La crise économique, avec ses faillites, ses pertes d'emplois, ses reprises hypothécaires et ses milliards envolés, inspire… la mode.
Pas de farces. Alors que les griffes italiennes et françaises étaient, il n'y a pas si longtemps, les chouchous des boutiques chics de Londres, maintenant on préfère la couleur locale. Et des designers britanniques exploitent le filon en bardant de l'Union Jack leurs accessoires made in UK.
C'est ce qu'une journaliste de Reuters a nommé le fashionalism (contraction de fashion et nationalism). Une tendance directement liée au protectionnisme; un phénomène découlant des déboires de l'économie mondiale. Selon l'agence de presse, depuis novembre dernier, 17 pays du G20 ont lancé des mesures visant à restreindre les échanges commerciaux avec d'autres pays. En temps de crise, on se serre les coudes. Aux États-Unis, on achète américain. En Grande-Bretagne, on achète britannique.
Autre tendance shopping très en vogue: les recessionistas. Oubliez les fashionistas de la série Sex and the City et leurs souliers Manolo hors de prix. Complètement out.
En temps de crise, le chic, c'est de porter fièrement un sac à main vintage dégoté pour trois fois rien. Voilà d'ailleurs ce qui différencie la recessionista de la simple magasineuse avisée: la fierté d'exhiber ses marques bas de gamme!
Frugalité: In; Bling-bling: Out.
Les constructeurs automobiles américains en bavent par les temps qui courent. Même chose pour Starbucks, la plus grande chaîne de cafés branchés au monde. Alors que, dans ses belles années, elle pouvait ouvrir jusqu'à huit nouveaux cafés par jour, l'entreprise a dû en fermer des centaines depuis le début de la récession. C'est que le petit café Moka avec de la crème fouettée et de la cannelle râpée à 4 $ est un des petits plaisirs dont on peut se passer lorsqu'on doit se serrer la ceinture.
En temps de crise, on ravale ses envies de luxe et on se contente d'un café régulier.
Ce qui est vrai pour le café Starbucks l'est aussi pour nombre de produits plus ou moins essentiels.
À la SAQ, on repartira avec un deux litres de Notre Vin Maison à 18 $ et on laissera le Château Margaux sur les tablettes. On remplacera quelques visites cochonnes chez Martin Picard par un repas poitrine chez Saint-Hubert. Au lieu d'être abonné à 70 chaînes qu'on ne regarde jamais, on téléphonera au câblodistributeur pour en retrancher la moitié. Et plutôt que du sel rose cueilli dans les mers asséchées de l'Himalaya et livré avec sa cuillère dans un petit pot hermétique, on se contentera du bon vieux Sifto iodé.
C'est un retour en force de la simplicité volontaire, de la frugalité. Mais la tendance va plus loin encore. Désormais, faire étal de son statut social en se vautrant dans le luxe est considéré comme vulgaire.
Cette année, la cérémonie des Oscars s'est déroulée sous le signe de la sobriété. Pas question de faire tinter son bling-bling, alors que des centaines de familles américaines sont condamnées à camper sur des terrains vagues.
En temps de crise, on se garde une petite gêne.
LA FIN DES ANNEES 80
Toutes ces modes de crise sont-elles les signes avant-coureurs d'un vaste tournant culturel? Peut-être bien.
Dans sa dernière édition, le magazine Time publie en couverture la photo d'un gros bouton "Reset", avec un titre: The End of Excess – Why this crisis is good for America. Ça sent le début d'un temps nouveau.
À l'intérieur, l'article de Kurt Andersen soutient que l'Amérique est en train de changer d'époque. Nous vivons la fin des années 80, cette période débridée lancée par Reagan, qui nous a fait connaître les joies du néolibéralisme triomphant, du crédit mur à mur, de l'hyperconsommation et du Think Big. C'est fini tout ça.
La crise marque une rupture avec les dernières années. Et cette rupture fera naître de nouvelles valeurs.
Le bouillonnement culturel des années 60 nous a laissé le féminisme, l'environnementalisme, les droits humains. Quelles valeurs émergeront de cette crise causée par l'avidité, l'appât du gain, la confiance aveugle dans la croissance économique et l'individualisme?
En ce moment, on voit naître un goût pour la simplicité, un désir de consommer selon ses besoins (et ses moyens). On note aussi un intérêt plus marqué pour la communauté, la patrie et une plus grande sensibilité envers ceux que la crise frappe de plein fouet.
Si jamais on conservait ces valeurs après la crise, alors elle en aura valu le coût.
Vu, hier soir, dans la fenêtre du petit bar crado au coin Mont-Royal et D’Iberville, une affiche promotionnelle qui disait:
Mercredi récession, 0,75$ la bière.
Hé que je l’ai trouvée bonne.