On emploie souvent la métaphore de l'Empire pour parler de Quebecor Media. À la réflexion, ce n'est pas tout à fait exact.
Un empire, selon la définition du Petit Robert, est un "État ou un ensemble d'États soumis à l'autorité de l'empereur".
Considérons comme des "États" les multiples compagnies qui forment aujourd'hui l'agrégat médiatique qu'est Quebecor Media. Or, plusieurs d'entre elles étaient, à l'origine, indépendantes (ou à peu près).
TVA et Vidéotron appartenaient à la famille Chagnon. À sa création en 1996, le portail Internet Canoë (un diminutif de Canadian Online Explorer) était la propriété du Toronto Sun et de Rogers. Avant d'être réunis sous le même toit par Quebecor Media, les éditeurs Libre Expression, Trécarré, Stanké, Les Éditions de l'Homme et VLB éditeur étaient tous autonomes. Les magazines 7 Jours, Le Lundi, Clin d'oil, Les Idées de ma maison et Animal ont tous eu une vie avant Quebecor Media. Les sites Jobboom et RéseauContact aussi. Jadis, le journal ICI était à 50 % la propriété de Quebecor; l'autre 50 % étant détenu par Communications Gratte-Ciel. Ailleurs au Canada, les journaux de Sun Media (dont le Toronto Sun) ont vécu la plus longue partie de leur histoire hors Quebecor. Tout comme les 54 journaux d'Osprey Media acquis en 2007 par cet "Empire" entre guillemets.
Toutes ces entreprises, auxquelles il faut bien sûr ajouter Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, forment aujourd'hui une sorte de magma.
Et c'est ici qu'intervient Pierre Karl Péladeau. À la tête de ce tapon d'entreprises, il a le défi herculéen de transformer Quebecor Media en un conglomérat cohérent, intégré, harmonisé et convergent. Un tout. Ou si vous voulez, un Empire digne de ce nom.
Ce n'est pas gagné. Pour l'instant, Pierre Karl Péladeau a seulement l'idée d'un Empire.
C'est vrai. Il est encore incapable de créer cette "salle de rédaction unifiée" où des journalistes multiplateformes nourriraient les différentes bouches de la Bête: le quotidien, les magazines, le site Web, la télé et bientôt les téléphones cellulaires.
J'en viens donc au lock-out au Journal de Montréal. C'est le premier arrêt de travail depuis la fondation du quotidien, en 1964.
Il y a bien sûr dans ce conflit des considérations salariales. Les syndiqués ne veulent pas travailler plus d'heures par semaine sans être rémunérés en conséquence. Ils n'acceptent pas non plus les compressions de personnel prévues par le patron. D'autant plus qu'ils jugent ces demandes exagérées, soulignant au passage que Le Journal de Montréal engrange des profits. La partie patronale, quant à elle, publie les conditions salariales des journalistes – parmi les meilleures de l'industrie des médias en Amérique du Nord. Une stratégie efficace pour qui veut faire passer les syndiqués pour des enfants gâtés.
Mais il y a un autre noud dans ce conflit. Selon le patron du Journal de Montréal, les syndiqués refuseraient de s'adapter au nouveau paradigme de l'information que représente Internet.
Pourtant, je n'ai jamais entendu un seul journaliste du Journal de Montréal dire qu'il était contre Internet. Ce qu'ils rejettent, c'est la convergence à tout crin. Pour tout dire, ils refusent d'être associés aux autres compagnies (les "États") de Quebecor Media. Il y a encore un esprit de clocher au Journal de Montréal.
Pascale Lévesque, journaliste aux Spectacles du quotidien, m'a d'ailleurs fait ce commentaire: "Cela ne nous intéresse pas de fournir du contenu Web qui se perdrait dans Canoë, à travers les vidéos et les blogues de quidams. Nous, on réclame depuis longtemps d'avoir notre propre site."
Autre preuve que les syndiqués en lock-out n'en ont ni contre le Web, ni contre le "journal de l'avenir" si cher à Pierre Karl Péladeau: aussitôt le lock-out déclenché, les syndiqués répondaient "par la bouche de leurs crayons" en lançant le site Internet RueFrontenac.com.
Ce n'est donc pas seulement une question de salaire ni une question d'adaptation aux nouvelles technologies qui se retrouvent au cour de ce conflit. C'est aussi une question d'identité.
Dans cet amalgame de compagnies variées qu'est Quebecor Media, il y a forcément des gens qui craignent l'assimilation. Voilà une peur qu'on connaît bien au Québec. Pour les journalistes, l'uniformisation de l'information chicote particulièrement.
S'il veut être un grand empereur, Pierre Karl Péladeau devra réussir à mobiliser les "États" qu'il a conquis autour du bel et grand Empire qu'il a en tête.
Car l'Histoire nous a montré une chose: pour qu'un empire fonctionne, le peuple doit y croire.
CANadian Online Explorer ?!
lol
Je croyais que Canoe était un clin d’oeil à la légende de la « chasse-galerie »…
Pas fort, pas fort, comme référence « québécoise », l’explorateur canadien en ligne… c’est poche quelque chose de rare !
« pour qu’un empire fonctionne, le peuple doit y croire. »
Pour l’instant, le peuple, en regardant l’orientation du Journal de Montréal au cours des dernières années, se contentent de manger de la galette…
Ce n’est pas trop brillant d’agir de cette manière-là en pleine « révolution technologique ».
Comment peut-on croire que l’uniformisation de l’information peut apporter la moindre plus-value à long terme lorsque les employés qui font le contenu n’ont plus les moyens d’être :
1) local ;
2) indépendant dans leur manière d’informer ;
3) capable d’auto-critique envers leur propre moyen de subsistance ?
Tsé, la démocratie, c’est pas seulement une affaire de gouvernance publique, c’est une tendance lourde dans le cadre de la société de l’information.
Un moment donné, on ne peut pas demander d’un côté aux syndiqués de s’investir corps et âme pour une publication et ensuite leur dire qu’ils travaillent pour autre chose qui est sans âme et sans revenus ajoutés pour ceux qui contribuent quotidiennement à l’extension du domaine de l’empire en devenir.
C’est ridicule.
Et je le répète : c’est FINANCIÈREMENT ridicule d’offrir ce type d’entente contractuelle unidirectionnelle à des employés qui se font dire de plonger dans le monde de l’interractivité.
« Donnez et vous recevrez », ce n’est pas seulement un slogan catholique…
It takes two to tango.
Si Québécor est un empire, alors il faut considérer ce lock-out comme une contre-attaque.
Les journalistes ne sont pas le problème? Ils veulent bien s’adapter? Il serait peut-être temps d’élire un représentant syndical qui pourra transmettre l’information, à la direction, sans se faire fermer la porte? Pour ma part, l’Empire a beau être tentaculaire, je fais en sorte de ne pas me frotter à ses griffes et je me tiens loin des journaux à potins et autres feuilles de choux du même acabit.
L’Empire ne me dictera pas comment penser, sans nécessairement me battre contre lui…
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Tenez-vous une chronique dédiée au Journal de Montréal?
Au début de ma carrière de traductrice (2001-2002), j’ai travaillé comme pigiste pour Canoe.ca. Je traduisais du français vers l’anglais des articles tirés de magazines féminins comme Clin d’oeil pour la section Lifewise. On m’envoyait un lot de textes à traduire par semaine et je retournais mes textes au fur et à mesure. Du jour au lendemain, on a décidé de couper dans la pige et hop! on m’informe par téléphone que mon contrat se termine immédiatement (sans même terminer ma semaine).
Mettons que cette façon cavalière de faire n’a pas mis Québécor dans mon coeur…
Le lock-out au plus gros journal du Québec est un événement complexe qui mérite qu’on s’y attarde, en particulier lorsqu’on couvre le beat Médias.
Je vais donc en parler et continuer en parler.
Rien dans le blog à Martineau depuis le 26…
DANS LA RUE, les figurants,les faire-valoir!!!
<>
Depuis le 26 seulement ?!
Je vous trouve bien peu radical, monsieur Bourbonnais, car le vide hante le blogue de monsieur <> depuis bien plus longtemps que cela, non ?
;-)
Puisque vous êtes de plus en plus nombreux à vous exprimer sur les différents sujets de ce blogue, j
Si PKP est un chirurgien, dans son opération de réseautage médiatique ratée, moi je suis Grisou le pompier en train de préparer un party…
Pascale Lévesque, journaliste aux Spectacles du quotidien, m’a d’ailleurs fait ce commentaire: « Cela ne nous intéresse pas de fournir du contenu Web qui se perdrait dans Canoë, à travers les vidéos et les blogues de quidams. Nous, on réclame depuis longtemps d’avoir notre propre site. »
Je suis peut-être suceptible, mais je trouve ces propos un peux prétentieux. Actuellement M Proulx, vous acceptez les propos de «quidams» et vous demeurez journaliste, à la pige peut-être, mais ou est le problème?
Je n’adhère pas aux façons de faire de M Péladeau, mais j’entend derrière les revendications des journalistes du JM. Une certaine attitude d’enfants gâtés!! C’est certain que l’on aime pas perdre nos avantages, mais il faut à l’occasion les remettre en perspectives. Non? Même le voir à changer sa façon de faire. De chroniqueurs vous êtes passés à blogueurs!! Pour moi le talent reste le même. D’ailleurs en tant que quidam, j’aime bien cette nouvelle aproche car il vous est possible de réagir de façon plus spontané.
Et je rappellerais à M Péladeau les propos du plus grand empereur Jule César: «Nous traverserons le pont arrivé à la rivière».