Angle mort

L’art de faire croire

Ce n'est pas pour rien que les bons auteurs font leur possible pour échafauder des intrigues qui se tiennent, pour accoucher de personnages plausibles, pour tisser des dialogues intelligents. C'est parce que la fiction, c'est l'art de faire croire.

Et ce n'est pas une petite affaire, car le public que nous sommes décroche vite et n'a pas de patience pour les histoires qui ne collent pas. Du coup, les fabricants de fiction ont intérêt à se creuser le coco.

Parlons de Mirador, cette série mercreditement diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Elle nous plonge dans le ventre d'une firme de relations publiques qui, chaque épisode, doit gérer un gros scandale bien gras.

Jusqu'ici, on a eu droit à des histoires de cul, de drogue, de magouilles politiques, relatées dans un canevas parfaitement prévisible. Quelques personnages de la série ne sont que des stéréotypes d'humains qui n'existent que dans les mauvaises fictions. En deux mots, l'inventivité de Mirador frise le degré zéro.

Des ténors et au moins trois sopranos de l'industrie des relations publiques ont critiqué l'irréalisme de la série. Ils ont déploré l'association faite entre "scandale" et "relations publiques". D'autant plus qu'au Québec, aucun cabinet de relations publiques n'a à gérer de scandales toutes les semaines. Et lorsque ça arrive, aucun n'emploie la façon Mirador.

Mirador est une fiction, certes, mais une fiction trop mal inspirée pour qu'on y croie, pour qu'on y accroche. En tout cas, en ce qui me concerne.

C'est à se demander si les auteurs ont vraiment pris la peine d'étudier un tant soit peu le monde des relations publiques. À voir ce qu'ils ont pondu, j'en doute.

Pourtant, le travail de l'expert en relations publiques ressemble à celui de l'auteur de fiction: il fait croire. Dans son cas, l'idée est de faire croire aux journalistes que l'intérêt de son client est d'intérêt public. S'il réussit, alors on parlera de son client dans les médias, ce qui accroîtra sa notoriété. Et ça, c'est le but de l'opération.

Seulement, embarquer un journaliste dans ses histoires n'est pas de la tarte en cette époque saturée d'informations. Pour attirer l'attention médiatique, il faut plus qu'un communiqué et quelques "you-hou".

Du coup, l'expert en relations publiques trouve des astuces toujours plus inventives pour appâter ses journalistes.

L'an dernier, la firme Morrow Communications a inventé trois blogueurs. Ces soi-disant jeunes ont partagé sur Facebook et ailleurs sur le Net leur amour du vélo, confondant tout le monde, avant qu'on découvre qu'ils n'existaient que pour promouvoir l'arrivée du BIXI.

En 2008, un bureau du tourisme australien a réussi à faire parler d'une obscure île, Hamilton Island, en lançant une offre d'emploi originale: The Best Job in The World. 34 000 candidats ont postulé pour devenir "gardien" de cette île paradisiaque, conférant à cette destination-soleil une visibilité monstre.

Depuis six ans, la papetière Kruger organise un défilé de mode au profit du cancer du sein où des designers sont invités à concevoir une robe à partir de feuilles de papier hygiénique Cashmere.

Au printemps 2007, une firme de RP ayant pour mandat de mousser la notoriété de la version française d'eBay Canada a eu l'idée de mettre aux enchères trois objets tirés de la webtélé Les Têtes à claques, dont le célèbre épluche-patates Willy Waller. L'argent amassé devait être versé à l'hôpital Sainte-Justine. Selon Simon Falardeau, le relationniste qui a orchestré cette campagne, les trois objets ont été acquis par une famille fortunée au coût d'environ 15 000 $.

Pour eBay Canada, en revanche, les retombées de cette campagne ont totalisé dix articles dans le Journal de Montréal, 24 mentions aux bulletins de nouvelles de LCN. En tout, on a dénombré plus de 61 millions d'occasions où la marque eBay aura pu être vue ou entendue dans les médias québécois (une mention dans le Journal de Montréal donne environ un million d'occasions, parce que lu par environ un million de lecteurs).

L'industrie des relations publiques ne ressemble pas à celle griffonnée dans Mirador. Par contre, elle cache des histoires délirantes de blogueurs fantômes, de robes en papier cul, d'emplois dignes d'un conte de fées et d'épluche-patates à 15 000 $.

Imaginez la série déjantée qu'on aurait pu faire sur l'univers des RP avec des histoires pareilles. Une série qui, contrairement à Mirador, aurait eu le mérite d'explorer avec plus de justesse l'univers des RP.

En plus, on y aurait cru.