Il fut un temps où je fréquentais les débits de boisson en quête d'une candidate pour le poste de femme de ma vie.
J'adoptais alors la stratégie classique du mâle québécois. Celle qui consiste à commander un verre et à attendre en faisant mine d'apprécier la musique.
Ce moment de latence se poursuivait jusqu'à ce qu'un beau brin de sexe opposé s'offre à la vue. S'enclenchait alors l'étape ultime de mon plan: ne pas broncher, montrer un air indépendant, commander un autre verre et éviter par tous les moyens que le regard de la proie croise le mien.
Cet art très, très, très subtil de la séduction, typiquement québécois, n'a certes rien à voir avec l'effronterie des Français. Imaginez, ces impudents ont parfois le culot d'aborder de parfaites étrangères directement dans la rue! Quel front!
Le Québécois ne drague pas non plus comme les Italiens, les Espagnols, les hommes des cultures latines en général.
En vérité, bien que nos racines soient françaises, nous draguons plutôt comme les Anglais. Selon ce que j'ai lu dans un magazine féminin, les Anglais seraient les pires dragueurs d'Europe. 60 % d'entre eux attendraient que le sexe opposé fasse les premiers pas.
D'ailleurs, le mot d'origine anglaise "cruiser" convient beaucoup mieux que "draguer" pour décrire l'attitude du Québécois face au jeu de la séduction.
Draguer signifie aussi "racler le fond de la mer pour ramasser les moules et les huîtres". Une pratique de pêche fort peu délicate, si vous voulez mon avis. D'autant plus qu'en draguant, on risque de retrouver beaucoup de cochonneries dans son filet.
"Cruiser", en revanche, est tiré du vocabulaire maritime et signifie "croiser un navire à vue". Il n'y a pas d'abordage, de pillage, de flibuste. On se croise, c'est tout.
Mais la question demeure entière: pour quelles raisons les Québécois ne draguent-ils pas (ou très peu)?
Dans un petit essai fort sympathique intitulé Les Québécois ne veulent plus draguer et encore moins séduire (Éditions de l'Homme, en librairie le 8 septembre), les journalistes Jean-Sébastien Marsan et Emmanuelle Gril explorent cette grave question.
Tous les responsables potentiels de la non-technique de drague des Québécois y passent: l'égalité entre les sexes, le féminisme qui a rendu les identités sexuelles plus floues, les ravages de la pornographie, le mythe du prince charmant. "C'est peut-être parce que les hommes et les femmes entretiennent des fantasmes radicalement opposés (le prince charmant pour madame, la porn star pour monsieur) qu'ils ont tant de mal à se rencontrer", écrivent Gril et Marsan.
Ils vont même jusqu'à lier la timidité des hommes québécois à la culture de l'échec qui s'est installée au Québec après deux échecs référendaires. Les Québécois ont peur d'être rejetés encore une fois, d'où leur peur de draguer.
N'exagérons rien.
Si la drague est en voie d'extinction au Québec, c'est probablement parce que nous vivons dans une société de plus en plus individualiste.
On ne parle plus à ses voisins. Dans l'autobus, on se réfugie dans son iPod. On ne salue pas les étrangers dans la rue. On a un sens de la bulle hyper-développé et gare à celui qui la perce! Déranger quelqu'un dans son intimité, fût-il pour lui glisser un compliment, ne fait plus partie de nos mours. Je ne dis pas que c'est bien ou mal, c'est comme ça.
Je n'ai jamais réussi à draguer dans un bar, car il m'apparaissait impensable d'aborder une jolie jeune femme avec un simple: "Je t'offre un verre?"
J'ai longtemps souffert de cette gêne. Je pensais que j'étais anormal. Ce n'était pas autant la peur du rejet que le sentiment de briser ce code social non écrit voulant qu'on ne parle pas aux inconnus.
J'ai fini par laisser les bars et mon art très, très, très subtil de la séduction pour m'inscrire sur Réseau Contact. Ce site de rencontres m'a tout simplement permis de séduire à ma façon: avec mes mots. Je m'y sentais plus à l'aise, dans mon élément. Et ça a fonctionné.
La drague d'antan est un comportement qui ne colle plus à la réalité québécoise. Et après?
Casanova et Don Juan seraient, de toute façon, probablement considérés comme de vraies taches aujourd'hui. Les femmes seraient les premières à leur dire: "Heille, le cornet! Décolle!"
Dans nos sociétés complexes, il y a maintenant un milliard de façons de séduire.
La plus efficace, la plus honnête et la moins frustrante, à mon avis, c'est d'offrir au sexe opposé le meilleur de soi-même.
Et avouez qu'il est assez rare que le meilleur de quelqu'un s'exprime dans un bar bruyant, aux petites heures du matin, avec un verre dans le nez.
Je dis ça en passant.
La drague n’est plus parce qu’elle n’est plus nécessaire. Ça ne sert plus à rien.
Tout a changé. Il y a internet maintenant, les femmes sont extrêmement libérées et elles sont disponibles à peu près tout le temps.T’as plus besoin de te casser la tête.
Ouf!
Alors là, Monsieur Proulx, votre exposé de la situation me montre à quel point les choses ont pu changer depuis le temps, déjà lointain, où les adolescents de mon époque – années soixante – allaient bien sagement le vendredi soir à la soirée dansante organisée au gymnase de l’école…
Et puis, un peu plus tard, ce n’est pas par le biais d’un bar bruyant ou d’un réseau de contact que ma femme et moi nous nous sommes trouvés. Cela s’est produit tout bêtement au Cégep!
À cette époque, les gens se parlaient encore. Personne n’était isolé dans sa bulle Ipod comme aujourd’hui.
Peut-être que nous étions, en fait, tout aussi individualistes qu’aujourd’hui mais, par contre, nous étions probablement beaucoup plus facilement abordables…
En réponse à Claude Perrier, je crois que vous avez connu votre femme de la même façon que bien des jeunes d’aujourd’hui rencontre leur conjoint(e). Ce n’est pas parce que les Québécois ne sont pas (et n’ont jamais été) de grand dragueurs qu’il faut en déduire que la seule façon de rencontrer des potentiels amoureux(euse) est d’utiliser les agences de rencontre. Mais cette étude me semble encline à généraliser…
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Vivant à Paris depuis quelques mois maintenant, je réalise enfin que si la drague n’est plus -au Québec-, elle est toujours ici -en France-.
Mais elle est d’une nullité, c’est affreux…
La drague, comme on la connaît, a disparu à notre plus grand soulagement, mais a été remplacée par un nouvel art: l’approche féminine. Les hommes se sont calmés, en ont eu marre de recevoir des pains à 3h du mat’, ont compris qu’ils n’avaient pas ce qu’il fallait.
Au Québec, ce sont les femmes qui mènent le jeu. Ce n’est pas exactement de la drague; c’est plutôt une libération, le choix ouvert de la femme moderne. Chose qui traumatise littéralement les beaux gosses que j’abordent entre les murs poussiéreux de Paris où, étonnemment, ce petit jeu de la séduction nous ramène 10 ans en arrière…à l’époque des hommes maladroits et machos.
Alors la drague à la québécoise me manque terriblement. Il n’est rien d’aussi passionnant ailleurs.
Faut vraiment que je ne sois pas d’accord pour me plier aux exigences d’inscriptions d’un site (aaargh!).
La drague est un jeu merveilleux. Mais il se joue à deux. On est tous coincés au Québec quand il s’agit de séduction, hommes comme femmes. Ça part de loin. On nous apprend tôt à être modestes, effacés, à ne pas parler aux étrangers, justement… On valorise presque la timidité! En tout cas, on est plusieurs à se cacher derrière elle et à ne pas aller au-delà quand vient le temps de chercher l’âme soeur.
Mais il n’y a pas que les bars, justement (bien que ce soit le terrain de chasse le plus facile, alcool aidant)! Au quotidien, je ne connais aucune femme qui n’aime pas recevoir un compliment. Certaines ne savent pas comment réagir, certes, mais ça, c’est une autre histoire. On ne maîtrise pas non plus l’art de la conversation, ici.
Au risque de passer pour vieux jeu ou terriblement pas de mon époque, j’ai bien aimé ce que Louise Masson m’a répondu quand je l’ai interviewée à ce sujet il y a quelques mois: http://www.canoe.com/archives/voyages/decouvrir/destinations/2009/02/20090211-150438.html
Les deux sexes ont leurs failles. Est-ce une raison pour arrêter de draguer?
P.S.: Je connais pas mal d’émules de Don Juan (la plupart ne sont toutefois pas Québécois) et ils sont loin de passer pour des taches… ;-) Tout est dans le «comment»!
La drague démodée?
Non, elle s’est simplement déplacée. Elle se trouve maitenant sur le web,
Confortablement dans nos maisons. Pas besoin de se laver les mains, ni d’avoir de préservatifs.Du cybersexe ou réseaux de rencontre avec web cam. Accessibilité, abordabilité et anonymat.
De fausses perles rares pour les hommes, des princes excitants pour les femmes. Chacun de nous aura sa formation à distance. Des « Suzanne au bain » pour les veillards, du sexe anti-rouille.
Le débat n’a rien de politique, c’est un phénomène occidental et contemporain. Suffit de s’ntéresser à l’histoire de la sexualité et de la vie privée pour comprendre, sujet sur lequel je fais des recherches depuis deux ans. Tout aura commencé avec le livre de Roger Dadoun, « Cent fleurs pour Wilhelm Reich » ( mort en 1957). Vous connaissez?
Les « paradis artificiels » de Baudelaire existent toujours pour transcender la réalité.
Double standart pour ceux qui le désirent: la virtuelle du porno pour un effet pop-corn et la réelle domestique en chair, celle que l’on peut toucher
Renée Dion
Bachelière en Histoire de l’art
Oui la drague n’est plus ce qu’elle est. Je trouve dommage que nous vivions dans une société si individualiste. La courtoisie, le sourire aux lèvres, les « bonjour », « bonsoir », on passe pour de vieux jetons quand on est comme ça.
Je n’ai jamais dragué. Je me suis plutôt laissée draguée. J’avais dans la vingtaine alors et il n’y a de ça pas si longtemps. Je fréquentais les bars. Mais je ne cherchais pas l’âme soeur à l’époque. Je profitais de ma liberté.
Maintenant que je suis plus mûre, je me suis frottée à réseau contact pendant quelques temps. Je n’ai pas trouvé la formule agréable pour plusieurs raisons. Pourtant c’est par l’écrit que je me sens plutôt à l’aise. J’ai délaissé le net pour le réel.
Maintenant je reluque les cours de yoga ou les groupes de course à pied.
J`ai connu mon mari Aux Deux Pierrots il y a 32 ans de cela . Le placier nous avient installés à la même table. Je fréquentais ces boîtes à chansons dans l`espoir d`y rencontrer un compagnon qui, comme moi ,aimerait la musique de chansonniers. Ce fut un bon départ. Nous chantions et tapions joyeusement des mains sur une toune de Raoul Duguay et….c`est au son d`un chansonnier que nous avons fêter nos 30 ans de mariage au Balcon-Théâtre dans le Vieux-Montréal cet été!!!! Comme quoi notre drague mutuelle à nous a vraiment bien fonctionné!!!!
Aujourd`hui, le Web semble une avenue pour rencontrer mais être soi-même nous permet de briller davantage pour quelqu`un que de faire semblant de paraître différente de ce que l`on est vraiment. Je crois encore aux coups de foudre en chair et en os!
»Ils vont même jusqu’à lier la timidité des hommes québécois à la culture de l’échec qui s’est installée au Québec après deux échecs référendaires. Les Québécois ont peur d’être rejetés encore une fois, d’où leur peur de draguer.
N’exagérons rien. »
Vous avez raison. S’il faut donner une raison à cette absence de drague au Québec, on a pas fini de trouver des raisons.
Pour ma part, j’ai été dragué et j’ai dragué… subtilement. J’aime pas quand on m’approche de front, les gars trop sûrs d’eux, je sais pas, je me méfie.
La drague, c’est juste une façon de rencontrer, et ce n’est pas toujours la meilleure.
À quarante ans et plus… après une vie en couple et une vie de célibataire bien heureuse, c’est sur Réseau Contact que j’ai rencontré celui qui est devenu mon chum, amoureux, ami, amant… Ce n’était pas ma première tentative, mais cette fois-ci est la bonne.
Je crois que de nos jours, on doit tous aller vers l’autre, homme ou femme. Une personne t’intéresse ? Go for it. Parle-lui, va vers lui, vers elle. Le pire qui puisse arriver c’est un non… ou un oui. Le pire qui puisse arriver, c’est de ne rien faire. Que ce soit sur un site de rencontres, au coin d’une rue, dans un café. Aller vers l’autre, c’est un premier, après il suffit de faire connaissance.
Je suis étonné de voir autrant de femmes réagir à votre article M. Proulx. Sans nécessairement être curé, je dirais que pour bien draguer, il faut quand même manifester un intérêt qui est bien réel. La plupart des femmes sont capables de reconnaître les signaux d’une gorille en rut et de faire la différence avec une conversation sensée.
Mme Robert a délaissé le net pour le réel et elle a bien raison; moi-même j’ai fait beaucoup plus de rencontres dans les centres de ski que dans les bars que je ne fréquente pas beaucoup, la clientèle y est un peu trop jeune.
Selon Carl Jung la grande difficulté à réunir les sexes résulte de cet énoncé; l’homme cherche la femme dans toutes les femmes et la femme cherche tous les hommes dans un homme…