Le quotidien Le Devoir soufflera cent chandelles le 10 janvier prochain.
Je laisse à des plumes plus compétentes le soin de souligner l'apport du Devoir à la société québécoise, ainsi que les grands moments de ce journal fondé par la station de métro Henri-Bourassa.
Pour ma part, je me contenterai d'un sincère coup de cour. Car j'aime Le Devoir.
Malgré les appels répétés des agents de télémarketing, malgré leurs offres d'une durée limitée pour m'inciter à m'abonner à d'autres quotidiens que je ne nommerai pas, je persiste. "Désolé, je suis abonné au Devoir et ça me suffit, merci."
Le Devoir est mon journal pour plusieurs raisons, mais surtout cinq, que voici.
J'aime Le Devoir pour sa taille.
Ce n'est pas un journal artificiellement gonflé aux prospectus publicitaires encartés et aux cahiers spéciaux pour faire plaisir aux annonceurs qui est livré à ma porte chaque matin. C'est un rouleau compact qui ne contient que ce qu'il faut pour démarrer la journée du bon pied (en complément d'un déjeuner équilibré).
J'aime Le Devoir pour sa page Sports.
En tant que non-amateur de sport, je suis ravi de constater que la publication à laquelle je verse une cotisation mensuelle s'attarde aussi peu à la chose sportive. Le Devoir pourrait même pousser l'audace un cran plus loin: ne conserver que la chronique de Jean Dion et laisser tomber tout le reste.
J'aime Le Devoir pour sa situation financière somme toute précaire.
Cela prémunit les journalistes contre l'embourgeoisement. Des journalistes moins argentés, moins coussinés, moins bénéfices-socialisés sont, présumons-le, plus près du simple citoyen. Autrefois, les journalistes n'avaient pas des salaires de notaires et cela les rapprochait des préoccupations des faibles, des minorités, des pauvres, des éclopés, des oubliés. Avoir au Québec UN SEUL journal mû par une soif de justice sociale plutôt que par l'appât du gain, c'est précieux.
J'aime Le Devoir pour son indépendance.
J'apprécie le fait que ce journal ne soit pas considéré comme le véhicule promotionnel et idéologique d'un empire dont je tairai le nom. Voilà un particularisme du Devoir qui confère à ses journalistes la liberté de couvrir exclusivement ce qu'ils jugent digne d'intérêt. Par conséquent, je ne me souviens pas d'avoir lu le moindre compte rendu du dernier épisode d'Occupation double cet automne dans les pages du Devoir. Et je m'en réjouis.
J'aime Le Devoir pour ses luttes.
Ce journal de combat est né d'un désir de lutter contre l'impérialisme britannique. Cette lutte pour l'émancipation des Canadiens français s'est par la suite transformée en une lutte pour l'indépendance du Québec. Aujourd'hui, les luttes du Devoir sont moins flagrantes, mais toujours là. Le Devoir est encore un journal de combat, sauf qu'il lutte aujourd'hui pour la préservation d'un bien précieux: une information libre et propre à nourrir l'avancement de la société québécoise.
Le Devoir lutte contre le journalisme qui "pogne", contre l'information-marchandise. Depuis un siècle, ce quotidien analyse notre société, interroge nos élus, aborde des sujets négligés par les autres, et il le fait même si cela ne fait pas facilement "vendre de la copie".
On accuse souvent Le Devoir d'être un journal ennuyeux. On le traite de "journal de vieux". Il est vrai que son équipe éditoriale manque un peu de fantaisie. Sauf qu'au-delà de certaines chroniqueuses versées dans le radotage, je trouve les positions de ce journal assez progressistes. Plus, en tout cas, que certains quotidiens (dont je préserverai l'identité) qui se complaisent dans le populisme, qui confortent le bon peuple dans ses préjugés plutôt que d'oser diffuser des points de vue un rien plus profonds.
/ / /
Au cours de ses cent ans d'existence, on s'est souvent demandé si Le Devoir avait un avenir. Il en a un. Il est d'ailleurs amusant de constater qu'en pleine crise de la presse écrite, alors que des journaux meurent aux États-Unis, que les deux autres grands quotidiens québécois traversent des crises assez majeures, Le Devoir, lui, génère d'humbles bénéfices depuis les cinq dernières années.
Ce petit journal indépendant n'aura jamais un fort tirage, mais je ne crains pas pour son avenir. Peut-être le lira-t-on un jour sur une tablette numérique, ou peut-être se téléchargera-t-on la page Idées directement dans le coco. Peu importe. S'il reste fidèle à ses principes, il y aura toujours suffisamment d'ours parmi nous pour reconnaître et apprécier le rôle d'une institution telle que Le Devoir.
Pingback depuis Twitter Trackbacks for J’aime Le Devoir – Angle mort [voir.ca] on Topsy.com
Aujourd’hui j’ai un nouvel amour, grâce à vous Steve.
Quelque chose me dit que la couverture médiatique du centenaire du Devoir ne sera pas aussi omniprésente que celle qui a marquée celle du CH.
Pourtant, si on y pense bien, il serait beaucoup plus logique qu’un individu développe un sentiment de fierté et d’appartenance face a un organe d’information que face a un club de hockey qui procure la victoire ou la gloire par procuration a ses fans.
Enfin, on n’a qu’a comparer la ligne ouverte consacrée a la première année de lock-out imposée au journalistes du JdeM en comparaison a toutes celles qui ont été consacré au lock-out (passé et a venir) de la LNH pour s’apercevoir de l’émoi que provoque les deux situations…
Parfois, je crois qu’on a perdu plus que le sens du mot « solidarité » et « fierté » au Québec. C’est aussi une bonne part de passion et de compassion qui manque cruellement.
J’en profite donc pour saluer tous ceux qui essaient de garder ses lettres de noblesse au journalisme… Qu’ils soient au Devoir ou non. Bien rémunérés ou pas.
Le Devoir a déjà eu la réputation d’être le journal des professeurs, c’est à dire des intellectuels. J’aime bien fréquenter son site internet bien que les articles « cadenassés » causent chez moi de la frustration. Je ne paierai jamais pour lire un article sur un site internet bien que cette pratique dure depuis quelques années sur Ledevoir.com. Il faut croire que plusieurs acceptent de payer puisque cette pratique n’a pas déjà disparu. Bien que ce soit assez flou dans ma mémoire, il me semble que Pierre Péladeau, fondateur du Journal de Montréal, avait déjà sauvé de la faillite Le Devoir à une époque où rien n’allait plus pour ce journal à faible tirage. Si cette information était vraie, cela signifierait que ce populisme, que vous décriez tant, serait responsable de la survie d’un journal comme Le Devoir.
C’est quand même agréable de trouver de la variété dans les médias francophones, car tous peuvent avoir un journal qui leur convient. Les faibles revenus du Devoir ne lui permettront pas de traverser les coups durs à venir, car Power Corporation et Quebecor en savent quelque chose. Je ne crois pas que Le Devoir atteindra son bicentenaire d’années d’existence, mais il lui reste sûrement quelques années encore dans sa version papier. Henri Bourassa aura fondé un journal qui a joué et continuera de jouer un rôle important dans la société québécoise, mais il n’aurait jamais imaginé que l’on donnerait son nom à une station de métro, les métros n’existant pas encore au Canada et probablement pas encore ailleurs à son époque.
Pingback depuis Le blogue de Jos??e Blanchette » Blog Archive » 100 ans et tout son mordant
Merci.
Merci beaucoup.
Yves Poitras
Québec
Comme mon collègue Steve Proulx , j'aime Le Devoir . Pour les mêmes bonnes raisons. Et je me réjouis
Même à faire semblant de le lire, Le Devoir donne l’air intelligent. C’est pourquoi je laisse toujours à découvert, et bien au su de tous, la page frontispice de ce journal sur les tables où je m’installe dans les lieux publics.
C’est aussi digne de mention. Michel David et Jean-François Nadeau sont grands. C’est un avantage pour Le Devoir j’imagine lors des colloques de l’AFQJ ou lors des pugilats qui ont lieu au Conseil de presse du Québec… N’est-ce pas là l’essence de tout tribunal d’honneur?
Le conservatisme flagrant du titre de ce journal (Le Devoir) étant en évidente contradiction avec son esprit, son lectorat et sa ligne éditoriale; j’essaie d’incarner autant que possible cette aporie en sacrant le plus possible lors que je le lis et en me mouchant à la manière de nos ancêtre coureurs des bois; bouchant une narine et éjectant le tout d’un souffle vigoureux.
Sur ce, en espérant le représenter fidèlement, je souhaite moi aussi un autre cent ans d’existence au Devoir.
Pingback depuis Bon 100e anniversaire au journal Le Devoir « Un autre blogue