Angle mort

Les journaux, kossa donne?

 

On est gras dur au Québec en matière de journaux. On a trois grands quotidiens francophones pour couvrir tout ce qui se passe entre Star Académie et Kandahar, deux quotidiens gratuits du métro, une pléiade de quotidiens et d'hebdos régionaux. Si on veut se tacher les doigts, y a qu'à étirer le bras.

La relative santé de nos journaux imprimés tient à deux choses:

  • le fait français;
  • le retard du Québec vis-à-vis de l'information en ligne.

Or, ce n'est qu'une question de temps avant que nos journaux commencent officiellement à manger leurs bas.

Chaque jour, les rubriques nécrologiques des quotidiens publient les photos d'un lectorat qui s'en va tranquillement. N'envoyez pas de fleurs, mais un don au Journal de Montréal ou à La Presse serait apprécié. Les jeunes en général (l'avenir, comme on dit) n'attrapent pas le réflexe de lire un journal. Et ce serait faire preuve d'un optimisme naïf que de penser qu'ils l'attraperont un jour.

Tenez, cela me rappelle une histoire lue récemment sur le site du magazine économique américain Forbes. C'était un article sur les paperless towns, ces petites villes qui ont perdu leur journal local. Il y avait le cas de De Queen, Arkansas. Cette localité d'un peu moins de 6000 âmes est sans journal depuis quelques mois. Est-ce l'hécatombe? Pas tant que ça. Pour l'information, la radio locale a pris le relais. Pour le reste, le seul impact concret que Forbes a réussi à trouver est celui-ci: les ventes de couronnes funéraires du fleuriste de la place ont chuté de moitié. Car sans le journal, les gens ne sont pas informés assez tôt du décès d'une connaissance ou d'un ancien proche.

Voilà le genre d'anecdote qui ne plaira pas trop à ceux qui croient que la mort des journaux représente un coup de poing dans le ventre de la démocratie et la désagrégation du tissu social. Jusqu'à maintenant, les preuves ne sont pas là.

Des dizaines de journaux aux États-Unis sont menacés de disparaître. Plusieurs ont déjà cessé d'être imprimés ou ne sont plus que des sites Internet. Je ne vous ferai pas la liste exhaustive. Pour le constater, tapez Newspaperdeathwatch.com dans votre fureteur Web. Dans plusieurs villes américaines, bien des fleuristes doivent souffrir d'insomnie par les temps qui courent.

En regardant l'état de l'industrie de l'information sur support papier, des experts posent la question: les journaux, kossa donne? Il y en a pour dire que ça ne donne plus grand-chose.

L'auteur états-unien et expert en marketing Seth Godin, connu pour ses nombreux best-sellers dont Purple Cow: Transform Your Business by Being Remarkable, se demandait récemment sur son blogue ce qui nous manquerait lorsque les journaux ne seront plus. "La section de sports? écrivait-il. Non, c'est mieux sur Internet. La météo? Non plus. Même les comics sont meilleurs en ligne."

Pour l'auteur, le Web serait aussi l'espace idéal pour les critiques de livres, de films, de restaurants. Même chose pour les chroniques et les éditoriaux. Le Web "amplifie le bon contenu", selon Godin. De sorte que les chroniques pertinentes sont "hyperliées" par les blogueurs, commentées par les internautes ou citées sur Twitter ou Facebook. L'opinion publiée sur Internet a donc une vie beaucoup plus riche que dans un journal papier. C'est sain.

Dans quel domaine les journaux imprimés font-ils mieux que le Web? Peut-être l'information locale. Les scoops qui alimentent les médias électroniques (Internet inclus) arrivent encore le plus souvent par les journaux. C'est un fait.

Serait-on aussi bien informé sur le monde qui nous entoure s'il n'y avait, pour assumer le quatrième pouvoir, que la télé, la radio et des journalistes en ligne payés des pinottes? On n'en a aucune idée. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un journaliste indépendant basé à Los Angeles, TJ Sullivan, a eu l'idée folle de lancer une pétition. Il demande aux grands quotidiens américains et à l'agence de presse Associated Press de fermer leurs sites Web pendant une semaine. Un black-out de l'information en ligne. Pour Sullivan, ce serait une façon de montrer à tout le monde l'importance capitale des journaux imprimés dans une démocratie.

Lundi dernier, il avait recueilli un peu plus de 300 signatures.

L'initiative est noble, même si le projet est utopique. Mais imaginons néanmoins qu'il se réalise, que les journaux imprimés décident de ne plus nourrir leurs sites Internet pendant une semaine. Qu'arriverait-il? Probablement quelques plaintes, mais à mon avis, il arrivera ce qui arrive toujours: la Terre continuera de tourner… et on s'informera autrement.

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Les journaux, une espèce en voie de disparition? (Pierre Duhamel, L'actualité, 5 mars 2009) 

Poésie médiatique de fin du monde (David Desjardins, Voir Québec, 12 mars 2009)