Angle mort

La république verte

J'aime le cerveau de Vladimir.

Notre première rencontre remonte à six ans. Déjà! Je l'avais interviewé pour un article sur le transhumanisme. En gros, ce mouvement veut repousser les limites de l'humain grâce à la technologie.

Pour le transhumaniste, les handicaps, la maladie, voire la mort sont des réalités inutiles que la science devrait chercher à éradiquer.

Bref, Vladimir de Thézier était à l'époque responsable du chapitre montréalais de l'Association transhumaniste mondiale. Mon article ne lui avait pas plu. Sur Internet, il n'a pas hésité à me traiter de néo-luddite.

Vladimir est le genre de personne qui peut vous traiter de néo-luddite.

Or, que vous sachiez ou non ce qu'est un néo-luddite n'a aucune importance dans le cadre du sujet d'aujourd'hui.

De toute façon, l'eau a coulé sous les ponts. Vladimir n'est plus transhumaniste et je suis certainement moins néo-luddite qu'auparavant.

Cela dit, j'aime le cerveau de Vladimir.

Parce qu'il est curieux, qu'il cherche, fouille, doute. Il s'intéresse au changement social, aux dérives du capitalisme, à la déroute de la gauche depuis la chute du mur de Berlin ainsi qu'à moult sujets que l'on n'aborde généralement pas dans les pages du magazine Clin d'oil.

Pour toutes ces raisons, Vladimir est quelqu'un avec qui il fait bon refaire le monde autour d'une bière.

Je l'ai revu la semaine dernière. Ce Québécois d'origine haïtienne a maintenant 34 ans. Il bosse dans une boîte de Web, mais bizoune en aparté des projets de documentaires. Mais surtout, il a un rêve pour le Québec.

Je dois admettre qu'en l'invitant à ce bar, j'avais un agenda caché. Celui d'utiliser cet humble espace médiatique pour répandre des idées politiques émergentes. Que je sois d'accord ou pas avec ces idées n'a aucune importance. Si, d'aventure, elles pouvaient allumer quelques cyniques de la politique… Voilà mon unique ambition.

Toujours est-il que Vladimir a un rêve pour le Québec.

Celui qui se présente comme un "orphelin de Bouchard" (expression de Josée Legault pour décrire les souverainistes déçus par le virage conservateur de Lucien Bouchard) reconnaît que le mouvement indépendantiste piétine.

Mais Vladimir est aussi un bright green ("vert brillant"). Cette appellation, inventée par le futurologue américain Alex Steffen, définit les environnementalistes qui rejettent la pensée individualiste voulant que la planète puisse être sauvée par les "petits gestes" de tout un chacun.

"Les bright greens préfèrent se concentrer à développer et promouvoir les innovations sociales et technologiques qui nous mettront sur la voie du développement durable", dit Vladimir.

C'est donc à partir de ces deux pôles idéologiques qu'il en est venu au rêve suivant: "Et si on faisait une souveraineté verte?"

"Malgré le fait que la promotion de la culture et de la langue française doit demeurer au cour du discours souverainiste québécois, dit-il, je crois qu'on doit accorder une plus grande place aux environnementalistes pour qu'ils puissent réarticuler ce discours et donner naissance à un mouvement vert souverain."

Pour lui, l'environnementalisme est "le seul système de valeurs qui peut transcender les différences linguistiques, culturelles, sociales et économiques qui divisent les Québécois".

Les syndicats, alliés naturels du PQ, "suscitent le scepticisme de bon nombre de Québécois", explique Vladimir. Pour recruter de nouveaux adhérents à la cause indépendantiste, il faut miser sur ce qui unit le plus de Québécois.

Grosso modo, Vladimir rêve d'une république québécoise… verte.

Ce qu'est au juste une république verte, cela reste à voir. On pourrait en débattre. Disons seulement qu'il s'agit d'un pays démocratique qui enchâsserait le développement durable dans sa constitution.

Vladimir de Thézier n'a pas de parti à représenter, ni l'ambition de se lancer en politique. Il souhaite plutôt créer un mouvement de masse qui pourrait convaincre le Parti québécois, Québec solidaire, le Bloc québécois et le Parti vert de s'unir autour de la même cause.

Pour lui, adapter le discours souverainiste aux valeurs écolos est la meilleure façon de rendre le projet de pays réalisable, n'en déplaise à Lucien Bouchard.

Verra-t-on, un jour, un président français se présenter au balcon de l'Hôtel de Ville pour scander: "Vive le Québec… vert"?