Angle mort

La secte parfaite

Chaque mois, Jean Grégoire et une vingtaine de ses compatriotes du collectif Anonymous enfilent leur masque, sortent leur pancarte et vont s'agiter devant les locaux de l'Église de la Scientologie, avenue Papineau.

Jean Grégoire n'est pas un ex-scientologue. Il a commencé à s'intéresser à la Scientologie après avoir reçu une brochure sur la dianétique, cette pseudo-science à la base du mouvement religieux. "J'ai commencé à faire des recherches sur Internet et, avec tout ce que j'ai découvert, je me suis demandé comment cette organisation avait pu survivre pendant toutes ces années."

Il a fini par se joindre à Anonymous. Cette bande active dans une centaine de villes à travers le monde dénonce les abus financiers et psychologiques de cette illustre religion fondée en 1953 par l'auteur de science-fiction L. Ron Hubbard.

Chacun ses causes.

Pour ma part, je regarde l'Église de la Scientologie et je suis ému.

Grâce à son imagination, M. Hubbard a permis au charlatanisme d'atteindre de nouveaux sommets de raffinement.

Au moment de sa mort, en 1986, il aura réussi à faire fortune, tout en léguant à l'humanité une religion qui, dans le business des nouveaux cultes, est probablement la plus sexy.

Ainsi, malgré le paquet de victimes qui disent avoir été ruinées par cette secte, malgré ce juge de la Cour de Londres qui, en 1984, a qualifié l'Église de la Scientologie "d'immorale" et de "socialement odieuse", malgré ce tribunal français qui a reconnu la secte coupable "d'escroquerie en bande organisée" en 2009, malgré les histoires d'extraterrestres déportés sur la Terre par un dictateur intergalactique voilà 75 millions d'années, malgré tout ça, l'Église de la Scientologie recrute encore et semble bien portante.

Pourquoi? Parce que la Scientologie est une secte bien de son temps.

D'abord, cette secte carbure aux vedettes. Un conseil: si vous voulez attirer du monde, aujourd'hui, n'engagez pas comme tête d'affiche un octogénaire chaste qui sonne comme un vieux record. Engagez Tom Cruise, John Travolta, Juliette Lewis, Beck, Bart Simpson (du moins, sa voix originale), ou encore notre bien-aimée France D'Amour, seule artiste de chez nous ouvertement membre de l'Église de la Scientologie.

En voilà, des porte-parole payants.

Parlant de choses payantes, c'est la deuxième force de l'Église de la Scientologie: cette religion sait qu'il faut des fonds, plus que des prières, pour prospérer.

L'Église catholique n'a jamais autant construit de cathédrales, n'a jamais été aussi puissante qu'à l'époque où la dîme était obligatoire. Pourquoi diable avoir abandonné ce saint impôt?

Heureusement, dans la patente de L. Ron Hubbard, tout a un prix: des cours, des livres, des conférences, plusieurs milliers de dollars pour un électromètre (sorte de gadget rudimentaire pour mesurer "l'état mental"). Lors du récent procès de l'Église de la Scientologie en France, une femme de ménage a affirmé s'être fait soutirer par la secte quelque 20 000 euros (près de 30 000 $) en six semaines!

Là où l'Église catholique a erré en prônant la pauvreté, l'Église de la Scientologie a compris que dans un monde capitaliste, tout se fait avec du fric. Même les religions.

Troisième atout de l'Église de la Scientologie: son culte du secret. C'est ce qui rend cette clique mystérieusement séduisante. Les secrets des Chevaliers de Colomb? De la petite bière, à côté de l'opacité de la Scientologie. Il n'existe pas de bible complète de la Scientologie. Aucun livre disponible dans le tiroir du bas des tables de chevet de motel ne rassemble les enseignements de son gourou. On découvre ce qui constitue la Scientologie en devenant scientologue. C'est ludique, comme un jeu vidéo: plus on évolue, plus on accède à des "niveaux" poussés.

Du coup, chaque année, l'Église dépense des fortunes pour museler les ex-membres qui diffusent sur Internet du "matériel" scientologique sous copyright.

Vraiment, l'Église de la Scientologie est la secte parfaite pour notre époque.

Une religion basée sur une simili-science, l'idéal pour une société qui ne croit plus en la magie. Un culte qui prône le développement de soi, de SA puissance mentale, de SA spiritualité, tout pour séduire les nombrilistes que nous sommes. Une secte, enfin, qui vend ses produits et services, en accord avec les us et coutumes de la société de consommation.

N'en déplaise à Jean Grégoire et à ses acolytes d'Anonymous qui, samedi prochain, manifesteront encore une fois devant les locaux de l'Église de la Scientologie, ils doivent reconnaître une chose: L. Ron Hubbard était un génie.