Angle mort

Pin-Pon

Le bruit en ville, c'est un feu roulant.

En plus de l'habituel trafic ponctué de "Pout! Pout!", de crissements de pneus et de Harley-Davidson qui sonnent comme la Deuxième Guerre mondiale, il semble toujours y avoir un camion quelque part prêt à reculer avec son "Biiiip! Biiiip!" caractéristique.

Il y a aussi le "Vouuuuuuuum!" des Boeing dans le ciel, le "Flockaflockaflock!" de l'hélicoptère TVA ou encore le célèbre "Pouet! Pouet! Pouet! Tidouuu-tidouuu-tidouuuu! Ouaaaaaaaaan! Ouaaaaaaaaan!" des systèmes d'alarme de voitures déclenchés par erreur.

Et les chantiers de construction? On n'en parle même pas. Grues, camions-bennes, marteaux-piqueurs, génératrices, compresseurs à air, fusils à clous, scies radiales. "Brrrrrrrrrr! Vrrrrrrrrrrrr! Takatakatakataka! Twing! Twing! Ziiiiiiiiiii!"

Montréal est en perpétuelle reconstruction.

À cette trame sonore déjà saturée s'ajoute bien sûr toute la flotte de véhicules d'urgence (et leurs sirènes respectives). Quand ce ne sont pas les "Twip! Twip!" des autos-patrouilles ou les "Bouhou!" des ambulances, on a droit à mes préférés: les "Pin-Pon" des camions de pompiers.

Avez-vous remarqué qu'on en entend de plus en plus, des camions de pompiers? La ville est-elle devenue plus inflammable qu'avant? Nenni.

Si ces gros bolides rouges et leurs gyrophares semblent toujours dans la rue, c'est que depuis juin 2007, les pompiers du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) sont progressivement en train de devenir "premiers répondants".

Ainsi, lorsqu'un appel au 911 est fait et que la vie de quelqu'un est soupçonnée être en danger, deux services d'urgence sont dépêchés sur les lieux: les pompiers et les ambulanciers.

La semaine dernière, dans les bureaux d'une compagnie de production télé du Plateau, une jeune femme a subi une chute de pression. Elle est momentanément tombée dans les pommes. On a composé le 911: deux camions rouges et cinq pompiers ont atterri sur place… pour attendre l'ambulance.

Marlen Simard, une Montréalaise qui habite au centre-ville a eu toute une frousse l'autre jour. Vers vingt-trois heures, trois camions de pompiers sont arrivés chez son voisin. "On s'est habillés en vitesse pour aller voir ce qui se passait, dit-elle. Notre voisin était saoul et n'a pas pu monter les marches d'escalier pour rentrer chez lui. Je suppose qu'il a dû s'étendre sur le trottoir, quelqu'un a dû le voir et composer le 911. Est-ce que ça justifiait qu'on sorte les camions de pompiers?"

Marlen en a jusque-là d'entendre nos sapeurs-pompiers sillonner les rues de son voisinage, le "Pin-Pon" à l'air, pour un million d'autres raisons qu'un incendie. "Cet été, on a commencé à vouloir ouvrir les fenêtres, mais c'est l'enfer. Les sirènes, c'est continuel. Je ne veux pas lancer une guerre avec les pompiers, mais je trouve ça intolérable."

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L'idée de transformer les pompiers en premiers répondants vient d'une réalité toute bête: il y a moins de feux à Montréal. Pour éviter que les pompiers se tournent les pouces, l'administration municipale a décidé d'en faire des pseudo-paramédics. Selon un porte-parole du SIM, répondre aux appels du 911 représentera bientôt la moitié du travail de pompier.

En 2008, le SIM a répondu à 34 380 appels premiers répondants. C'est une moyenne de 94 sorties de camions par jour pour toutes sortes de raisons: problèmes respiratoires, crises d'allergies, douleurs thoraciques, accidents de la route. Même des accouchements.

Imaginez… Venir au monde devant deux camions de pompiers!

Et les sorties de camions sont en augmentation. Pour 2009, les pompiers ont déjà répondu à environ 29 000 appels premiers répondants.

Tout le monde veut sauver des vies. Mais pour réveiller un bonhomme éméché ou tenir la main d'une jeune femme qui fait de la basse pression, a-t-on besoin de trois camions de pompiers?

Toute cette pollution sonore est-elle absolument nécessaire?

L'Organisation mondiale de la Santé considère le bruit comme "une menace grave" à la santé publique. Il cause des déficits auditifs, perturbe le sommeil, a des effets cardio-vasculaires, génère du stress. En Europe, on a estimé que le bruit chronique était lié à 3 % des décès dûs aux maladies du cour. C'est rien, mais à l'échelle mondiale, cela représente tout de même 210 000 morts.

Je ne lance pas uniquement la pierre à la Ville qui a décidé de transformer ses pompiers en premiers répondants. Ce serait trop facile.

Les camions rouges qui nous cassent les oreilles ne sont qu'un symptôme d'une société qui se soucie de la pollution sonore comme de sa quatrième chemise.

Sauf qu'ironiquement, dans le cas présent, en voulant améliorer un problème de santé publique, on en empire un autre.

Conclusion: si vous pétez les plombs à cause du bruit, n'appelez pas le 911.

Ça va vous achever.