Mon grand-père était agriculteur. Toute sa vie, il a labouré sa terre, semé son grain, récolté ses patates, pris soin de ses vaches. La totale, quoi.
Or, il était parfaitement conscient que son destin et celui de sa descendance reposaient entre les mains d'une seule chose: la météo. Trop de soleil et pas de pluie, c'est la sécheresse. L'inverse? Les patates pourrissent dans le champ.
Pour se rappeler le terrible sens de l'expression "Rien n'est jamais acquis", mon pépé n'avait qu'à lever le nez au ciel. Son gagne-pain intégral dépendait de ça. Point.
Mon aïeul, dont l'existence tournait autour de cette implacable logique agricole, n'a pu faire autrement que de développer des réflexes de prudence. Ne vends pas tes patates avant de les avoir récoltées.
On est loin de ça aujourd'hui. Contrairement à mon grand-père, on ne vit pas en fonction de nos patates récoltées, mais en fonction de notre "capacité à rembourser". Nuance.
Et si j'ai bien compris – c'est loin d'être le cas -, toute cette fichue crise, c'est parce qu'on s'est fait prêter du fric par des financiers qui vendaient notre capacité de rembourser à d'autres financiers. Ces gens-là ont érigé un système d'une complexité inouïe, basé sur notre hypothétique capacité à récolter suffisamment de patates pour rembourser notre hypothèque. Toute la gimmick s'est écroulée. Et voilà le travail.
Parce que mon grand-père a toujours vécu en fonction des patates qu'il avait déjà en poche, l'idée qu'il se faisait de sa propre richesse était dramatiquement différente de la nôtre. Ça ressemblait curieusement à ce qu'il avait en poche.
Tenez, lorsqu'il a dû s'acheter une auto, mon grand-père a mis son chapeau, s'est rendu à la banque, a retiré les fonds nécessaires de son compte Opérations. Et il a acheté une auto. Comptant.
C'était une Lada.
Aujourd'hui, on nous offre une carte Visa Or dans un kiosque à l'entrée du métro Sherbrooke. On peut acheter tout ce qu'on désire et le payer en 12 versements. Et n'importe qui doté d'un minimum d'allure peut contracter un prêt hypothécaire étalé sur 35 ans, sans mise de fonds, pour acheter une maison trop grande pour ses besoins. Et surtout, on va lui faire croire que tout ça va l'enrichir.
Avec le buffet à volonté du crédit, on a fini par éprouver une fausse impression de richesse. On se pense bien riche, alors on a des goûts de riches. Pire encore, le luxe devient carrément un besoin! On vient d'avoir un enfant? Il nous faut ABSOLUMENT un VUS pour déplacer toute la petite famille!
Mon grand-père a eu 12 enfants.
Et une Lada.
Dans son étude État actuel du budget de la famille canadienne (2008), l'Institut Vanier qualifie de "quasi catastrophique" le niveau d'endettement des ménages au pays. "Le ratio d'endettement est maintenant au-dessus du taux que connaissaient les États-Unis en 2006, juste avant l'éclatement de la crise", lit-on dans le rapport.
Pendant ce temps, que font les rigolos qu'on a mis à la tête de nos gouvernements? Ils nous disent d'acheter des bébelles. Ce contre quoi s'oppose vigoureusement l'auteur de l'étude de l'Institut Vanier, Roger Sauvé. Il écrit: "Quand l'économie se porte mal, les gouvernements, entreprises et prêteurs demandent aux consommateurs de la soutenir en dépensant davantage. Encore mieux à leurs yeux, empruntez pour sauver le Canada. On vous dit d'oublier vos dettes records et vos économies annuelles minimes ou inexistantes. […] De grâce, ne succombez pas à ces demandes. Dépensez un peu moins, économisez un peu plus et réglez certaines dettes."
Et j'ajouterais: engagez vos grands-parents comme conseillers financiers.
Il est tout de même rassurant de lire un peu partout que les mentalités changent. Il paraît que ça n'arrive pas très souvent, d'ailleurs. Les mentalités étant, dit-on, dures à changer. La crise semble avoir fait réaliser, de façon brutale, qu'on est moins riche qu'on le pensait.
Les Américains se sont même remis à épargner. Leur taux d'épargne, qui se situait, il n'y a pas si longtemps, à 0 %, est maintenant revenu à environ 5 %. Et j'en ai déjà parlé dans cette colonne: la frugalité est vachement tendance.
On est pauvre et on commence peu à peu à vivre selon ses moyens.
L'idée n'est pas de revenir à la mentalité du "né pour un petit pain". Mais il n'y a rien de mal à admettre qu'on est né pour un pain de dimension satisfaisante pour combler un appétit ordinaire.
Moins catchy comme expression, j'en conviens.
Hum… Intéressant commentaire !
Et cela ne peut pas mieux adonner, je viens de régler une dette. J’ai payé la balance de ce que je devais à Mastercard. Paf ! Ainsi, je ne paierais pas 20-30% d’intérêt par mois. Parce que le crédit, on te l’accorde facilement, parce qu’on fait de l’argent avec toi.
Comme mon auto, si je l’avais payé comptant au complet, elle m’aurait coûté 7 000 dollars, mais au lieu de cela, je l’ai payé pas mal plus cher en 36 versements plus intérêts.
Les requins de la finance ont été un peu trop voraces et ont oublié qu’à trop tirer sur l’élastique, il allait péter, et leur péter en pleine face, parce que c’est pas mieux si tu te ramasses avec une foule de gens qui ne peuvent te rembourser.
Un budget équilibré, c’est ne pas dépenser plus que l’on gagne. Et faire des économies, c’est s’en mettre de côté, en considérant cela comme une dépense.
Mais on vit dans la société du JE M’EN CÂLISSE, alors on est éclaboussé de toutes parts, par cette saloperie d’inconscience. La sagesse des grand-pères, c’est bon que tu le soulignes : Savoir d’où on vient, pour savoir où on va.
Et qu’est-ce que ça sera lorsqu’on sera obligé d’hypothéquer nos enfants en achetant nos maisons et en étalant nos paiements sur 75 ans, comme au Japon?
Intéressant et très réaliste! Tout ce qui repose sur notre capacité à pouvoir rembourser, les coefficients de ci, les indices de ça ne sont pas assez conservateurs et ils ne tiennent compte en aucun cas de l’épargne. La meilleure façon de payer quelque chose, c’est d’avoir épargné l’argent. Mais voilà le noeud du problème: nous vivons dans une société d’instantanéité ou il faut tout avoir tout de suite, de peur que le voisin l’ait avant nous… et nous nous laissons facilement berner par les grandes institutions qui nous confortent dans des décisions complétement irréalistes.
Sans nécessairement crier à la simplicité volontaire, il faut résister au crédit en se disant qu’un besoin, ça ne se crée pas de l’intérieur, c’est plutôt l’image du bonheur que l’on nous vend et tous les tracas qui viennent en prime…
Le pire dans tout ça, c’est que nous agissons de la même façon avec l’environnement. Quand l’environnement va décider de faire « faillite » à force de pelleter en avant, qu’adviendra t-il de nous?
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