Angle mort

Le secret de mon succès

Par applaudissements, qui parmi vous a fait comme dans le livre Le Secret de Rhonda Byrne et s'est signé un faux chèque en son nom afin d'invoquer la "loi de l'attraction" et faire pleuvoir de l'argent inattendu?

Et ça a marché?

Rhonda Byrne aurait, paraît-il, vendu 400 000 exemplaires de sa connerie au Québec.

Oui, 400 000 personnes ont déboursé 28,95 $ pour se faire dire que nos pensées positives émettent une "fréquence" dans l'Univers, laquelle attire succès, richesse, santé.

Soit dit en passant, si vous arrivez à démontrer scientifiquement que la pensée magique de Mme Byrne fonctionne, inscrivez-vous au Défi sceptique des Sceptiques du Québec [ sceptiques.qc.ca ]. Vous pourriez recevoir un beau chèque de 1 000 000 $.

Sauf qu'entre vous et moi, vous avez plus de chances de faire fortune en signant un faux chèque en votre nom et en attendant que l'Univers retourne votre appel.

Pourquoi autant de gens gobent-ils de pareilles salades? Ça me dépasse. Le phénomène s'inscrit, bien sûr, dans cette inlassable quête du succès.

D'ailleurs, ceux qui commercialisent des recettes du succès sont légion. Je lisais dans le magazine Jobboom, qui consacrait récemment un dossier aux "prophètes du bonheur", que le marché de la croissance personnelle aux États-Unis est passé de 5,7 milliards de dollars en 2000 à 9 milliards en 2006.

Amenez-en des livres, des conférences, des DVD pour nous enseigner à penser comme un millionnaire, à respecter les lois universelles de la réussite, à réveiller son champion intérieur…

Or, la vaste majorité des ouvrages publiés sur le succès sont en fait des agrégats de gros bon sens et de lieux communs mêlés à des cas vécus et des formules toutes faites.

Essentiellement, je résumerais en une seule phrase une grosse partie des recettes du succès: "Fais ce qui te fait triper, pis mets-y toutes tes tripes!"

Je songe d'ailleurs à écrire un livre qui porterait ce titre. Avis aux éditeurs intéressés.

Dans son bouquin Les 7 Habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent, Stephen R. Covey nous dit que les gagnants sont d'abord des gens proactifs, qui prennent leur vie en main, qui "focussent" sur ce qu'ils peuvent contrôler et qui visualisent la personne qu'ils voudraient devenir…

"Fais ce qui te fait triper…"

Dans un manifeste intitulé How to Be Creative, et qui circule abondamment sur Internet, le bédéiste et publicitaire Hugh MacLeod propose 26 façons d'être créatif et d'avoir du succès. Son conseil numéro 9: "Tout le monde a son mont Everest personnel. Et nous sommes sur la Terre pour l'escalader." Selon MacLeod, reconnaître que ce mont Everest existe, c'est déjà faire la moitié du chemin.

"Mets-y toutes tes tripes!"

Dans sa nouvelle conférence intitulée Maintenant ou jamais, le quasi octogénaire Jean-Marc Chaput parle de "l'urgence d'agir". En résumé: Bouge! Qu'est-ce que tu attends?

"Le sentiment d'urgence n'est pas là, me disait-il en entrevue l'an dernier. Et parce qu'il n'y a pas d'urgence, on ne rêve jamais de façon spécifique. Le mot maintenant existe-t-il encore dans notre société? Non. On fait des études sur l'infrastructure, on fait une commission, on étire… Et finalement, on ne fait rien."

"Fais ce qui te fait triper, pis mets-y toutes tes tripes… tout de suite!"

Dans son dernier best-seller Les Prodiges (Outliers), Malcolm Gladwell est un peu plus pragmatique et montre que les facteurs extérieurs (milieu familial, culture, date de naissance) expliquent souvent une bonne partie du succès d'une personne. De son livre, toutefois, on a surtout retenu la théorie (qui n'est pas la sienne) des "10 000 heures". En somme, il faudrait pratiquer un art, une discipline, un métier pendant 10 000 heures avant d'être assez bon pour espérer connaître un succès.

"Fais ce qui te fait triper, pis mets-y toutes tes tripes… pendant 10 000 heures!"

En faisant le tour des recettes du succès, on réalise une chose: le succès, c'est dur.

Pour réussir, il faut du temps, de l'effort, du travail acharné, s'y consacrer intégralement… C'est du 110 % à long terme.

C'est d'ailleurs tout au long du marathon du succès qu'on perd des joueurs.

Pour bien des gens, le succès est juste trop difficile à atteindre. On se décourage. On décroche. On lâche. Et en fin de compte, on préfère signer un faux chèque en son nom et attendre que le fric tombe du ciel.

Bonne chance.