En 1970, un professeur d'économie a comparé les systèmes de dons de sang de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Il a noté que, contrairement aux Anglais, les donneurs américains étaient payés. Pourtant, les États-Unis manquaient toujours de dons de sang. Pourquoi? C'est que le système américain se basait sur cette idée voulant que "plus on paie, plus on incite". C'est faux. En réalité, le salaire tue le plaisir. Rémunérer une B.A. neutralise l'intérêt de la B.A. en question.
Voilà une des nombreuses fausses bonnes idées que l'on trouve dans le livre Les Stratégies absurdes – Comment faire pire en croyant faire mieux (Seuil, 2009) de l'économiste Maya Beauvallet.
À mon avis, si l'auteure cherche de l'inspiration pour un tome 2, elle devrait regarder du côté des stratégies de nos gouvernements en matière d'environnement. Des projets "verts" inutiles, ou carrément néfastes, on en a plein.
635 MILLIONS PLUS TARD
Commençons par une idée qui coûte cher et qui ne donne rien, gracieuseté du gouvernement Harper. Il s'agit du crédit d'impôt sur le transport en commun. En 2007, le gouvernement fédéral estimait que cette mesure coûterait 635 millions $ et réduirait de 220 000 tonnes par année les émissions de gaz à effet de serre. Un an plus tard, Environnement Canada ramenait son estimation à 35 000 tonnes par an. L'affaire, c'est que la mesure a surtout fait plaisir à ceux qui utilisaient déjà le transport en commun, tout en ratant l'objectif d'inciter les automobilistes à se déplacer autrement. Comme l'a souligné le commissaire à l'environnement et au développement durable dans son dernier rapport: "Le programme aura une incidence négligeable sur les émissions de gaz à effet de serre au Canada, malgré les coûts engagés."
Bravo, les gars.
C'est ce même gouvernement qui, devant un défi de taille, préfère croire aux miracles. Je parle bien sûr du miracle du captage et de la séquestration du CO2. Les conservateurs semblent voir là-dedans la solution magique aux problèmes des changements climatiques. Et pourtant, c'est une technologie qui, selon les experts, ne sera pas au point avant 2030 (alors que c'est aujourd'hui qu'il faut agir). Une technologie, par ailleurs, qui est excessivement coûteuse, qui présente des risques importants, qui gaspille de l'énergie (une centrale au charbon devra brûler entre 10 % et 30 % plus de charbon pour arriver à séquestrer le CO2 qu'elle génère). Et surtout, c'est un moyen de continuer à dépendre des combustibles fossiles, alors que c'est le contraire qu'il faut viser.
Encore une fois, bravo, les gars.
LE FETICHISME DE LA SENSIBILISATION
Une autre idée pas franchement lumineuse, celle-ci commanditée par l'Agence de l'efficacité énergétique du Québec (AEE). L'an dernier, l'organisme public a dépensé quelques millions de dollars dans une campagne de pub. Intitulée Attendez-vous que quelqu'un le fasse à votre place?, la campagne a répandu, entre autres, trois messages télévisés nous incitant à couper le moteur quand l'auto est arrêtée, à abaisser le chauffage la nuit, à laver notre linge à l'eau froide. Résultats? Si je me fie à l'évaluation de la campagne faite par la firme Ad Hoc Recherche pour le compte de l'AEE, pas grand-chose.
Selon Ad Hoc, "la campagne n'a pas encore eu d'effet statistiquement significatif" et "les comportements préconisés par la campagne étaient déjà largement connus" par l'ensemble de la population. En fait, 98 % des gens savent que laver à l'eau froide économise l'électricité. Les pubs ont tout de même réussi à augmenter d'un gros 3 % la notoriété du message "abaisser le chauffage pendant la nuit économise de l'énergie", soit de 94 % à 97 %. Spectaculaire.
Pourquoi ne pas avoir investi dans des projets CONCRETS d'efficacité énergétique, plutôt que dans une campagne de sensibilisation qui dit des choses que plus de 90 % d'entre nous savons déjà?
Ce fétichisme de la "sensibilisation" au sein des gouvernements et dans les organismes publics me semble une façon pratique de donner l'illusion d'une action, tout en ne faisant strictement rien.
Combien d'argent a-t-on injecté dans des campagnes (inefficaces) de sensibilisation aux dangers du tabagisme? Or, le nombre de fumeurs a vraiment commencé à baisser lorsqu'on a interdit la cigarette dans les lieux publics, sur les lieux de travail, dans les bars et les restaurants.
En environnement aussi, ce sont des politiques intelligentes, efficaces et concrètes qu'il faut. Pas des stratégies absurdes.
Je pourrais continuer, mais bon… Je ne voudrais pas gâcher votre Jour de la Terre. C'est le 22 avril, en passant.
Il ne faut pas oublier que ce que vous appelez le fétichisme de la sensibilisation, vient jouer sur un sentiment de culpabilité ultra moralisateur dans nos actions de tous les jours, alors que les 40 millliards disparus de la caisse de dépôt, ce n’est qu’un problème de gestion…
Personnellement, je déteste ce genre de pub, elle pourrait me pousser à agir de façon contraire.
Cher Steve Proulx, je dois vous «confesser» que je suis très «sensibilisé» (merci à toute une pléthore de «sensibilisateurs» bien-pensants) à LA PROBLÉMATIQUE FÉTICHISTE DE LA SENSIBILISATION qui hante en profondeur l’âme québécoise (et l’âme contemporaine) et qui oriente les stratégies de ceux qui ont du pouvoir.
Ici, dans ce Québec aux cerveaux généralement bien formatés, il se trouve toujours quelqu’un qui, pour faire face à toute une kyrielle de problèmes, s’écrie: «Eureka! Nous allons mettre au point une campagne de SENSIBILISATION, d’information et d’éducation. Et une fois que le peuple sera informé et SENSIBILISÉ, tout va changer!» On recourt donc aux services coûteux et douteux de toute une brochette de spécialistes en marketing et en publicité qui, eux, vont nous apprendre ce que tous les médias, ou presque, ne cessent de nous apprendre d’une manière presque quotidienne.
Au Québec, la correctitude politique et intellectuelle, le vertuisme et l’angélisme font en sorte qu’on semble ne jamais comprendre que, dans toute société cohérente, il arrive qu’il faille aussi mettre en place des mesures contraignantes, sinon répressives. Il ne s’agit pas de faire l’éloge des sociétés totalitaires et répressives. Mais je crois savoir que, même en démocratie, il faut parfois lever le ton et recourir à diverses mesures «musclées» lorsque certaines personnes refusent de se plier à un ensemble de normes qui, la plupart du temps, sont marquées au sceau du civisme, de la civilité, du sens citoyen et du sens de la solidarité sociologique.
Comme Proulx et d’autres j’ai trouvé insignifiantes et insipides les publicités de l’Agence de l’efficacité énergétique du Québec (AEE). Mais, dans mon délire personnel, j’y ai vu une prophétie. En effet, vis-à-vis de certains gestes écologiquement sensés et souhaitables, la question qui se pose est «attendez-vous que quelqu’un le fasse à votre place?» Et imaginez ce qui arriverait si d’autres le faisaient à notre place!?
Cela m’a rappelé deux livres de l’agronome et penseur René Dumont. Il y a 20 ou 30 ans, il a écrit un livre intitulé L’UTOPIE OU LA MORT. Il proposait, de manière un peu angélique, un changement dans le champ des mentalités et des manières d’agir. Puis, quelques décennies plus tard, il a publié LA CONTRAINTE OU LA MORT. Il croyait de moins en moins à l’utopie ou à la SENSIBILISATION et il prétendait que des mesures énergiques seraient de plus en plus nécessaires, sinon obligatoires.
Comme Dumont et de nombreux «penseurs», il m’arrive de m’imaginer que la crise écologique, si elle s’aggrave, va finir par justifier la mise en place d’une société de plus en plus contraignante et répressive, histoire de sauver la planète pour que les riches, entre autres, ne perdent pas trop de richesses et de profit.
Si je ne profère pas trop d’âneries ou de sottises, je pense qu’à l’instar de Steve Proulx, nous devrons réfléchir aux dommages provoqués par LES STRATÉGIES ABSURDES.
Cela étant dit, je pense qu’une sortie démocratique vaudrait mieux qu’une évasion totalitaire.
JSB
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