Parmi les astuces politiques pour donner l'illusion d'agir, le coup du rapport commence à manquer franchement d'originalité.
Qu'à cela ne tienne, notre dynamique ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, vient de confier à Dominique Payette, professeure à l'Université Laval et ex-journaliste de Radio-Canada, la mission de pondre (encore) un (autre) rapport sur l'état de l'information au Québec. Tombée dudit rapport: décembre 2010.
Ils sont nombreux dans la profession à se demander sur quelle planète réside la ministre St-Pierre. Qu'espère-t-elle trouver dans le rapport de Dominique Payette qu'elle n'aurait pu lire dans les multiples rapports sur la santé de l'information parus ces dernières années?
S'attend-elle à un scoop? Souhaite-t-elle que Mme Payette mette enfin le doigt sur le bobo, qu'elle nous annonce – ô surprise – que l'arrivée d'Internet et la baisse des revenus publicitaires chamboulent les modèles d'affaires traditionnels de la presse écrite?
On discute du sujet depuis longtemps. Si longtemps, en fait, qu'on commence à radoter. Que la ministre St-Pierre, pourtant une ex-journaliste, ait besoin d'un énième rapport pour se faire expliquer ce qui cloche en ce moment dans le monde de l'information… cela sent la dérobade politique à plein nez.
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Cela dit, je me demande si Dominique Payette abordera la question du financement public de la presse écrite.
Ça se discute pas mal par les temps qui courent. Remarquez, ce sujet-là non plus n'est pas très neuf. En 1984, Claude Ryan suggérait déjà de garder la porte ouverte à "des formes plus sophistiquées de propriété des entreprises de presse". Il entendait par là des "formes étatiques" qui feraient contrepoids aux entreprises capitalistes.
Vingt-cinq ans plus tard, le sujet revient sur le dessus de la pile.
Aux États-Unis, ai-je lu dans la chronique de Paul Cauchon, dans Le Devoir, on a discuté de l'avenir des journaux, en mai, lors d'audiences présidées par le sénateur John Kerry. Parmi les discussions: la possibilité d'accorder des crédits d'impôt aux lecteurs de journaux!
En France, au lendemain des États généraux de la presse (en janvier dernier), le président Sarkozy a alloué une enveloppe de 200 millions d'euros par an au soutien de la presse écrite.
Parmi la trentaine de mesures, l'opération "Mon journal offert" donne à un maximum de 200 000 jeunes de 18 à 24 ans un abonnement à un quotidien pendant un an. L'objectif: donner le goût de la lecture d'un journal aux jeunes.
Un récent sondage en ligne de la Chaire de recherche en éthique du journalisme (CREJ) a recueilli des milliers de commentaires de journalistes à propos de la qualité de l'information. Parmi les grandes idées évoquées pour améliorer la qualité de l'information au Québec, l'intervention de l'État revient sans cesse.
Selon le compte rendu de la CREJ, l'aide publique permettrait à la presse "une émancipation des limites imposées par l'économie de marché".
Et si on finançait l'information? De quelle façon? On ne financerait que les journaux? Quels journaux? Juste les sérieux? Quels sérieux? Et si le gouvernement lançait un quotidien d'État? Des journalistes payés par vos taxes pour jouer les chiens de garde de la démocratie… Une sorte de Radio-Canada de la presse écrite… Le voyez-vous comme c'est beau?
J'en ai discuté la semaine dernière avec le fondateur de L'Actualité, Jean Paré. Pour ce type de questions, c'est le genre de vieux sage que j'aime consulter.
Pour lui, un "quotidien d'État" est hors de question. "Est-ce qu'on veut pour la presse écrite les mêmes problèmes qu'éprouve la SRC, avec un gouvernement qui peut la faire chanter en menaçant de lui couper les vivres?"
"L'industrie de la presse écrite fonctionne encore dans un modèle vieux de 40 ans, ajoute-t-il. Ce que l'on veut, en fait, lorsqu'on parle du financement public de l'information, c'est garantir les salaires d'une profession. C'est d'un conservatisme épouvantable!"
Selon lui, si l'État doit s'immiscer dans l'industrie de l'information, ce pourrait être sous la forme de subventions à des projets de recherche. Un peu à la manière du Conseil des Arts. Un comité de pairs évaluerait des projets et distribuerait des chèques pour financer des enquêtes, des reportages, des voyages à l'étranger pour porter la plume dans la plaie, etc.
En voilà une belle idée. Une première idée, en tout cas, pour soutenir la production d'une information de qualité.
Pendant ce temps, Mme St-Pierre préfère dépenser notre argent dans un autre rapport.
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Salut Steve
D’une part, je suis assez d’accord avec le premier volet de ta chronique, à savoir qu’un autre rapport prévu fin 2010, avec probablement une mise en branle d’un plan quelconque vers mi-2011, et la première application de celui-ci vers début 2012 ne risque pas d’être très efficace… (!)
D’autre part, posons-nous la question essentielle sous-entendue par ta chronique (que tu posais sur ton twitter cette semaine, et à laquelle je répondais qu’en 140 caractères, c’est impossible d’y répondre) : est-ce que l’état devrait financer la presse écrite.
Distinguons déjà la « Presse écrite » des « périodiques ». Car les périodiques sont déjà subventionnés par l’état. Le nouveau programme au fédéral, le Fonds du Canada pour les périodiques, est déjà en branle pour 2010. Son ancêtre, le Fonds du Canada pour les magazines, finançait déjà la plupart des périodiques et on peut croire que ce seront à peu près les mêmes qui bénéficieront du nouveau venu. Les plus connus : 7 jours, L’Actualité, Châtelaine, Clin d’oeil, Échos Vedette, Le lundi, Les idées de ma maison, Protégez-vous, Ricardo, etc etc etc sont tous des périodiques qui recevaient jusqu’à cette année des subventions via l’aide au contenu rédactionnel.
Important : les quotidiens ne sont pas admis à une telle forme d’aide, et les publications gratuites (quotidiennes ou non) ne le sont pas non plus.
La question : est-ce que l’État (avec un É majuscule, donc nous tous collectivement) devrait financer les journaux quotidiens, autrement dit, l’impression de nouvelles d’actualité?
Bien humblement, le point de vue de Jean Paré, ne réponds pas à cette question. Si je comprends bien, cela reviendrait à financer des projets spéciaux, des recherches plus approfondies, des voyages, du « reportage » et des « enquêtes » spécialisés. Rien qui concerne le contenu rédactionnel des quotidiens, en tout cas, dans 90% des cas, soit l’actualité au jour le jour.
C’est ça que le public n’achète plus : un fil de presse, de la nouvelle, de l’éditorial. On se paye une connexion internet pour ça.
Au Québec francophone, financer les quotidiens, cela reviendrait à dire qu’on va financer collectivement Gesca et Québécor, à peu près les deux compagnies qui donnent dans le quotidien (mis à part le Devoir). Je crains qu’une telle initiative ne soit pas très populaire auprès des payeurs de taxes…
Pour l’instant, le web est encore dans une zone grise. La demande augmente, mais pas l’intérêt des publicitaires. Ça viendra. L’avenir de l’information passera par là qu’on le veuille ou non. Les entreprises de presse vont suivre le même parcours que l’industrie de la musique. Au lieu de produire des rapports et de tergiverser sur les manières de « patcher » le navire qui coule, il vaudrait mieux commencer à se demander comment nous allons cultiver notre jardin sur les îles où nous allons échouer… Parce que c’est là qu’on va se ramasser. Pour ce faire, il faut dès maintenant trouver de nouvelles manières de faire des partenariats avec les annonceurs et, surtout, envisager un certain rationnement.
Et j’y reviens toujours : ceux qui s’en mettent plein les poches avec le virage technologique des contenus culturels (eh oui, l’information, c’est de la culture…) ce sont les fournisseurs d’accès internet… Tôt ou tard, il faudra se demander à qui le crime profite, et regarder de ce côté, et non dans les poches des citoyens.