Angle mort

Une mode épouvantable

La fusillade de Columbine réinterprétée, façon jeu vidéo. Source: Jon Haddock

Il y a un boom de faits divers dans l'actualité québécoise.

Selon Influence communication, la semaine dernière, la couverture des faits divers et autres histoires judiciaires a déclassé l'économie et le sport.

Du drame humain, on en a reçu par intraveineuse: deux fillettes tuées à Laval, Francis Proulx nie avoir eu des relations sexuelles avec le cadavre de Nancy Michaud, Gérald Gallant plaide coupable de 27 meurtres, un homme abat deux policiers à Pittsburgh, et pendant ce temps, dans l'État de New York, un forcené tue 13 innocents.

Vendredi dernier, Marie-Claude Lortie écrivait dans La Presse que lorsqu'un cas d'enfant tué par un parent atterrissait dans les médias, cela avait des répercussions jusque dans les bureaux des psys de l'hôpital Sainte-Justine. "[Des femmes enceintes ou qui viennent d'accoucher] commencent à s'inquiéter d'elles-mêmes", écrivait la chroniqueuse. Elles ont peur d'êtres toxiques, d'en arriver elles aussi à commettre des gestes tragiques. Or, selon une psychologue citée dans l'article, même si ces drames familiaux sont suivis minute après minute à LCN, ça ne pousserait pas des parents au bord du gouffre à "imiter" ce qu'ils voient aux nouvelles. Il n'y aurait pas d'effet d'entraînement nourri par les médias.

J'aimerais y croire.

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L'effet Werther, vous connaissez? C'est le suicide par imitation. Pour la petite histoire, le nom vient du personnage d'un roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther (1774). À la fin du livre, Werther s'enlève la vie et, à l'époque, la popularité du roman aurait déclenché une vague de suicides dans la population.

En 2001, le Bureau du coroner publiait une recherche sur l'impact de la médiatisation du suicide. Il semblerait que les médias augmentent leur impact sur le nombre de suicides lorsque, dans la couverture d'un suicide célèbre (celui de Dédé Fortin, par exemple), on fournit des détails sur la méthode utilisée, on mentionne l'inconcevable du geste ("Il avait tout pour lui.") ou on tente d'expliquer la raison du suicide. En revanche, les médias diminuent leur impact en diffusant des ressources pour prévenir le suicide.

Cela dit, le phénomène est documenté: parler du suicide dans les médias peut rendre l'idée plus concrète chez les gens à risque.

Le suicide est une chose, qu'en est-il de la folie meurtrière?

À la fin du 19e siècle, des criminologues ont commencé à croire que certains meurtres crapuleux décrits en détail dans les journaux avaient un "pouvoir de suggestion". Nous étions alors à l'époque de Jack l'Éventreur et de ses mutilations sur des femmes de Londres. Selon les experts du temps, jusqu'à huit meurtres auraient été inspirés par le célèbre tueur en série.

Un philosophe français, Gabriel Tarde, avait alors évoqué un phénomène de mode, alimenté par la presse, pour expliquer certains types de crimes très précis.

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Au surlendemain du drame de la Polytechnique, le 6 décembre 1989, Pierre Foglia signait une chronique dans laquelle il jugeait vain de chercher des raisons au geste de Marc Lépine. "C'est épouvantable. Mais ça n'a strictement rien à voir avec rien, écrivait-il alors. […] Des avions dans le ciel. Des fois il en tombe un. Il n'y a rien à faire."

Il y a vingt ans, Foglia avait raison. Polytechnique était un cas isolé, un avion qui tombe. Il fallait remonter jusqu'en 1975 pour trouver un autre exemple de tuerie en milieu scolaire. Après, il faudra attendre 1996 pour avoir une autre fusillade dans une école.

L'affaire, c'est que depuis 1996, il y a pratiquement une tuerie de type Polytechnique par an, avec une croissance marquée depuis les dernières années: deux en 2006, trois en 2007, cinq en 2008. Nous ne sommes qu'en avril 2009, et il y en a déjà eu deux. La première à Winnenden (Allemagne) en mars, 15 morts. L'autre vendredi dernier, à Binghamton dans l'État de New York, 13 morts. Celle-là n'était pas à proprement dit dans une école, mais quand même.

Il y a des avions qui tombent de temps en temps. Et il y a ce qui commence à ressembler à une mode. Une mode lancée bien avant le début de la crise économique, en passant.

Abattre des innocents dans un lieu public semble être un moyen moderne de péter les plombs.

Et j'aimerais croire que l'intense médiatisation de ces fusillades n'a rien à voir là-dedans, que ce déséquilibré qui a ouvert le feu sur des quidams dans un centre d'aide aux immigrés vendredi dernier n'a pas été inspiré par Virginia Tech, Columbine, Dawson…

J'aimerais croire que l'effet d'imitation n'existe pas.

Mais je n'y arrive pas…