Angle mort

Quand papa procrastine…

L'Institut national de santé publique du Québec publie un guide pratique pour les futurs parents: Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans.

Si on veut, c'est un peu le manuel d'instructions de bébé. Il y a une section sur les rots et les gaz, une autre sur la coupe des ongles ou sur le choix des premières chaussures.

On parle ici de 656 pages de choses à savoir pour assurer l'entretien et l'utilisation adéquate de l'être à naître.

Je le garde proche. Oui, car ma conjointe de fait a une brioche dans le fourneau. Même que son nombril est à la veille de ressortir. Et vous savez ce qu'on dit: quand ça fait "pop", c'est que c'est prêt. Et nous, c'est prévu pour le 1er octobre.

Toujours est-il que le guide susmentionné consacre un chapitre complet à la paternité. Cinq pages (sur 656) sont exclusivement dédiées au nouveau rôle que j'aurai à assumer pour le restant de mes jours.

Pour les deux premières années de bébé, le guide demande aux pères d'écouter les émotions de la conjointe (pour moi, c'est déjà fait), de lui parler (fait aussi), d'être complice, de l'encourager, de s'impliquer dans les tâches ménagères (fait, fait, fait).

Pour faire court, je pourrais résumer en deux mots ce que l'Institut national de santé publique demande aux nouveaux papas: soyez là.

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Au Québec, on est passé d'une société de pères pourvoyeurs à une société où l'on demande aux pères de répondre "présent".

D'ailleurs, toutes les recherches sur le sujet le confirment: la présence du père a des effets bénéfiques sur l'enfant. Même chez les nourrissons, à un âge où ils ont drôlement plus besoin d'une tétée que de guili-guili, les pères ont quelque chose à apporter.

Le père est efficace lorsque vient le temps de pousser le petit hors du nid. C'est en grande partie sous ses "Vas-y, t'es capable!" que l'enfant outrepasse ses limites, gagne de la confiance en lui-même et s'initie au monde extérieur.

Grâce aux jeux physiques et aux trois milliards de niaiseries qu'il peut dispenser dans l'objectif de faire rire sa progéniture, le père déstabilise l'enfant et, ce faisant, l'aide à s'adapter à la nouveauté.

En résumé, des pères présents, ça fait des enfants forts. Personne ne conteste plus ce fait moult fois démontré.

On se réjouit d'ailleurs que le "nouveau père" n'ait plus grand-chose à voir avec le père classique des années 60. Louez-vous un film québécois, vous en aurez des exemples à la tonne: des pères bourrus, étrangers pour leurs enfants, qui partagent leur emploi du temps entre la shop, leur garage et la brasserie.

Ce vieux modèle du père absent, qui a tant fait pour l'industrie de la psychothérapie, est en voie de disparition et c'est très bien ainsi.

Les pères modernes ont des blondes qui travaillent, savent préparer un pâté chinois et changer une couche. Ils sont aussi plus engagés dans la vie de leur enfant.

Mais si l'Institut national de santé publique tient à ce point à valoriser la présence du père, c'est que c'est encore un problème.

On a beaucoup moins de pères carrément absents, comme jadis. Je dirais par contre qu'on trouve encore de nombreux pères "procrastinateurs".

Des pères qui, sans que ce soit fait avec mauvaise intention, se cherchent des excuses pour éviter de s'engager dans la paternité.

Certains se jettent corps et âme dans le boulot. D'autres s'investissent dans un paquet d'activités extra-familiales ultra-importantes. Un tournoi de Playstation, une pratique de quelque chose, un 5 à 7 pour se faire des "contacts", une soirée de poker, une game à RDS ou les Mardis policiers à Canal D.

Vous en connaissez sûrement, de ces pères procrastinateurs. Moi aussi.

Bien sûr, je ne suis pas là pour juger.

À l'origine de la procrastination, il y a souvent de l'angoisse et un manque de confiance en soi.

Quand on traîne sur Facebook au bureau au lieu de terminer un dossier important, c'est souvent parce qu'on a peur d'avancer, qu'on a peur de se tromper. On s'invente alors un million de prétextes pour ne rien faire.

Il y a peut-être une réflexion à mener sur les pères modernes qui procrastinent. J'ai l'impression que l'angoisse de la paternité est encore mal définie, mal comprise. Pourquoi notre société fabrique-t-elle des pères procrastinateurs?

La procrastination est l'art de tout remettre au lendemain. Si on peut remettre un dossier en retard sans que ça cause trop d'ennuis, il est plus difficile de reprendre le temps perdu quand on remet constamment son rôle de père à plus tard…