Angle mort

Vendre la ville

Au printemps, la banlieue sort ses appâts et s'en va à la pêche aux nouveaux propriétaires. Elle le fait avec des pubs farcies de paysages verdoyants, de petites familles trop heureuses pour être vraies et de slogans cuculs. Du genre: Blainville… Tu m'inspires!, Moi, Mascouche m'enchante!, Laval – C'est bon pour le moral, S'épanouir à Repentigny

Vue de Montréal, toute cette entreprise de séduction peut finir par donner l'impression qu'un simple fleuve nous sépare du paradis. Ventre-saint-gris! Pourquoi toléré-je la grisaille de la ville alors qu'à Mirabel, la vie est belle?

Laissez-moi rire.

La banlieue, j'ai déjà donné. Deux ans. Le split-level, le cabanon, le deck, le bonheur à vingt minutes du centre-ville… j'ai eu tout ça. Je n'en conserve pas un souvenir ému. Entre les périodes d'heures de pointe, ma ville-dortoir avait plutôt l'air de Val-Jalbert. Et chaque soir de semaine, le seul signe d'une quelconque activité humaine était la lueur bleutée des téléviseurs allumés, irradiant les devantures vitrées des bungalows tous pareils. Les voisins étaient en train de "s'épanouir" devant Providence. "Tranquillité d'esprit", mon oil! J'appelle cela de l'ennui mortel.

Au bord du bore-out, je suis revenu en ville…

LA VIE PROCHE DE TOUT

Montréal aussi a lancé une série d'affiches pour tenter de garder sur l'île les jeunes familles montréalaises qui auraient pour projet de Vivre Longueuil et y habiter, ou qui seraient sur le point de se laisser convaincre que la famille est au cour de Sainte-Julie. On parle ici d'une campagne de rétention. Pourquoi? Il y a un risque de désagrégation du tissu social, semble-t-il. C'est que la population de Montréal est comme une baignoire sans bouchon. D'un côté, l'eau coule du robinet, mais de l'autre, elle s'écoule par le drain. Chaque année, environ 24 000 personnes arrivent à Montréal et presque autant, surtout des jeunes familles, s'exportent en banlieue. Or, au contraire des banlieues qui cherchent à nous faire croire que Boisbriand est ce qui se rapproche le plus du jardin d'Éden (au nord des Seychelles), la campagne Habiter Montréal fait appel à un certain pragmatisme.

Quitter Montréal, mais pour aller où?, dit une des affiches. Le sous-entendu: "Pensez-vous vraiment que vous trouverez le bonheur dans une unifamiliale Novoclimat à Beloil, à côté de 200 unifamiliales identiques à la vôtre?" Une autre affiche clame: Ne mettez pas de pont entre vous et vos enfants. Qu'ajouter de plus? Une autre a le mérite de ne pas tourner autour du pot: Problème d'habitation? La banlieue n'est pas une solution. J'imagine qu'on cherche ici à rappeler subtilement que l'étalement urbain est un vrai problème, à la fois social et environnemental.

Mais mon slogan préféré, c'est celui-ci: Comme deuxième voiture, pensez à un duplex. Le responsable de cette campagne de rétention à la Ville de Montréal, Robert Paré, m'explique que la phrase veut bousculer l'idée reçue voulant que la vie de banlieue soit moins chère. "Les gens ont une méconnaissance de la gestion financière", dit-il. Son calcul est le suivant: une famille montréalaise qui déménage jusqu'à Saint-Basile-le-Grand (Où il fait bon vivre au naturel…) aura certainement besoin d'une deuxième auto. En comptant l'essence, les assurances, les mensualités, les réparations, c'est une dépense d'au moins 8000 $ par année. Si on décide de rester à Montréal et de garder une seule auto, ce 8000 $ correspond à peu près au total des versements annuels pour une hypothèque de 100 000 $.

Résumons. Une maison en rangée à Terrebonne coûte 225 000 $ (plus une deuxième voiture). Vous l'achetez et vous avez votre "petit paradis" dans le 450. En revanche, si vous restez à Montréal, vous pourriez transformer votre auto en un prêt hypothécaire de 100 000 $, vous retrouver avec une hypothèque de 325 000 $, ce qui est souvent suffisant pour acquérir un duplex. Vous serez donc propriétaire en ville, sans avoir à adapter votre budget. Et vous aurez en prime un locataire pour vous aider à payer votre immeuble.

Bien sûr, pour voir les bons côtés de l'affaire, il faut aller au-delà des slogans bucoliques des villes de la première et deuxième couronne. Non, Beloil n'a pas le monopole de la beauté et du cadre enchanteur. Et l'avenir n'est pas seulement à Vaudreuil-Dorion.

La ville aussi a deux ou trois atouts: la richesse culturelle et sociale, un large éventail de possibilités, et tout ça sur la même rue. Ce sont là des privilèges urbains dont j'aimerais faire profiter mes enfants… Au diable la piscine hors terre!