On prend tout ce qu'on enseigne à ceux qui aspirent à une carrière devant les caméras: la diction, le bon parler français, la pose de voix, le sourire avenant. On prend tout ça, on le réprime profondément.
Et on obtient Claude Poirier.
L'inarrêtable chroniqueur judiciaire de TVA pulvérise toutes les règles de l'étiquette télévisuelle.
Ça saute aux yeux dès l'instant où il se pointe à Salut, bonjour! pour livrer son commentaire quotidien. Il arrive, ses lunettes au bout du nez, sa carte d'accès à l'édifice de TVA accrochée au cou, son air de grincheux savamment entretenu. La bonne humeur de synthèse qui règne sur le plateau, Claude Poirier s'en moque.
Quand le monde interlope a décidé de se faire aller l'affaire sordide pendant la nuit, "celui qui score le plus à LCN" n'a pas le temps de niaiser.
Il ne parle pas: il beugle. Et la langue française, il lui règle personnellement son compte. Tant pis pour les scies, les raies et les "au niveau de".
À propos, une coïncidence comique: l'ironie a fait en sorte que le directeur de l'équipe d'un projet universitaire intitulé Trésor de la langue française au Québec se nomme aussi Claude Poirier. Le pauvre linguiste et auteur de dictionnaires a d'ailleurs reçu plus de 200 courriels adressés à son célèbre homonyme.
C'est donc dire qu'aux deux extrémités du spectre de la qualité de la langue se trouve un Claude Poirier.
Sur ce, enchaînons…
Six cent soixante-trois personnes se sont inscrites au groupe Facebook "Ceux qui sont tannés de voir Claude Poirier à TVA". Le vrai négociateur ne fait pas l'unanimité. En privé, des collègues journalistes le traitent de clown. Une certaine intelligentsia se plaît à mépriser le bonhomme. Le bonhomme le leur rend bien, remarquez, n'hésitant pas à aboyer contre les "pousseux de crayons" et autres "tartistes".
Pour plusieurs, Claude Poirier est un phénomène inexpliqué. Pourquoi est-il à ce point adulé par ceux qui s'autoproclament "le vrai monde"?
Claude Poirier a une crédibilité en diamant brut à peu près impossible à égratigner.
C'est vrai. Si les journalistes en général passent, aux yeux du grand public, pour des menteurs, Claude Poirier possède quant à lui une boîte vocale qui se remplit chaque jour de niaiseries, certes, mais aussi de témoignages de personnes qui lui font plus confiance qu'à la police.
C'est tout de même incroyable. Pour un tas de gens, un chroniqueur judiciaire à l'emploi de Quebecor Média est plus digne de confiance que les représentants de l'ordre payés par nos impôts.
Pourquoi?
Son pouvoir, c'est avant tout le pouvoir de son histoire. Claude Poirier a un storytelling, comme disent les Américains.
L'expert en faits divers ne vient pas seulement avec quelques commentaires bien sentis sur le meurtre de la veille, il vient avec une légende.
Claude Poirier, c'est le simple reporter qu'on a appelé en renfort pour intervenir dans 43 prises d'otages et enlèvements. C'est le gars qui a aidé 175 criminels à se livrer à la police. Et c'est lui qui, le 11 juin 1973, a pris la place des otages dans l'affaire de l'Institut Pinel et s'est retrouvé en cavale avec le couteau du psychopathe Normand Champagne sous la gorge.
Mettons que ça se plogue bien dans une biographie.
Ce n'est pas surprenant d'ailleurs qu'une télésérie ait été inspirée de ses actes de bravoure. En connaissez-vous beaucoup, des personnalités publiques à qui l'on a consacré une série lourde… de leur vivant?
Claude Poirier – je sors les grands mots – est l'archétype même du héros moderne. Voilà pourquoi il est si payant pour TVA.
En fiction, on se délecte de ce genre d'antihéros. Le Claude Poirier qu'on nous vend au petit écran, c'est cet homme ordinaire qui traîne sur son visage les cicatrices de son combat contre les méchants.
S'il est si bourru, c'est peut-être qu'il a trop vu. Trop vu de cadavres, trop vu de crapules, trop vu de fusils braqués devant son visage. C'est peut-être qu'il a contemplé de trop près les ravages de la racaille.
Et Claude Poirier, comme tous les héros, est obstiné. Malgré qu'il ait dépassé l'âge normal de la retraite, et malgré l'important stock d'histoires d'horreur que son quasi-demi-siècle de métier lui a fourni, il se présente chaque matin sur le joyeux plateau de Salut, bonjour! Et chaque matin, il répète la même chose. Il invite ceux qui ont d'autres histoires d'horreur à raconter à téléphoner à sa boîte vocale. Ils peuvent se confier en toute sécurité, jamais Claude Poirier ne les trahira.
Et après son "10-4" caractéristique, le héros Poirier s'en va vers d'autres plateaux. D'autres missions l'attendent…
Le storytelling opère à la perfection…
Pincez-moi: est-ce que je viens vraiment d'écrire une chronique complète sur Claude Poirier?
Bonne chronique Steve. Et que dire de ses lamentables interventions radiophoniques à 98.5FM où il sévit du lundi au vendredi. Nonobstant les atouts qui font de lui un chroniqueur apparemment prisé dans le « milieu », je trouve aberrant qu’une tribune lui soit ainsi consentie, sans égard à la piètre qualité de son français, au manque flagrant de respect envers l’éthique radiophonique (ainsi que télévisuelle comme vous le soulignez si justement) et surtout, à son attitude envers les représentants des différents corps policiers (ou connexes) lorsqu’ils ne sont pas prêts à lui débiter tous les détails sordides du crime de la veille dès 6h00 du matin. Il ne faudrait pas oublier son énorme tact lors d’entrevues « exclusives » avec des victimes ou proches de victimes. Il peut jouer les vierges offensées lorsque les médias « autres-que-lui » interrogent quelqu’un qui vient de subir un dur coup mais n’hésite jamais à en remettre lorsqu’il talonne sans relâche les mêmes personnes afin de les offrir en pâture à ses auditeurs. Un vrai héros en effet…. « au niveau de » l’insignifiance et du mauvais goût bien sûr. Je suis heureux de savoir qu’en arrière-scène, ses collègues ont aussi cette opinion de lui mais le principal intéressé semble bien au-dessus de tout cela ; les dossiers importants ne peuvent attendre. Ce n’est vraiment pas le Mac Cloutier qui nous a été présenté lors de l’excellente télésérie Le Négociateur que j’ai adorée. 10-4 !
Je ne le regarde pas le matin, c’est à la radio que je l’entends. Et les énormités qu’il y profère!!!
Du genre, ce matin « Pis il faudrait qu’on (les média) s’arrête pour les photo radars quand on se rend sur une scène de crime! » Outré qu’il était le bonhomme.
Ben oui Monsieur Poirier. Faut vous arrêter aux rouges. À ce qu’on sache vous n’êtes ni policier, ni pompier, ni ambulancier. Vous n’êtes qu’un citoyen comme les autres, ne vous en déplaise.
Et, on sait bien que ça vous déplaît aussi, mais les relations publiques des divers organismes n’ont pas à être à votre disposition dès 4h00 du matin. Ben oui, les gens « autres que vous » ont une vie.
Quand j’entends déblatérer comme ça, que ce soit à la télé ou à la radio, je décroche assez vite merci. Je n’ai même pas pu me rendre au bout du clip ci-haut qui ne dure que 4 minutes. J’aime autant écouter les amateurs de sport qui au moins eux ne se prennent pas au sérieux.
Hat trick!
Beau coup de filet, Monsieur Proulx.
Encore une fois…
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Je me rappelle de cet événement qui m’avait bien fait rire. Monsieur Poirier se sent attaqué. La chronique de Patrick Beaudin était tout à fait juste et tout à fait approprié. Monsieur Poirier rejoint un couche de la société qui ont TVA à fond la caisse à coeur de jour et de journée. Allo objectivité et raffinnement !
10-4