C'est immanquable, je ne referme jamais un journal sans avoir au moins jeté un coup d'oil aux avis de décès.
L'habitude me vient de mon père. Courtier d'assurances dans un village à la population limitée, il consultait chaque jour la page des morts, histoire de vérifier si un client, un ami ou un parent d'un ami n'avait pas cessé de respirer la veille.
Et au moins une fois par semaine, sinon plus, il y retrouvait une connaissance.
Bref, j'ai hérité de sa manie. Sauf que moi, dans les rubriques nécrologiques des gros journaux montréalais, je ne connais jamais personne. Peu importe.
J'aime cette mosaïque de photos passeport où les vieux visages prédominent. De temps à autre, on trouve même un centenaire. Des gens nés avant la Grande Guerre… ça m'impressionne toujours de penser qu'ils ont tout vu du 20e siècle.
Parmi les vieillards, se glissent hélas quelques jeunes. 20 ans. Celui-là a mon âge: 32 ans. Je cherche dans le texte de quoi il est mort. "Décédé accidentellement"; probablement d'un accident de la route. Un kid est "décédé tragiquement". C'est une façon de ne pas dire qu'il s'est enlevé la vie avant d'y entrer pour vrai.
Pour l'essentiel, par contre, les rubriques nécrologiques me déçoivent. C'est que j'y cherche quelque chose qui n'y est pas.
Les avis de décès sont des services inclus dans les forfaits funéraires. En les lisant, on imagine très bien l'employé des pompes funèbres s'installer à son PC, sortir son modèle Word "Défunt standard", entrer le lieu et la date de départ du client, ajouter les noms des survivants dans le champ prévu à cet effet, joindre une photo, sauvegarder le document, acheminer le tout au journal local et cocher l'article sur la liste des choses à faire en prévision des funérailles.
Ce qui donne des avis de décès de merde, du genre: "À Saint-Glin-Glin, tel jour, à tel âge, est décédée après un combat contre la maladie Mme Chose, épouse de feu M. Machin. Elle laisse dans le deuil ses sept enfants: Ti-Gus, Ti-Clin, Ti-Coune, Ti-Mine, Ti-Pit, Ti-Boutte et Ti-Proute. N'envoyez pas de fleurs, mais un don à tel organisme serait apprécié."
La vie de Mme Chose s'est-elle résumée à un combat contre la maladie? C'est l'impression qu'on a en lisant le texte: née à Saint-Glin-Glin, mère de sept enfants, elle est tombée malade et elle est morte avant-hier. Fin.
Les avis de décès sont tous bâtis sur le même modèle. Tant et si bien qu'on a comme l'étrange sentiment que toutes les existences sont semblables. On change les noms et l'affaire est ketchup.
Pour bien des gens, l'avis de décès sera pourtant le seul moment dans leur vie où l'on parlera d'eux dans un journal. Pourquoi ne pas profiter de cette tribune pour dire autre chose que des banalités?
J'aimerais lire dans les avis de décès des mots qui témoigneraient d'une vie qui n'a pas été vécue en vain, qui nous diraient ce que cette personne a été, ou à quoi son passage ici-bas aura servi.
Je rêve de rubriques nécrologiques inspirantes. "Est disparue hier Mme Chose, enseignante retraitée, qui au cours de sa carrière aura montré à des milliers de Québécois l'accord des participes passés." Ou encore: "Est disparu accidentellement M. Machin, camionneur, qui n'aura jamais raté un seul match de hockey de son fiston malgré ses horaires de fou."
On ne soigne la mémoire que des personnalités publiques. Les morts inconnus, quant à eux, n'ont droit qu'au formulaire standard d'Urgel Bourgie.
Or, les existences de Pierre Falardeau ou de Nelly Arcan n'ont pas nécessairement plus de sens que celle de n'importe qui. Elles sont simplement plus connues.
Je ne souhaite pas un roman pour chaque quidam disparu. Je me contenterais de quelques phrases sincères, bien tournées, qui nous donneraient une idée des valeurs défendues par le défunt.
On l'a déjà dit: on meurt tout croche dans nos sociétés modernes. On tente de se convaincre que la vie n'a pas de fin, alors on ne prépare jamais son départ.
Selon moi, changer notre attitude vis-à-vis de la mort commence par les avis de décès.
Si, jour après jour, les pages nécrologiques des journaux étaient beurrées des réalisations, des réussites, des leçons de vie de tous ces gens qui ont tout vécu, ce serait, j'en suis sûr, une façon pour ceux qui restent d'apprivoiser la mort.
En lisant ces capsules d'existences, on prendrait conscience de la nôtre, de son caractère éphémère et de l'importance d'y donner un sens.
On aurait l'occasion de considérer la mort comme la conclusion d'une vie utile plutôt que comme la triste conséquence d'un accident ou d'une maladie.
Il me semble que ça nous aiderait à mourir un peu mieux.
Ça me donne une idée, pourquoi ne pas écrire sa propre notice d’avance…un peu comme les pré-arrangements. La mettre à jour à chaque année qui passe, pourquoi pas?
Excellent sujet, excellente rubrique!
Par un pur hasard, le même sujet a été abordé – probablement moins bien – hier, sur un autre blogue.
Voici le lien : http://journalaquatremains.blogspot.com/2009/09/cest-plein-de-vies-la-dedans.html
Bonne fin de journée.
Au risque de vous étonner, ou même de vous choquer, en ce qui me concerne la rubrique nécrologique est la première chose que je consulte, à tous les matins.
Pas parce que j’ai passé – depuis 1979 – une trentaine d’années dans le domaine des assurances (et parallèlement des communications, et des médias à titre de chroniqueur spécialiste). Non.
Pour une raison beaucoup plus simple: un jour, un conférencier nous confiait que c’était ce qu’il faisait lui-même à tous les matins, pour constater de visu la chance qu’il avait de ne pas s’y retrouver, ce jour-là. Ni le suivant. Et ainsi de suite. Cela lui remontait le moral pour la journée et lui montrait toute l’insignifiance de ses petites misères.
Rien de tel pour entreprendre la journée du bon pied…
Wow Steve! Excellent papier. Quand j’étais ado, mon hobby était de découper les photos d’avis de décès des gens que je trouvais moche. Je les ai retrouvés l’autre fois dans une vieille boîte et je n’ai pas pu m’en débarrasser.
…je ne suis finalement pas la seule à avoir cette habitude! J’ai toujours crû qu’à long terme, on pouvait en dégager des statistiques non scientifiques…
Longtemps j’ai fait du bénévolat en soins palliatifs et plusieurs personnes m’ont demandée: « mais comment tu fais?? »
C’est pourtant simple: mon focus n’a jamais été sur la mort imminente mais bien sur la vie que ces gens-là ont vécue.
Par ailleurs, j’ai toujours cherché à voir une photo des personnes malades AVANT qu’ils ne soient mourants, comme quoi les souvenirs éternels passent par la vie, et non la mort.
Moi je veux qu’on indique sur la mienne, participant au blogue de Steve Proulx…
POWA … Professionnal Obituary Writers Association… regroupement de journalistes américains spécialisés dans la rédaction de notices nécrologiques, ( ils ont des réunions et des congrès ) cela existe depuis longtemps et de manière élaborée dans les journaux anglo-saxons ( j’invente pas ca )….. aussi POWA cérémonie d’accompagnemnt des agonisants dans le bouddhisme kadampa ( voir centre Kankala angle Laurier et saint-André…à Monrial en ville )
En lisant cet article, j’ai pensé à ma mère qui vient de perdre la sienne à la fin du mois d’août, et à quel point elle trouvait beau le texte qui était écrit. Et pourtant, c’est exactement ce que tu décris: « elle laisse dans le deuil ses (x) enfants et (y) petits enfants. Laissez des dons à la fondation (z). » Je crois qu’elle est du groupe qui écrit toujours les mêmes choses dans les cartes d’anniversaire, de Noël, etc. Alors que pour moi, chaque écrit doit se différencier, doit se démarquer. « L’homme qui a appris aux jeunes le participe passé, je m’en fou! Moi je veux savoir si telle personne citée dans les enfants est une connaissance. » m’a-t-elle dit. C’est une façon de voir les choses, mais il faudrait tout de même se forcer pour se rappeler les efforts d’une personne. Et pas juste à l’église (ou autre cérémonie), devant 30 personnes…
Vive le POWA alors!
Pour ma part, je trouve ton article très intéressant. C’est une très bonne suggestion de textes que tu porposes…
Par contre, il faut savoir que lorsque tout ça arrive, on se trouve dans un autre monde! Je dis « on », car je suis de celle à qui ça est arrivé…
Il faut savoir que la photo dans le journal et dans la rubrique nécrologique, n’est pas toujours un choix. Si les journalistes ont en grippe l’accident, ce sont eux qui communiquent rapidement avec la famille pour les pousser à y mettre un texte.
Par ailleurs, quand on choisit de le mettre, c’est souvent parce que l’on pense être capable d’aller chercher le maximum de personnes qui ont connu le défunt ou la défunte, afin de les informer et du décès et du lieu de rassemblement.
Donc, c’est souvent fait dans les premiers jours suivant le décès qu’on doit le faire…. C’est souvent pour cette raison que les textes ne sont pas très valorisant quant au défunt lui-même ou encore très explicite sur les réussites de celui-ci dans sa vie! La personne qui se charge de ça, n’a certainement pas le coeur à composer….
Mais je suis tout de même d’accord pour dire que ce sont toujours des textes composés sur le même gabarit!
suggestions plus précises:
1) Society of Professionnal Obituary Writers;
http://www.obituaryforum.blogspot.com
2) http://www.obituarywriters.com
3)Internaitonal association of obituary witers
4)Passing it on : http://www.whenwordsmatter.com
Monsieur Proulx,
Quelle bonne idée. Mais vous êtes bien jeune pour avoir ces idées . Que pourrions-nous écrire sur vous, par exemple, puisque l’on peut vous voir, vous lire et vous entendre penser.
C’était une super chronique à lire en ce matin gris. Cela donne envie d’écrire.
Merci pour votre inspiration.
Si jamais vous aller visiter la Louisiane… prenez quelques minutes pour visité quelques vieux cimetières… Ils ont vraiment les pierres tombales les plus intéressantes.
Tous les jours, je lis la rubrique de décès, histoire de voir si une amie d’enfance ou un cousin lointain serait décédé sans qu’on m’avertisse.
J’ai déjà composé 2 modèles d’annonces à publier lors de ma propre mort et trouvé deux photos (49 ans) qu’ils pourront choisir même si je meurs à 95 ans ;-) Deux modèles d’annonces, donc, très simples et modestes mais qui précisent
-que je suis la fille de feu X et feuY
-que j’habitais autrefois telle région
-mon domaine de travail
-elle laisse dans le deuil son mari X, ses enfants X et Y ainsi que le PÈRE de ces derniers ( nommé car je trouve important de ne pas oublier le père de mes enfants)
Mes enfants savent qu’ils peuvent en disposer à leur guise. Ils peuvent ne rien publier ou créer leur propre texte. Une chose est certaine, ils peuvent sauver quelques heures en prenant mon « kit ».
Bravo M. Proulx! Je croyais être seul à me préoccuper de la pauvreté de la plupart des rubriques nécrologiques, mais je suis heureux de constater que vous et d’autres semblez partager ce souci.
J’ai eu l’occasion pendant quelques années de pouvoir comparer les avis de décès publiés dans le Globe & Mail par rapport à ceux de quotidiens francophones montréalais. Eh bien, je dois dire que les anglophones semblent avoir une vie en dehors de leur famille! Même dans le cas d’une mère au foyer, on prenait la peine de souligner ses talents culinaires, son bénévolat à la paroisse et son intérêt pour l’horticulture. Au Québec francophone, on doit être trop humble pour dire que la personne décédée a fait quelque chose à part avoir eu un ou plusieurs enfants…
L’autre partie des avis qui est particulière au Québec concerne les dons pouvant remplacer les fleurs. Nous pouvons ainsi savoir à quel hôpital la personne est décédée ou de quelle maladie. J’ai toujours l’impression que la personne n’a jamais fait de don de sa vie, sans quoi on indiquerait de faire un don à son organisme de charité préféré. Même dans le cas de Pierre Falardeau on demandait de faire un don à une société de lutte au cancer, alors que je m’attendais à ce qu’on indique un organisme luttant en faveur de l’indépendance ou de la défense du français.
Il y a de nombreux aspects de la culture québécoise que j’aime beaucoup, mais celui touchant les avis de décès pourrait être profondément modifié sans qu’on y perde au change. Peut-être un jour…
Monsieur Proulx,
Je dirai simplement que vous visez très juste avec votre rubrique. Il m’arrive souvent de lire les rubriques nécrologiques, et tout comme vous j’ai toujours trouvé attristant les descriptifs : plus ennuyant que ça, tu meurs…
Je me rappelle un documentaire en provenance d’une région de l’Afrique, où on fabriquait des cercueils ayant la forme du métier que le défunt avait exercé. Les gens étaient habillés avec des vêtements très colorés, ils portaient le cercueil à bout de bras, et ils dansaient et chantaient. C’était très beau à voir, des cercueils en forme de banane pour le cueilleur de bananes, une forme de taxi pour le chauffeur de taxi, etc. Ces cercueils étaient tous sculptés dans le bois. Je ne me rappelle pas avoir vu rien de plus poétique, c’était vraiment une manière fantastique de faire ses adieux à un proche.
Nous avons tellement à apprendre des autres cultures, mais hélas la tendance va pour une uniformisation globalisante à l’américaine, incluant ce qu’on pourrait appeler l’industrie du «fast food» de la mort. C’est vraiment désolant!
Si c’est toi qui paie pour l’annonce de ma mort, je t’envoie tout de suite mes réalisations personnelles et l’histoire de ma vie et crois-moi j’en ai eu toute une.
À lire dans La Presse ce matin, le genre d'avis de décès que je souhaitais voir se répandre dans