs centaines de suppressions d'emplois. Les Éditions Rogers (Châtelaine, L'Actualité) ont renvoyé des employés récemment.
On publie aussi moins fréquemment. Le grand U.S. News & World Report est passé d'hebdomadaire à bimensuel. Et il deviendra bientôt un mensuel. Le magazine Playboy a quant à lui annoncé qu'il combinerait ses éditions de juillet et août en une seule, ce qui fera beaucoup moins d'articles à lire.
On coupe parfois même le nombre d'exemplaires en circulation. Ainsi, l'hebdomadaire Newsweek songerait à imprimer jusqu'à un million de moins de copies, laissant tomber, entre autres, les exemplaires promotionnels.
Le serrage de ceinture peut fonctionner un temps, mais cela n'empêchera pas la famine de faire des victimes. Certains titres ont déjà commencé à tomber.
Au cours des dernières semaines, aux États-Unis, les magazines Radar, CosmoGIRL!, Cottage Living, O at Home et PC Magazine ont cessé d'être imprimés. Time vient quant à lui d'abandonner son édition canadienne, publiée depuis 65 ans. Au Québec, le magazine PME, qui vivotait depuis quelques années, a cessé définitivement d'exister. Et le magazine informatique Atout Micro est maintenant offert exclusivement sur Internet.
Un blogue plutôt macabre, Magazine Death Pool, publie la nécrologie des magazines américains et prédit même les décès à venir. Celui ou celle qui alimente le site, et qui se fait appeler The Reaper (Le Moissonneur), a acquis une certaine crédibilité dans le milieu grâce à la fiabilité de ses funestes prédictions.
C'est ainsi qu'en mai dernier, alors que le fondateur du magazine culturo-populo-politique Radar vantait la santé financière de sa publication, The Reaper relevait déjà les signes de sa disparition prochaine. En octobre dernier, Radar était publié pour la dernière fois. RIP.
Quels seront les prochains titres à rejoindre le cimetière des magazines? Dans une entrevue récente, The Reaper annonçait de sombres mois pour les publications portant sur l'habitation, les finances personnelles, les affaires, la culture et l'actualité.
C'est prévisible, d'autant plus que ces titres comptent beaucoup sur des annonceurs issus des secteurs de la finance, de l'immobilier et de l'automobile – secteurs un tantinet maganés par la crise économique.
Un rédacteur en chef me confiait pour sa part que les "deuxièmes ou troisièmes magazines d'une catégorie" devraient être ceux qui en baveront le plus en 2009. Qu'est-ce que cela signifie? Simple. Prenons la catégorie des magazines de rénovation. Si je suis un fabricant de perceuses en pleine récession, je risque d'investir mes dollars publicitaires d'abord dans le magazine de rénovation le plus lu. Ensuite, s'il me reste des sous, j'investirai peut-être dans le deuxième et le troisième.
Du coup, les magazines moins performants, et ceux qui n'arriveront pas à trouver au plus vite des sources alternatives de revenus en cette période de disette, risquent malheureusement de connaître le même sort que les mammouths au pléistocène: l'extinction.
À suivre en 2009.
Magazine Death Pool
Je comprends maintenant pourquoi je me pique à l’anti-gel et je tripe sur les pages web.
Merci.
Mes condoléances pour ceux qui vont aller rejoindre les mamouth et toutes ces joyeuses belle bêtes là.
On vous construira un musée virtuel un jour, j’en suis sûr.
J’ai prédit la disparition du magazine il y a quelques années déjà. Je l’avais même dit à un journaliste. Il s’était évidemment offusqué, prétextant que les gens allaient toujours privilégier un contenu « professionnel et recherché » à un contenu écrit par monsieur et madame tout le monde sur un blog.
Des conneries imprimées ou pas, ça reste des conneries… pauvre Mammouth, son ère de glace est arrivée!
C’est la forêt amazonienne qui doit tripper!!
Malgré cette triste réalité, la nature prend toujours son propre chemin ainsi que l’évolution. Le mamouthe gela sur place alors que les magasines fondront comme neige au soleil.
L’ère du WEB frappe aussi fort que les WORM 1-2-3!
C’est plutôt l’ère du journalisme salarié, payé par la pub qui est en train de disparaitre. Si tous les journalistes étaient des freelance, il y aurait pas mal moins de conneries, que ce soit dans les journaux ou dans le revues. La plupart des travailleurs autonomes sont les meilleurs travailleurs que je connaisse, car l’excellence de leurs repas dépend directement de l’excellence de leurs résultats. La pub qui est orientée en fonction du type de lectorat, peut facilement prendre le contrôle de certaines publications et en appauvrir le contenu. Ils peuvent tous crever la gueule ouverte…
JE ME PERMETS DE SOUMETTRE UN TEXTE QUI AVAIT DÉJÀ ÉTÉ PUBLIÉ DANS LE BLOGUE DE PAUL CAUCHON:
*****Je suis un dinosaure et un fossile: j’aime les journaux et le papier-journal*****
Jean-Serge Baribeau
Envoyé Le lundi 08 décembre 2008 11:00
En lisant l’intéressant «PAPIER» de Paul Cauchon, j’ai compris, (il était temps) que je suis en train de devenir un petit vieillard dépassé et plutôt sénile. Moi, le vieux «schnoque» de plus en plus décrépit, je continue à aimer les journaux, les magazines et les revues. J’aime le papier et l’odeur du papier et de l’encre (si odeur il y a!). Cela ne m’empêche pas d’utiliser amplement l’Internet.
Mais lorsque je veux en savoir plus, lorsque je souhaite une mise en perspective et une «contextualisation» des événements, j’éprouve un plaisir coupable et combien «tripatif» lorsque je m’installe dans mon fauteuil préféré et que je tourne goulûment les pages de mes livres, journaux, magazines et revues.
Moi qui suis né en 1943, je vais faire mon possible pour vivre ou survivre jusqu’en 2043 et je promets que, s’il le faut, je serai le seul lecteur de journal de toute l’Amérique, une fois que le taux de lectorat aura tragiquement déboulé jusqu’à presquement atteindre le point zéro. Comme il y a un pas vite franchi entre le zéro et le un, j’empêcherai l’humanité de sombrer dans le zéro absolu ou dans le néant totalitaire.
Les journalistes sont des êtres imparfaits. Mais nous aurons toujours besoin de ces professionnels (dont la compétence est à géométrie variable) pour assumer un sain recul et une essentielle distanciation.
Recevez donc les salutations d’un petit vieux de plus en plus grabataire, cacochyme et valétudinaire.
JSB, sociologue des médias
Si le papier disparaît, comme le papyrus ou le vinyl l’ont déjà fait à leur manière, pas tout à fait complètement, eh bien, pourquoi les journaux, les revues et les magazines ne subiraient pas le même sort numérique ?
Même le livre change progressivement de support et se téléporte sur des clés USB.
Est-ce que la technologie change le monde où n’est-ce pas plutôt notre perception du monde qui change avec elle… ainsi que notre manière de l’informer nous-même, c’est-à-dire de lui donner une autre forme que celle qu’il avait à l’origine.
Les médias de masses traditionnels évoluent en faisant passer le réel pour ce qu’il est depuis le début du XXe siècle : une réalité difficile à rendre équitable et viable à long terme pour tout le monde.
Ce que la virtualité insère dans le texte, les images, les sons et la voix, c’est un manière d’être une nouvelle réalité en puissance.
Faut-il se méfier de la puissance d’aujourd’hui comme on se méfiait de celle d’hier ?
Certainement !
Mais nous devons développer un discours contestataire qui passe à travers la technologie sans rester prisonnière de l’écran.
C’est ce que j’ai compris en lisant Éric Millette sur ce site, si je me souviens bien…