Angle mort

Facebook pourrait ne pas causer le cancer

Chaque semaine, on nous sort d'une boîte à surprises un nouvel élément cancérigène.

Dernièrement, sur le Web, dans les journaux, à la radio, j'ai appris que le vin augmenterait les risques de cancer. Certains ont même évoqué l'interdiction du ballon de rouge dans l'Hexagone. Absurde.

J'ai lu un article sur les agents cancérigènes dans les produits pour bébés et dans les t-shirts. Et à Christiane Charette, l'autre fois, j'ai même appris que ma lampe de chevet émettait un champ électromagnétique potentiellement cancérigène.

Je me tâte trois fois par jour pour être sûr que je n'ai pas le cancer. Pas de farce. Je suis allé chez le médecin il y a quelque temps pour une bosse suspecte sur l'avant-bras. Il m'a passé au scanner et m'a dit: "C'est bénin." "Bénin, comme dans (cancer bénin(, docteur?" "Bénin comme dans (va-t'en chez vous(", m'a-t-il répondu.

Mon nom est Steve Proulx et j'ai peur du cancer.

Or, je peux compter sur les médias pour nourrir ma phobie. On le sait, l'information carbure à la nouveauté. Pourquoi un autre reportage pour nous dire que les deux tiers des cancers sont liés au tabagisme, à l'alimentation, à l'inactivité physique et à l'embonpoint? C'est plate. On préférera donner du temps d'antenne au dernier élément cancérigène fraîchement sorti d'une étude quelconque. Du coup, on alimente une certaine psychose collective.

Dernier agent cancérigène médiatique: Facebook.

Vous l'avez peut-être vue passer, la nouvelle a abondamment circulé sur Internet. Elle s'appuyait sur une "étude" qui, selon ce qui était rapporté dans les médias, soutenait que les relations sociales virtuelles entraînaient une diminution du nombre de relations avec des personnes "réelles". Ce qui causerait des dérèglements biologiques. Ce qui augmenterait les risques de souffrir de maladies graves. Exemple: le cancer.

Le titre de la nouvelle était vendeur. Considérant que, selon la firme Nielsen, les deux tiers des internautes dans le monde fréquentent au moins un réseau social (Facebook, MySpace, Twitter), l'histoire ne pouvait faire autrement que de se répandre comme une traînée de cellules cancéreuses.

Le hic, c'est que la fameuse "étude" derrière la nouvelle a été foutrement mal citée. C'est le coup classique des médias qui donnent à des études scientifiques un rayonnement inversement proportionnel au sérieux de la "découverte".

Ainsi, l'étude en question était plutôt un article signé par le psychologue britannique Aric Sigman dans la revue The Biologist (février 2009). En le lisant, on découvre vite que le raccourci "Facebook cause le cancer" n'est absolument pas une citation tirée du texte. Le mot "Facebook" n'y est même jamais mentionné! Premier problème.

Sans avoir mené de recherches officielles dans un labo et tout le bataclan, Aric Sigman y est plutôt allé d'une revue sélective d'études antérieures pour illustrer une idée: les réseaux sociaux réduisent le temps passé à interagir réellement avec d'autres humains, ce qui pourrait augmenter les risques de maladies.

Sur la méthode, le sceptique et vulgarisateur scientifique Ben Goldacre, auteur de la chronique Bad Science dans le quotidien britannique The Guardian, accuse le Dr Sigman d'avoir fait du cherry picking (cueillette de cerises). Un procédé proche de la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à ne retenir que les preuves qui confortent la thèse de départ, tout en évacuant celles qui la contredisent.

Ainsi, Sigman n'a pas considéré dans son texte les études qui prétendent, par exemple, qu'Internet et la fréquentation des réseaux sociaux n'ont aucun impact observable sur la santé. Ou encore que dans certains cas, le Web facilite les rencontres "réelles" entre les individus! Voilà le genre d'études fâcheuses pour qui veut faire valoir un point de vue.

Conclusion: en attendant l'étude sérieuse qui prouverait hors de tout doute raisonnable les liens entre Facebook et le cancer, j'ose encore continuer à accumuler des amis virtuels.

Remarquez, j'ai peut-être tort. Dans quelques années, un vrai scientifique dans une vraie recherche découvrira peut-être un vrai lien entre l'utilisation de Facebook et le développement de tumeurs cancéreuses. C'est un risque.

Sauf que si jamais je claque d'un cancer à cause de Facebook, j'aurai au moins une consolation. Si tous mes amis virtuels se déplacent à mes funérailles, ils seront suffisamment nombreux pour remplir la basilique Notre-Dame. Parlez-moi d'une cérémonie qui aura de la gueule.