Comment fabriquer une bibliothèque
Angle mort

Comment fabriquer une bibliothèque

Quels livres les jeunes devraient-ils lire à l'école? Dernièrement, une série de textes publiés dans La Presse a relancé le débat.

Au Québec, les profs sont à peu près libres de choisir les bouquins qu'ils feront lire à leurs élèves. Seules contraintes: être de genres et d'auteurs différents (la moitié doivent être québécois) et coûter moins de 10 $.

Autrement, aucune exigence particulière concernant la valeur culturelle dudit ouvrage. Twilight ou Germinal, c'est du pareil au même.

Bref, quels livres proposer?

D'un côté, il y a ces enseignants qui croient toujours que l'école doit mettre de grandes ouvres entre les mains de la génération texto (ci-après nommée "l'avenir du Québec").

De l'autre, il y a ceux qui pensent que l'école doit transmettre le "plaisir de lire" à l'avenir du Québec, quitte à lui faire étudier les romans pop de l'heure.

Car c'est bien connu, l'effort supplémentaire qu'exige le classique de la littérature est susceptible de traumatiser l'apprenant dans son cheminement pédagogique.

Derrière cette idée se cache un effet pervers de cette réforme de l'éducation tant critiquée. Celle qui, dans son obsession de vouloir faire réussir tout le monde, a fait perdre son sens au mot "effort".

Réglons une chose: ce n'est pas le rôle de l'école d'initier l'avenir du Québec au plaisir de la lecture.

Dans sa chambre à coucher, mon neveu de deux ans possède trois meubles: un lit en forme d'automobile, une commode pour ses vêtements et une gigantesque bibliothèque. Celle-ci est garnie d'une centaine de livres à peu près tous acquis pour quelques sous au Village des Valeurs.

Mon neveu a la chance d'avoir des parents qui, dès sa naissance, ont compris que le goût de lire se développe tôt, et dans l'intimité d'une chambre à coucher. Des parents qui savent que l'amour du livre se cristallise un peu plus chaque soir lors du rituel de l'histoire avant le dodo.

Ce sont les parents qui contaminent leurs enfants en installant des bibliothèques IKEA dans leur espace intime. Et c'est là que naît le "plaisir de lire".

L'ennui, c'est qu'un Québécois sur deux ne lirait jamais de livres. Cela explique probablement pourquoi l'école s'est peu à peu sentie obligée d'allumer des passions.

Or, malgré toute sa bonne volonté, l'école ne réussira pas à inciter l'avenir du Québec à lire s'il ne s'agit pas, au départ, d'une valeur familiale.

En abandonnant son ambition (vaine) de "plaire" aux jeunes, le milieu scolaire pourra donc mieux reposer la question: quels livres faire lire?

Des experts ont lancé l'idée d'un programme de lecture commun au Québec. Parce que l'école doit bâtir une "identité commune", avance-t-on.

L'avenir du Québec, d'Amos à Matane, devrait donc se farcir le même lot d'ouvres que le gouvernement aura sélectionnées pour lui.

Euh… Non.

D'abord, en rayant le choix des lectures de la description de tâches de l'enseignant, on contribuerait à dévaloriser encore davantage son rôle. Déjà que la réforme l'a presque réduit à un simple rouage d'un système pédago-idéologique…

Ensuite, demander aux profs de passer à leurs élèves des ouvrages préapprouvés par d'obscures instances pédagogiques, c'est leur retirer l'occasion d'ouvrir un dialogue riche entre eux et l'avenir du Québec.

L'enseignant est un humain, un adulte, un sage (pas tous, mais bon…) qui passe dans la vie des jeunes comme une étoile filante. Et qui laisse des traces.

Le livre peut devenir pour le prof un moyen de laisser sa marque.

Un lecteur de mon blogue racontait il y a quelques mois l'histoire de son prof de français: "Il s'appelait M. Gibelleau. Une journée par mois, il débarquait avec une pile de livres et nous racontait comment ceux-ci l'avaient remué, l'avaient touché, sans jamais nous faire sentir autrement que des amis à qui il parlait à cour ouvert…"

Tous les profs devraient être des M. Gibelleau.

Au lieu d'imposer des lectures obligatoires, l'école devrait encourager l'enseignant à révéler des extraits de sa bibliothèque personnelle à l'avenir du Québec.

On possède tous une bibliothèque personnelle. Si le meuble et les premiers livres qu'on y met sont fournis par les parents, au fil des années, cette bibliothèque s'enrichit. On y accumule des bouquins qui nous ressemblent, qui nous ont inspirés.

On y conserve aussi des livres qu'on nous aura transmis, comme autant d'héritages de ceux qui seront passés dans nos vies.

Le rôle de l'enseignant est ni de plaire ni de divertir. Il représente dans la courte existence de ses élèves une forme d'autorité intellectuelle. Ce rôle est significatif.

Pourquoi, dans ce cas, devrait-il faire lire autre chose que des ouvres qui l'ont marqué, lui?

L'origine du débat dans La Presse