Angle mort

L’indépendance est en marche

Permettez-moi de parler encore un peu de la Saint-Jean.

Juste pour qu'on n'oublie pas combien on était Québécois à l'époque, la semaine dernière.

Le 24 juin, sous le soleil de midi, je me suis pointé au traditionnel défilé de la Fête nationale, histoire de faire saucette dans le bain de la fierté québécoise.

Une fois par année, ça fait du bien. Surtout qu'on crevait.

Bref, c'était bleu de monde. J'ai vu des géants en mousse à l'effigie de René Lévesque, Fanfreluche, Maurice Richard, Maisonneuve, côtoyer des joueurs de tam-tam brésiliens, des musiciens trad' et un dragon chinois.

J'ai vu des enfants la face beurrée d'un fleurdelisé, avec l'inscription "Fait au Québec". Mignon.

J'ai aussi vu des gens qui steamaient dans leurs costumes d'époque à côté de mononcles Gérard en bedaine.

Moins mignon.

Un gars dans la foule avait accroché son drapeau bleu et blanc au bout d'une canne à pêche. Le génie québécois à l'ouvre.

Un autre faisait la promo de la bière L'Indépendante, qui a pour slogan: "Qui prend bière prend pays". On est pratiquement en train de nous dire que la consommation d'alcool est une condition gagnante à la souveraineté. À retenir pour un prochain référendum.

Sous un arbre, j'ai aussi pris en photo le Capitaine Québec, qui profitait de l'occasion pour étaler sa collection de macarons souverainistes.

En me tendant sa carte d'affaires, le bonhomme m'a simplement lancé: "La diversité québécoise!" J'imagine que c'était sa façon à lui de me dire qu'il était d'accord avec les conclusions du rapport Bouchard-Taylor.

Toujours est-il qu'on était fier d'être Québécois, la semaine dernière.

C'est alors que j'ai vu parader cette banderole: L'Indépendance est en marche et rien ne pourra l'arrêter!

Il y avait dans ce message une sorte de triomphalisme exagéré qui m'a fait sourire. L'indépendance est en marche… Yeah, right

J'ai appris plus tard que cette portion du défilé était assumée par un comité de jeunes Québécoises et Québécois "qui veulent voir naître le plus rapidement possible le pays du Québec".

De jeunes souverainistes convaincus, ça existe encore?

Lorsqu'on interroge les jeunes, on a surtout l'impression que la souveraineté ne fait pas partie de leurs priorités. L'environnement, oui. L'indépendance, bof.

En 2004, trois jeunes députés du Parti québécois, Alexandre Bourdeau, Stéphan Tremblay et Jonathan Valois, ont sillonné le Québec pour tâter le pouls de la jeunesse face à l'option souverainiste. Ceux qu'on a baptisés les Mousquetaires sont revenus avec un constat assez formel: pour les jeunes, la souveraineté est une idée "dépassée, désuète, vétuste". Au mieux, c'est une idée "incomplète".

C'est que pour bien des jeunes, la souveraineté est considérée comme la cause de leurs baby-boomers de parents. Eux n'y croient plus vraiment.

C'est peut-être un peu normal. Les jeunes de 18 ans étaient à la maternelle au moment de la défaite du référendum de 1995. Et depuis qu'ils sont âgés de 12 ans, c'est Jean Charest qui est premier ministre du Québec.

De l'autre côté, le PQ a l'air d'un parti revenu à la case départ.

Après 41 ans d'existence, il en est encore à parler d'un "plan de travail" sur la souveraineté. La semaine dernière, un sondage interne du PQ, dont les résultats étaient rapportés dans Le Devoir, montrait qu'une majorité de Québécois était favorable au fameux "plan Marois". En revanche, seuls 47,3 % des gens voteraient oui à un référendum sur la souveraineté-association. C'est deux points de moins qu'en 1995.

Si l'indépendance est en marche, depuis presque un demi-siècle, elle tourne en rond.

Et on s'étonne que les jeunes passent à un autre appel?

Un de mes amis, jeune trentenaire et fervent souverainiste, pense comme plusieurs que l'indépendance souffre d'un sérieux déficit de passion. "La souveraineté, c'est comme un feu de braises qui dort, dit-il. Ça prendrait une bûche pour raviver la flamme."

Or, lui non plus ne voit pas l'ombre d'une bûche à l'horizon.

L'absence de passion, la perte de motivation, le cynisme ambiant… Voilà autant de raisons qui ont poussé le député péquiste François Legault à quitter la vie politique la semaine dernière. Il a bien choisi la date de son départ: au lendemain de la Fête nationale!

S'il y a un moment dans l'année où l'on devrait avoir l'adrénaline souverainiste dans le tapis, n'est-ce pas au lendemain de la Saint-Jean?

L'heure est grave.

Alors, voilà pourquoi je n'ai pu m'empêcher d'esquisser un sourire en voyant la touchante banderole des jeunes souverainistes.

Remarquez, c'est bien que des jeunes croient encore que "l'indépendance est en marche". J'espère juste qu'ils ont de bons souliers.