Angle mort

Un peu plus bas

Certains ont la mort lente. D'autres n'en finissent plus de ressusciter.

À pareille date l'an dernier, TQS présentait sa nouvelle programmation autour d'un ring de boxe.

Le ton était donné. Le Mouton noir magané avait dû encaisser les coups au cours des derniers mois, mais tout comme Rocky, il se relevait… animé d'une nouvelle rage de vaincre.

De nouveaux poulains entraient dans le ring de TQS. Le toujours pondéré André Arthur. Érick Rémy, son bel enthousiasme et ses 14 $ de budget. Les trois gais lurons de 2 laits 1 sucre et leur décor racheté d'Épopée Rock. Sans oublier Benoît Gagnon dans un talk-show qui allait ne pas passer à l'histoire.

Quelques mois plus tard, ces nouvelles têtes étaient toutes coupées.

Et les nouveaux patrons, les frères Rémillard, répétaient que la VRAIE résurrection de TQS était à prévoir à l'automne 2009.

C'est chose faite. Le Mouton noir se nomme maintenant V tout court. V pour victoire (on reste dans le thème de la boxe). V, aussi, pour vedettes, vérité, vitesse, violence. Oui, violence.

Dès le 31 août, le paysage télévisuel québécois s'enrichira d'une nouvelle chaîne qui intègre la violence dans sa stratégie d'affaires.

J'ai un autre mot pour ça. Il commence par "M" et finit par "inable".

Le slogan de V est "Laissez-vous divertir". Mais il aurait pu être "Mettez votre cerveau à off", car cela semble être l'ambition derrière la plupart des nouveautés de la chaîne.

On aura droit à la version québécoise d'une émission japonaise où des concurrents doivent faire des acrobaties pour passer à travers un mur troué qui fonce vers eux. Il y aura aussi un jeu-questionnaire où un quidam doit répondre à des "questions faciles" tout en recevant, par exemple, un choc électrique. Je ne dresse pas la liste complète. C'est trop long et ce n'est franchement pas inspirant.

Les adorables productions de V sont censées séduire le marché des hommes de 18 à 49 ans. Un marché auquel j'appartiens et pourtant…

Je ne blâme pas les patrons de V. Qu'ils aient le goût de produire du fast-food télévisuel, c'est leurs oignons. Et si un certain public juge avoir suffisamment de temps libres pour se "laisser divertir" de cette façon, c'est bien son affaire.

Non, j'en ai surtout contre la consistance plus molle que jamais de notre système de télédiffusion.

Si V était une chaîne numérique offerte par abonnement, on n'en parlerait pas. L'ennui, c'est que ce nivellement vers le bas se déploie sur nos ondes publiques.

Un brin d'histoire. La deuxième version de la Loi de la radiodiffusion, adoptée par le gouvernement fédéral en 1968, a mené à la création d'un organisme chargé d'octroyer aux entreprises de radiodiffusion le privilège d'utiliser les ondes publiques. Cet organisme, le CRTC, devait s'assurer que les ondes publiques sont utilisées dans un souci d'intérêt public, pour diffuser des émissions dotées de certaines qualités culturelles, d'une quelconque pertinence sociale.

Toujours est-il que, l'an dernier, ce même CRTC a autorisé les frères Rémillard à acquérir TQS en leur imposant un mandat beaucoup moins contraignant que pour les autres chaînes généralistes. On leur a pratiquement dit: "Faites donc ce que vous voulez!"

C'est ce qu'ils ont fait.

En ce moment, nous avons une nouvelle chaîne généraliste qui nivelle vers le bas avec l'aval d'un organisme fédéral de réglementation. Si V connaît un succès, les autres chaînes pourront s'en inspirer et sauront, elles aussi, qu'il est rentable de viser toujours plus bas.

Pourquoi, l'an dernier, le CRTC n'a-t-il pas profité de l'occasion pour tirer la plug sur cette chaîne qui, en deux décennies d'existence, a presque toujours été déficitaire?

C'est radical, certes, mais cela aurait permis aux autres télédiffuseurs de récupérer des revenus publicitaires et des auditoires qui, actuellement, sont tellement éparpillés que la qualité générale de notre télévision s'en va tranquillement chez le bonhomme.

À quoi sert V? Dans Le Soleil, jeudi dernier, on y allait de quelques chiffres: V crée 300 emplois chez les producteurs indépendants, en plus d'investir 50 millions $ "dans la culture"". Notez les guillemets entourant la culture.

V, c'est l'expression même d'un système de télédiffusion qui est entré en mode survie.

Au diable les nobles idéaux régissant nos ondes publiques et l'utilité sociale de la télévision comme vecteur de culture, d'information, etc.

Aujourd'hui, la télé sert à créer de l'emploi. De la "chnoute", mais des jobs.