Angle mort

Le principe du cornichon

 

 

Un service à la clientèle pourri? Chacun a sa petite histoire.

Marc peste contre ces grandes surfaces qui débordent de ce que la Chine a de mieux à nous offrir, et où les préposés sont aussi médiocres que la camelote qu'ils étiquettent. "Tu peux chercher pendant vingt minutes avant qu'un des cinq ou six épais qui jasent à la caisse se rende compte que tu es là."

Dans le même registre, l'ignorance des employés censés aider la clientèle dans les chaînes d'articles de rénovation exaspère Catherine. "On l'a", clame le slogan d'une d'entre elles. "Mais trouve-le toi-même", pourrait-on ajouter.

Dominique a téléphoné au service à la clientèle de DELL. En plus de lui répondre dans un français plus qu'approximatif, le préposé, probablement basé à Bangalore, n'a bien entendu pas pu l'aider avec son bogue d'ordi.

Julie s'est farci un dédale de procédures pour faire remplacer une pinouche à trois sous brisée sur le bracelet d'une montre Nixon qu'elle avait pourtant payée 230 $.

Ça me scie les jambes de voir à quel point certaines entreprises se foutent de leur clientèle. Parfois, on dirait qu'on dérange.

Il y a une crémerie à 16 pas de chez moi. Elle est conforme à toutes les crémeries, sauf pour un détail: une note écrite à la main et collée sur le comptoir. "Verre d'eau 0,25 $."

Je vois ça, et j'en déduis que le propriétaire de la place ne veut pas qu'on l'achale pour un verre d'eau. Ou alors, c'est un cheap fini qui cherche à se faire quelques sous sur le dos de ses clients qui ont soif à cause de la grosse molle qu'ils viennent de s'enfiler.

Cet écriteau, ce n'est pas grand-chose, mais c'est suffisant pour que je ne remette plus les pieds dans ce palais du plaisir glacé. Des crémeries conformes, il y en a d'autres.

Cela me rappelle le principe du cornichon. Je vous explique.

Un jour, un client régulier d'une chaîne américaine de restaurants/crémeries a fait part de son insatisfaction en écrivant une lettre au patron de la compagnie. C'est que depuis trois ans, écrivait-il, il avait l'habitude de prendre un cornichon avec son hamburger. Et depuis trois ans, il en recevait toujours un gratuitement. Jusqu'au jour où une serveuse, après en avoir discuté avec le gérant de l'établissement, a tout bonnement exigé cinq sous pour la cucurbitacée. Frustré, le client a pris ses cliques et ses claques.

C'est en recevant cette lettre que le patron de la chaîne, Bob Farrell, a élaboré ce qui deviendra son principe du cornichon.

C'est une règle simple à laquelle quiconque se vouant à l'art subtil du service à la clientèle devrait s'assujettir: "Si un client est insatisfait et que vous ne savez pas quoi faire: donnez-lui le cornichon."

Bien sûr, le cornichon est une métaphore. Il signifie ce petit plus qu'une entreprise devrait faire pour satisfaire sa clientèle.

C'est en partie grâce à ce principe que la chaîne de restaurants/crémeries de Bob Farrell a connu autant de succès. En 1973, il vendait ses 50 succursales à Marriott Corporation. Dans les années qui ont suivi, Bob est resté dans l'organisation pour enseigner aux nouveaux employés l'abc du principe du cornichon. De fil en aiguille, il est devenu un conférencier de renom.

Et au début de chacune de ses conférences, Bob remercie ce client dont la lettre lui a fait réaliser que la différence entre le succès et l'échec tient à bien peu de choses. Un cornichon, un verre d'eau gratuit, un préposé qui s'intéresse à nos besoins.

À l'instar de ce client qui a fait tout un plat pour une histoire de pickle, nous non plus, on ne devrait pas tolérer d'être mal servis.

Pour ma part, c'est décidé, je ne m'en fais plus passer.

Combien de fois ai-je donné un pourboire à un serveur chiant que j'ai eu l'air de déranger en retournant une salade baignant dans sa vinaigrette, bien que j'eusse précisé "sans vinaigrette"? Ça, c'est fini.

Et au prochain détaillant d'électroménagers qui m'indique que mon frigo à 1000 $ sera livré le mardi entre 8 h et 19 h, je répondrai tout de go: "Ça m'adonnerait mieux le lundi à 18 h, sinon je ne l'achète pas." J'ai hâte de voir sa tête. Et j'ai hâte de voir comment les services de livraison préhistoriques entreront subitement dans le 21e siècle lorsque chacun exigera d'avoir ses électros livrés à sa convenance.

Désormais, quand je sortirai mon portefeuille pour acheter ne serait-ce qu'une banale petite molle à la vanille, je me transformerai en diva et exigerai un traitement digne de mon statut. On a si peu souvent l'occasion d'être roi, profitons-en!