Comme le veut la tradition, cette année encore on déplorera l'enflure consommatoire entourant Noël. Tant qu'à toujours radoter autour de la même rengaine, on devrait en faire un cantique.
J'y pense, quelqu'un l'a déjà fait. Joel Kroeker. La chanson s'intitule Buy Nothing At All. On peut la télécharger gratuitement: buynothingchristmas.org.
Comme plusieurs, cela fait un bail que la surconsommation des Fêtes me dégoûte.
Or, j'ai déjà voulu, dans ma famille, purger Noël de ses cadeaux. Ce fut un lamentable échec. L'idée n'a pas passé l'épreuve du terrain. Le rituel d'acheter des présents à la fête de Jésus est trop bien programmé. À-Noël-il-faut-matérialiser-son-amour-pour-son-père-à-travers-un-jeu-de-douilles-Mastercraft. À-Noël-il-faut-honorer-sa-mère-avec-une-couverture-à-manches-Snuggy. Ainsi de suite.
Par conséquent, je ne pense pas voir un Noël sans cadeaux de mon vivant. Toujours est-il qu'à défaut de pouvoir vaincre le magasinage des Fêtes, j'ai décidé de m'y joindre. Mais à ma façon.
Désormais, je n'offre que des livres. Même à ceux qui ne lisent pas beaucoup. M'en fous. Leur donne un livre pareil. Dans le bas de Noël: un livre. Sous le sapin: un livre. Pour l'échange de cadeaux: un livre à moins de 25 $.
C'est que le livre est le cadeau parfait.
Il est écolo. Biodégradable, recyclable et souvent fabriqué à partir de papier recyclé, aucun livre n'a été testé sur les animaux ni ne figure sur la liste des résidus domestiques dangereux.
Il est équitable. En particulier s'il s'agit d'un livre d'ici. En achetant un livre, on ne finance aucune multinationale qui engage des enfants dans des ateliers de misère au Bangladesh. En revanche, on aide un auteur à vivre de sa plume. Au Québec, moins de 10 % des écrivains comptent sur leurs droits d'auteur comme principale source de revenus.
Il est durable. Je possède encore des livres reçus à l'âge de 12 ans. Je pense à Chronique du 20e siècle, cet énorme volume de 1400 pages qui a nourri mon amour pour l'Histoire. J'avais commencé à le lire à partir de la page 1, juste pour me lancer le défi d'avaler au complet un si gros bouquin. Je ne l'ai pas encore terminé.
Donner un livre est un geste politique. Ce ne sont que les pays totalitaires qui en brûlent. En le distribuant, on célèbre plutôt notre liberté de lire, d'écrire, de penser.
Donner un livre est un geste moderne. Dany Laferrière, à Tout le monde en parle: "Dans le métro, tu ouvres un livre et tu convoques Socrate." Quelle technologie, tout de même…
Donner un livre, c'est aussi enrichir ceux qu'on aime. On apprend beaucoup d'une personne en regardant le contenu de sa bibliothèque. Vous essayerez, pour voir. Ainsi, donner un livre à quelqu'un, c'est en quelque sorte enrichir sa personnalité en lui offrant un ouvrage qui nous fait penser à lui.
Le livre est un cadeau riche, noble, significatif, humain.
Bien entendu, en ne donnant que des livres, je n'espère pas viser dans le mille à tous coups.
Il est possible que, de temps en temps, j'offre à quelqu'un un ouvrage qui ne lui plaira pas du tout. Qu'importe. Si j'ai à décevoir, j'aime mieux décevoir avec un livre plutôt qu'avec un ensemble de fourchettes à fondue acheté chez Pier1 Import.
Je ne m'attends pas non plus à faire des économies en n'achetant que des livres. La facture monte vite. Qu'importe. Si j'ai à faire monter le solde de ma carte de crédit, j'aime mieux le faire monter avec des livres qu'avec des papillotes Starfrit pour cuire les légumes à la vapeur.
Et tant qu'à retrouver mon cadeau deux ans plus tard dans une vente-débarras, j'aime mieux que ce soit un livre plutôt qu'un AbRoller.
Si, à Noël, on a à ce point besoin de matérialiser notre amour pour autrui dans un objet, aussi bien que ce soit dans un livre.
Devinez maintenant ce que je ferai ce week-end au Salon du livre de Montréal.
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Si vous n'avez personne à qui offrir un livre en cadeau, comblez un enfant pauvre. L'an dernier, 29 614 enfants défavorisés ont reçu un livre neuf grâce au programme Lecture en cadeau de la Fondation pour l'alphabétisation.
Offrir un livre à un enfant défavorisé, c'est prendre le risque qu'un objet de culture et de savoir traîne chez lui. C'est distribuer chez les moins nantis des protéines pour la tête.
Et je me plais à imaginer que, dans certaines familles, le livre servira à mettre à niveau une table bancale. Et que peut-être, comme dans le film Léolo, un gamin osera un jour mettre le nez dedans…
Noël… Je n’en étais pas encore là dans mes réflexions quand tout à coup… Je garde le lien vers le site buynothingchristmas dans la boîte à suggestions pour la dernière fin de semaine, foire extravagante, avant la « nativité », où je me dirai, comme chaque année « Ça a pas de bon sang, j’ai rien acheté à ma mère! » D’ici là j’ai aussi mon billet pour une autre foire; celle du livre!
On ne doit pas donner de livres « non sollicités » i.e. c’est comme imposer à queqlu’un une promenade qu’il n’a peut-être pas le goût de faire ( dans la nature, dans le métro , dans la ruelle ???? )…il faut se renseigner avant à savoir si la personne aurait le goût de lire tel ou tel livre….sinon le livre se retrouvera au Colisé duLivre.. ou dans le bac bleu ….un certtificat cadeau c’est mieux…mais là aussi il y a une date de péremption…….Joyeux Noel quand même
Maintenant que tu as un rejeton, tu vivras un Noël Disney, un Nöel Dora et tous les autres machins-trucs destinés aux enfants.
Pour ma part, j’ai résisté longtemps, mais les grands-mères ont fini par avoir le dessus sur moi. Bonne chance.
En ce qui a trait à la lecture, je suis tout à fait d’accord avec tes propos. Nous avons donné l’amour de la lecture à notre fille (ellle a 12 ans) avec le résultat suivant: elle écrit son français en faisant moins de fautes que plusieurs étudiants au Bac (je le sais, j’en fréquente présentement à l’université).
Ce qui nous amène au sujet suivant: plusieurs québécois tiennent au fait français mais sont incapables de s’exprimer autrement qu’en émettant des onomatopés et des jurons et sont de loin des inaptes quand il s’agit d’écrire une phrase sans que celle-ci soit truffée d’erreurs.
Sans être puriste (des fautes d’inattention, ça arrive!), je crois qu’il est essentiel de surveiller la qualité de la langue écrite car elle réflète la qualité de l’intelligence qui pond l’idée. L’habit ne fait pas le moine, me direz-vous, je vous répondrai, en reprenant les paroles de Ralph Waldo Emerson, ce philosophe américain: n’allez pas où le chemin peut mener, allez là où il n’y a pas de chemin et laissez une trace.
@ Geneviève, je retient cette très inspirante citation d’Emerson. Merci de la partager ici!
En lisant le texte de Steve Proulx, je n’ai pas cessé de penser au «glorieux» et lumineux livre de Ray Bradbury, FAHRENHEIT 451, livre que j’ai fait lire, dans mes cours, à au moins mille étudiants et étudiantes.
J’ai aussi cette «manie» (qui ne fait pas de mois un maniaque total) d’offrir, de façon privilégiée et régulière, des livres en guise de cadeau.
Albert Brie a déjà écrit: «Prends garde à l’homme d’un seul livre, surtout si ce livre est une brique». Et Jean-Marie Poupart: «Un livre meurt quand le lecteur n’a pas à l’inventer à mesure qu’il le lit».
Intéressantes considérations, cher Steve Proulx!
JSB
Pingback depuis N??elle (No??l) « parce qu’on ne contr??le pas grand chose…
C’était mon cadeau préféré durant des années mais cette année « niet » « nada »! Mes enfants ont décidé que cela suffisait la consommation sauvage à chaque année! Ça me fait un petit pincement au coeur de savoir que notre dessous de sapin va être tout nu comme l’enfant Jésus mais je vais m’y faire tout comme je me suis faite à l’idée de profiter de plus en plus de ma bibliothèque de quartier.
De l’entendre aussi clairement me raffermit dans mon idée. Nous donnons encore des cadeaux aux enfants dans la famille, depuis quelques années, mon mari et moi avons instauré cette tradition : donner exclusivement des livres, pendant que tous les autres, à peu près, donnent des jouets. Je m’attendais à une petite remarque à un moment donné, genre « Encore un livre ! », mais non, ils sont contents. Ils ne bondissent pas de joie, mais ils ne grimacent pas de déplaisir. C’est le cadeau qui dure. Le cadeau qui fait que l’on reste avec eux par la pensée des mots.
Il se fait de tellement beaux livres pour les jeunes maintenant ! Et c’est tout un exercice de choisir adéquatement, il faut se pencher vers l’enfant ou l’adulte (parce qu’on ne peut résister à l’envie d’en donner aux adultes aussi), ensuite, on peut s’informer de son avis. Ça tient bien vivante la communication. Si c’est ce que l’on veut …
Bonjour Steve,
J’ai beaucoup aimer ton article, ce matin. Pour moi aussi, malheureusement, toute la surconsomation derrière les « bonnes intentions » des fêtes me répugne à la longue.
Ton idée de donner des livres est excellente. Cependant, il faut aussi savoir que plusieurs d’entres eux sont fabriqués en chine et que même la littérature n’échappe pas aux modes. (les séries fantastiques des dernières années, « Le Secret », les livres de Dan Brown, les auteurs-vedettes, etc.)
Il ne faudrait pas oublier le fameux « acheter local ». Il y’a tellement de bons artisans et artistes au Québec. Cela aussi fait aussi partit de notre patrimoine et c’est à nous de le sauvegarder en encourageant ceux dont on admire le travail.
Je te laisse sur le guide du Noël responsable d’Équiterre, qui a toujours de très bonnes idées pour consommer d’une manière différente: http://www.equiterre.org/outils/noelresponsable.php
Il y a plus de cinq ans maintenant, j’ai réussi à faire adopter la fin des cadeaux de Noël au conseil de famille. Ma mère, qui venait alors de passer au statut de grand-mère, a demandé qu’une exception soit faite pour ses petits-enfants.
Depuis lors, mon magasinage de Noël se limite à une visite chez mon libraire afin d’acheter des livres pour mes neveux et nièces. Ils sont au nombre de cinq, âgés de 3 mois à 6 ans, et grâce aux recommandations de l’organisme Communication jeunesse, je n’ai pas encore fait le tour de ce que la production québécoise a de meilleur à offrir.
Régulièrement ensevelis sous des tonnes de cadeaux « Made in China » nécessitant beaucoup d’espace, mes étrennes enlèvent un souci aux parents et sont perçus comme originaux par les enfants.
Les fêtes et célébratrions semblent un moment mal choisi pour la simplicité volontaire. Je fais suffisament d’effort de consomation responsable au long de l’année que je peux me permettre d’être un peu irresponsable à Noël.
Maintenant au reste de l’humanité de suivre mon exemple exemplaire. ;-)
Bonjour,
Cela m’a fait du bien de lire votre billet. Enfin, quelqu’un qui est aussi répugné que moi de tout ce brouhaha qu’est le foutu temps des fêtes. Mais j’aime votre idée d’offrir un livre en guise de cadeau. Pour ma part, je le fais régulièrement toute l’année durant. Pas seulement des livres neufs. Quand je suis séduite par un livre que j’ai acheté (la plupart du temps usagé à «L’Échange») ou emprunté, je le partage avec ceux que j’aime. C’est d’ailleurs ce que j’avais fait en achetant le fameux «Odette Tout-le-monde» du célèbre Éric-Emmanuel Schmidt. J’aime les livres qui peuvent apporter un baume au coeur et à l’esprit et j’aime tout autant ceux qui nous poussent à réfléchir et à repousser nos croyances et limites. Ceux qui nous décrochent un sourire, de temps à autre. Au sujet des livres, je suis un peu comme une âme-missionnaire. S’il m’a fait du bien, alors pourquoi pas à quelqu’un d’autre? Même chose pour une oeuvre cinématographique renversante, ébranlante, qui te ramène à ta nature profonde.
Comme vous le disiez si bien, Steve: On apprend beaucoup d’une personne en regardant le contenu de sa bibliothèque. Vous essayerez, pour voir.
Et bien le contraire est aussi vrai. L’absence de bibliothèque chez quelqu’un est d’autant plus révélateur. Et j’en connais!
Je vous lis religieusement à chaque semaine. Il y a toujours une pointe de magie et un appel au gros bon sens dans vos billets. Vous me faites sourire à chaque fois. Ça fait du bien.
J’ajouterais les magazines. Pour les enfants, l’abonnement à un magazine est une excellente idée cadeau! J’aime lire, les Débrouillards, Pomme d’api…C’est une bonne façon de les initier à la lecture. Et ils adorent recevoir leur magazine à leur nom tous les mois.
KD