Au Québec, une personne sur deux a du mal à déchiffrer les textes imprimés dans ce journal, à l'exception des petites annonces.
C'est ce qu'indique l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes, réalisée en 2003.
Ainsi, la moitié des Québécois possède un niveau de littératie de 2 ou moins. Ces gens arrivent, au mieux, à lire des textes "simples, correspondant à des tâches peu complexes". En revanche, lire un journal représente une tâche fastidieuse, voire insurmontable.
On admet généralement qu'un niveau 3 de littératie est nécessaire pour se débrouiller dans une société comme la nôtre. À moins de s'appeler Jacques Demers.
Or, ce qui est tout de même paradoxal, c'est que ces statistiques désolantes nous tombent dessus alors que nous baignons dans l'information écrite.
Dans l'histoire humaine, on n'a jamais eu, à portée de main, autant de choses à lire qu'aujourd'hui.
Prenez le Web. Que l'on clique n'importe où sur l'écran ACL, on trouvera du texte jusqu'à s'en faire frire les yeux. Des grands titres de l'actualité, des articles, des blogues, des livres en ligne, des milliers de pages bourrées de phrases en tapant un seul mot dans Google.
En outre, l'utilisation d'un ordinateur repose essentiellement sur la lecture. Les fonctions de nos logiciels sont des mots que l'on repère et active afin d'exécuter des commandes. "Nouveau document", "Enregistrer sous…" "Vider la corbeille".
Non seulement lisons-nous, mais nous écrivons. Constamment.
On se courrielle, on se "texte", on met à jour son statut Facebook, on twitte son petit-déjeuner…
Désormais, bien des gens préfèrent l'alignement de mots dans Outlook à la conversation téléphonique.
Chez les ados, le texto est devenu une seconde nature. En janvier dernier, cette nouvelle insolite s'est répandue dans l'actu: aux États-Unis, un père a eu la joyeuse surprise de découvrir que sa fille de 13 ans avait envoyé pas moins de 14 528 textos en un mois. Ce qui représente environ 480 "Kess tu fè?" par jour. C'est un cas extrême. Selon une étude de Nielsen (2008), les jeunes de 13 à 17 ans "se contentent" de 1742 textos, en moyenne, par mois.
Bref, on pourrait penser qu'à force de patauger dans cette marmite de mots, on finirait par devenir de redoutables lecteurs.
On pourrait croire aussi que cette surabondance d'information écrite nous aurait à l'usure, qu'on finirait par affiner nos plumes, par user d'un vocabulaire juste et précis pour transmettre nos pensées à l'écrit.
Or, un Québécois sur deux a déjà décroché de cette chronique.
Dans la dernière édition du magazine The Futurist, Patrick Tucker s'intéresse au lent déclin de "l'écrit" en cette ère de l'information.
Il ressort des études suggérant que les communications électroniques, bien qu'il s'agisse d'écriture, partagent plus de traits avec l'expression orale. "Les heures passées à texter et à courrieller ne se traduisent pas par une amélioration des compétences en lecture et en écriture", souligne-t-il.
Voilà un point qui rejoint l'auteur Nicholas Carr, qui avait fait jaser en juillet 2008 avec son article "Is Google Making Us Stupid?" paru dans le magazine The Atlantic.
Pour Carr, parce que nous naviguons de plus en plus sur le Web, nous commençons à lire comme le Web, à penser comme le Web.
On ne lit plus, en fait, on butine. Grâce à la magie des hyperliens, on saute d'un grand titre à un autre, d'un blogue à un tweet de 140 caractères. On attrape des mots au vol, puis on passe à autre chose.
Dans The Futurist, Nicholas Carr signe un nouveau texte sur l'avenir de la lecture et de l'écriture. "Dans le passé, écrit-il, les changements de technologies d'écriture (par exemple, du rouleau de papyrus au livre imprimé) ont eu de lourdes conséquences sur le genre d'idées que les gens ont couchées sur papier et, plus généralement, sur la vie intellectuelle des peuples."
Pour lui, le passage de la feuille de papier à la lecture à l'écran aura aussi des conséquences sur la façon dont nous lisons, écrivons, et même pensons.
"L'écriture survivra, conclut-il, mais ce sera sous une forme altérée. Nous ne lirons ni n'écrirons plus des mots, nous les traiterons, tout simplement, comme le font nos ordinateurs."
Malgré ses atouts, l'ordinateur a encore du mal à percevoir la différence entre un texte objectif et un texte biaisé, à reconnaître la beauté d'une prose, à saisir l'ironie ou le sarcasme dans une chronique.
J'ignore si l'on peut établir un lien ici, mais un Québécois sur deux se trouve exactement dans la même position.
La question de l’analphabétisme fonctionnel produit toujours des statistiques effrayantes.
Mais la frayeur ressentie est toujours relativisée et remise en perspective par la réalité de tous les jours, dans laquelle s’infiltre ou s’interpose de plus de filtres ou d’interfaces entre un individu et la connaissance, la culutre ou la communauté dans laquelle baigne l’illetré comme le lettré.
Bien entendu, je suis toujours inquiet de VOIR que la lecture et l’écriture ne sont pas mieux défendues ou utilisées par les gens de mon âge ou les jeunes que je rencontre.
Malgré tout, je me demande jusqu’à quel point un individu bien branché, capable de discernement, d’interpréter logiquement toutes les formes de bombardements d’informations écrites produites par le web ou les formes plus classiques du médium écrit est mieux armé pour changer ou améliorer le monde dans lequel il vit. Ne serait-ce que s’améliorer soi-même, l’écriture ou la lecture ne sont pas un panacée.
Tout comme lire le journal de Montréal de la première à la dernière page ne rend pas plus montréalais ou plus conscient de ce qu’est la ville, être analphabète fonctinnel n’est pas pour autant une condamnation à la stupidité ou à l’invaladité post-moderne. Sinon, le développement phénoménal des médiums audio-visuels interractifs n’auraient aucune résonnance auprès des gens les plus curieux, sans être les gens les plus littéraires qui soient sur le marché du travail.
Bref, je crois qu’il faut nuancer ce phénomène de l’analphabétisme en se demandant si l’écriture et la lecture ne sont pas devenues davantage des formes de divertissement que des formes de communication laissant présumées un savoir général ou encyclopédique de la part de l’émetteur du message initial. Autrement dit, savoir écrire n’est pas nécessairement synomyme de savoir-vivre.
Alors ma question serait plutôt : est-ce que nous savoins mieux vivre en sachant mieux lire ou écrire ? Y a-t-il encore ou y a-t-il jamais eu lien de cause à effet ?
p.s. : soyons encore plus provocateur et demandons-nous sérieusement si Jacques Demers aurait gagné la coupe Stanley en 1993 s’il vait pu lire ce qu’on disait de son style de coaching chez les bien pensants de notre élite sportive littéraire ? ;-)
C’est la capacité à traiter l’information qui est importante, un peu comme un ordinateur. Parlez-en à un aveugle qui entre dans une partouze?
la moitié des Québécois possède un niveau de littératie de 2 ou moins
la moitié des Québécois possède un niveau d’alphabétisation de 2 ou moins
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J’ai failli ne pas vous lire jusqu’au bout. Failli.
Yves Beauchemin , le grand , à la fin d’une de ses causeries publiques a affirmé et je cite : « Si le monbre de lecteurs ( masculins ) doublait , il y aurait une révolution dans l’édition au Québec»… j’invente pas ca ……loin de moi de pousser le bouchon du sarcasme gentil encore plus loin, mais l’une de vos phrases commence par « Dans l’histoire humaine… » mais voilà dans quelle mesure faisons-nous partie de « l’histoire humaine » ? sic .
sorry mais Joyeuses fêtes…. quand même..
Cette statistique est intéressante et elle m’effraie. Que faire dans un monde si on ne sait pas lire ? Je me serais permis un jugement mais les gens vont me lançer des tomates. Une chose est certaine si on ne s’intéresse pas à la lecture et la lecture à l’ère où tout est à notre portée ( bibliothèque publique, internet, etc), c’est que nous ne sommes pas intéressés par ça. Est-ce qu’il n’y aurait-il pas une certaine forme de paresse dans tout ça ?
Savons-nous bien lire ? C’est une chose de surfer sur un texte, de lire en diagonal en quatrième vitesse, mais arrêter son esprit, faire de la place en soi pour assimiler le message de l’autre, c’est autre chose.
J’avoue que je me bats pour continuer à fournir de la qualité à ma lecture sur le net. Il y a tant et tant à lire, là où je suis à un moment, je manque le ailleurs et peut-être du meilleur. Je deviens nerveuse. À viser la quantité plus que la qualité, on devient gourmand au lieu de gourmet.
Voilà pourquoi je continue à me mettre un livre dans les mains à tous les soirs. L’ordinateur est fermé, je relaxe et je lis. Enfin.
Les prétentieux de l’informatique (j’en fais partie :)) ) parlent du passage de l’ère de l’imprimerie à l’ère de l’information.
Aussi, la réalité est qu’il y a plus de gens instruits aujourd’hui qu’il n’y en avait au temps de Gutenberg.
Je suis optimiste, car le monde de l’informatique demande une telle rigueur que les écrivains n’ont pas le choix d’être précis à la virgule près. Le problème est qu’il s’imprime plus de livre sur Word, Excel, et cie que d’oeuvres littéraires.
Les éditeurs qui se plaignent publient autre chose que de l' »utile », dans le sens $$$ du terme. Là où ça se gâte, c’est quand ces mêmes éditeurs rêvent de $$$ alors qu’ils devraient rêver de publications de grandes qualités.
L’art de faire vivre l’art dans notre société est un devoir de « communauté », c’est-à-dire gouvernemental (valeur et mission de dimension humaine). Il faut que l’utile serve à l’agréable. :)
Comme je ne sais plus lire (le syndrome Jacques Demers), je ne serai pas à même de commenter votre analyse, cher Steve Proulx. Mais mes intuitions d’analphabète me laissent soupçonner que brillante est votre analyse. Sincèrement!
JSB
@Venise Landry.
Très bon votre commentaire. Moi aussi, je ferme tout un moment donné le soir et je prends un livre et je lis. Je suis alors complètement dans ma lecture et j’en ai besoin après tous les éparpillements de la journée sur le Web.
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Savons-nous encore réfléchir? Voulons-nous encore réfléchir? Parfois, j’ai l’impression que non. On nous faire croire que vite fait signifie bien fait: il ne faut pas prendre trop de temps avant de prendre une décision. Comme s’il était plus important de prendre rapidement une décision plutôt que de prendre une bonne décision.
Je peux lire beaucoup de choses, sur beaucoup de sujets, assez rapidement en survolant tous les supports d’information à ma portée. Je peux savoir beaucoup de choses, mais suis-je capable de faire des liens entre ces différentes informations?
Prendre le temps de lire signifie aussi de prendre son temps afin de trouver des liens entre différentes informations afin de se forger une opinion.
Les leaders (politiques, religieux, économiques et ceux que j’oublie) qui tentent de nous embobiner ne veulent pas qu’on prenne le temps de bien réfléchir en nous faisant croire qu’ils possèdent la vérité absolue et qu’il savent ce qui est bon pour nous. Prendre le temps de lire, de se renseigner (informations écrites, discussions avec nos connaissances) nous permettra de savoir s’ils ont raison ou non.
Savoir (bien) lire ne suffit pas: il faut aussi savoir bien réfléchir!